Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 2/Le dernier chant du Pèlerinage d’Harold/Note septième

Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 166-168).
NOTE SEPTIÈME

(Page 117)


Mais au moment fatal du divin sacrifice,
Quand le prêtre, en ses mains élevant le calice,
Boit le sang adoré du Martyr immortel,
Une vierge s’élance aux marches de l’autel…


En Grèce, les oraisons funèbres ou myriologues sont prononcées par des femmes. Voici, à ce sujet, les détails donnés par M. Fauriel, dans son discours préliminaire des Chants populaires de la Grèce moderne ; chants qui nous semblent démontrer jusqu’ici que si les Grecs modernes ont recouvré la valeur de leurs aïeux, ils sont loin encore de rappeler leur génie poétique. Il y a plus de Léonidas et de Thémistocles que d’Homères et de Tyrtées.

« Les chants funèbres, par lesquels on déplore la mort de ses proches, prennent le nom particulier de myriologia, comme qui dirait discours de lamentations, complaintes. Les myriologues ont, avec les autres chants domestiques des Grecs, cela de commun, qu’ils sont d’un usage également général, également consacré ; mais ils offrent des particularités par lesquelles ils tiennent à quelques-uns des traits les plus saillants du caractère et du génie national. J’en parlerai dans un autre endroit pour considérer l’espèce et le degré de faculté poétique qu’ils exigent et supposent : il n’est question ici que de donner une idée sommaire des cérémonies funèbres dont ils font partie, et auxquelles il faut toujours les concevoir attachés.

» Un malade vient-il de rendre le dernier soupir ? sa femme, ses filles, ses sœurs, celles, en un mot, de ses plus proches parentes qui sont là, lui ferment les yeux et la bouche, et épanchent librement, chacune selon son naturel et sa mesure de tendresse pour le défunt, la douleur qu’elle ressent de sa perte. Ce premier devoir rempli, elles se retirent toutes chez une de leurs parentes ou de leurs amies les plus voisines. Là, elles changent de vêtements, s’habillent de blanc comme pour la cérémonie nuptiale, avec cette différence qu’elles gardent la tête nue, les cheveux épars et pendants. Tandis qu’elles changent ainsi de parure, d’autres femmes s’occupent du mort. Elles l’habillent, de la tête aux pieds, des meilleurs vêtements qu’il portait avant que d’être malade ; et, dans cet état, elles l’étendent sur un lit très-bas, le visage découvert, tourné vers l’orient, et les bras en croix sur sa poitrine.

» Ces apprêts terminés, les parentes reviennent, dans leur parure de deuil, à la maison du défunt, en laissant les portes ouvertes, de manière que toutes les autres femmes du lieu, amies, voisines ou inconnues, puissent entrer à leur suite. Toutes se rangent en cercle autour du mort, et leur douleur s’exhale de nouveau, et comme la première fois, sans règle et sans contrainte, en larmes, en cris ou en paroles. À ces plaintes spontanées et simultanées succèdent bientôt des lamentations d’une autre espèce : ce sont les myriologues. Ordinairement c’est la plus proche parente qui prononce le sien la première. Après elle les autres parentes, les amies, les simples voisines ; toutes celles, en un mot, des femmes présentes qui veulent payer au défunt ce dernier tribut d’affection, s’en acquittent l’une après l’autre, et quelquefois plusieurs ensemble. Il n’est pas rare que, dans le cercle des assistantes, il se rencontre des femmes étrangères à la famille, qui, ayant récemment perdu quelqu’un de leurs proches, en ont l’âme pleine, et ont encore quelque chose à leur dire ; elles voient dans le mort présent un messager qui peut porter au mort qu’elles pleurent un nouveau témoignage de leurs souvenirs et de leurs regrets, et adressent au premier un myriologue dû et destiné au second. D’autres se contentent de jeter au défunt des bouquets de fleurs ou divers menus objets, qu’elles le prient de vouloir bien remettre, dans l’autre monde, à ceux des leurs qu’elles y ont.

» L’effusion des myriologues dure jusqu’au moment où les prêtres viennent chercher le corps pour le conduire à la sépulture, et se prolonge jusqu’à l’arrivée du convoi funèbre à l’église. Ils cessent durant les prières et les psalmodies des prêtres, pour recommencer au moment où le corps va être mis en terre.

» Quand quelqu’un est mort à l’étranger, on place sur le lit funèbre un simulacre de sa personne, et l’on adresse à cette image les mêmes lamentations que l’on adresserait au vrai cadavre. Les mères font aussi des myriologues sur les enfants en bas âge qu’elles perdent, et ils sont souvent du pathétique le plus gracieux. Le petit mort y est regretté sous l’emblème d’une plante délicate, d’une fleur, d’un oiseau, ou de tout autre objet naturel assez charmant pour que l’imagination d’une mère se complaise à y comparer son enfant.

» Les myriologues sont toujours chantés et composés par des femmes. Les adieux des hommes sont simples et laconiques. Je n’ai jamais entendu parler d’un myriologue prononcé par un homme. Dans la Grèce asiatique, il y a des femmes myriologistes de profession, que l’on appelle au besoin, moyennant un salaire, pour faire et chanter les myriologues, ou, pour mieux dire, ce qui en tient lieu. »

(Chants populaires de la Grèce moderne.)