Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/09

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IX

Comment saint François et frère Masséo, prenant le pain qu’ils avaient quêté, le posèrent sur une pierre auprès d’une fontaine, et saint François loua fort la pauvreté. Comment aussi il pria Dieu, saint Pierre et saint Paul, de lui donner un grand amour de la très-sainte Pauvreté alors saint Pierre et saint Paul lui apparurent.


L’admirable serviteur et disciple du Christ, saint François, voulut se conformer parfaitement et en toute chose au Christ, qui, selon l’Évangile, envoya ses disciples, deux à deux, dans toutes les villes et les bourgades où il devait aller. Ainsi, lorsqu’à l’imitation du Sauveur il eut réuni douze compagnons, il les envoya prêcher par le monde, deux à deux. Puis, pour leur donner l’exemple de la véritable obéissance, il commença par aller lui-même, comme le Sauveur, qui commença par agir avant d’enseigner. Donc, ayant assigné à ses frères les autres parties du monde, et choisissant frère Masséo pour compagnon ; il prit le chemin de la province de France. Un jour qu’ils arrivaient dans une bourgade, très-affamés, ils allèrent, selon la règle, mendier du pain pour l’amour de Dieu et saint François alla par une rue, et frère Masséo par une autre. Mais comme saint François était un homme de trop chétive apparence et petit de corps, et que par ce motif ceux qui ne le connaissaient pas le prenaient pour un misérable, on ne lui donnait rien, sinon quelques bouchées et quelques restes de pain sec mais parce que frère Masséo était grand et beau de corps, on lui donna de bons morceaux en très-grande quantité, et des pains entiers. Lorsqu’ils eurent mendié, ils se rejoignirent hors de la ville pour manger dans un lieu où était une belle et large pierre, sur laquelle chacun posa toutes les aumônes qu’il avait quêtées. Saint François, voyant que les morceaux de pain de frère Masséo étaient plus nombreux et plus gros que les siens, fit une très-grande exclamation de joie, et dit ainsi : «  Ô frère Masséo, nous ne sommes pas dignes d’un si grand trésor ! » Et comme il répétait ces paroles plusieurs fois, frère Masséo lui répondit : « Père, comment peux- tu parler de trésor là où il y a tant de pauvreté, et où manquent toutes les choses nécessaires ? Je ne vois ici ni nappe, ni couteau, ni écuelle, ni maison, ni table, ni serviteur, ni servante. » Et saint François lui dit  : « C’est là même ce que je compte pour un grand trésor, puisque rien ici n’est préparé par l’industrie humaine, mais tout nous est donné par la Providence divine, ainsi qu’on peut le voir par ce pain de l’aumône, par cette table formée d’une pierre si belle, et par cette fontaine si claire. C’est pourquoi je veux que nous demandions à Dieu de nous faire aimer le noble trésor de la très-sainte Pauvreté, qui a Dieu même à son service. » Ces paroles dites, ayant prié, et fait leur repas de ces morceaux de. pain et de l’eau de la fontaine, ils se levèrent pour cheminer vers la France.

Or, comme ils arrivaient à une église, saint François-dit à son compagnon : « Entrons dans cette église et prions » et saint François, allant devant l’autel, se mit en prière, et dans cette oraison il reçut de la visite de Dieu une ardeur croissante qui enflamma si fortement son âme de l’amour de la sainte Pauvreté, qu’à l’éclat de sa figure et au frémissement de ses lèvres il semblait qu’il jetât dès flammes d’amour. Il vint donc tout embrasé à son compagnon, et lui dit :« Ah ! ah! ah! frère Masséo, il faut t’abandonner à moi. » ! Il parla ainsi trois fois ; à la troisième fois, il souffla sur frère Masséo, et celui-ci se sentit ravi et alla tomber devant le saint à la distance d’une longue lance. Sur quoi frère Masséo fut frappé d’une grande stupeur, et dans la suite il redit à ses compagnons que, dans ce ravissement, il avait goûté tant de douceur et une telle consolation du Saint-Esprit, que de sa vie il n’en avait tant éprouvé. Et cela fait, saint François dit : « Mon compagnon, allons à saint Pierre et à saint Paul, et prions-les qu’ils nous enseignent et nous aident à posséder le trésor infini de la très sainte Pauvreté : car c’est un trésor si précieux et si divin, que nous ne sommes pas dignes de le posséder en notre misérable vaisseau de chair. C’est cette vertu céleste par laquelle toutes choses terrestres et passagères sont foulées aux pieds, et par la quelle l’âme est dégagée de toutes les entraves, afin qu’elle puisse librement s’unir au Dieu éternel. C’est par cette vertu que l’âme encore habitante de la terre converse dans le ciel avec les anges. C’est elle qui accompagna le Christ sur la croix ; avec le Christ elle fut ensevelie ; avec le Christ elle ressuscita avec le Christ elle monta au ciel. C’est elle qui, dès cette vie, accorde aux âmes éprises d’elle le pouvoir de voler aux cieux ; et de plus elle garde les armes de la véritable humilité et de la véritable charité. Ainsi prions les très-saints apôtres du Christ, qui aimèrent parfaitement cette perle évangélique, de nous obtenir, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que par sa très-sainte miséricorde, il nous accorde d’être devrais amis, observateurs et humbles disciples de la très-précieuse, très-aimable et très évangélique Pauvreté. »

Tout en parlant ainsi, ils arrivèrent à Rome ; ils entrèrent dans l’église de Saint-Pierre ; et saint François s’étant mis en oraison dans un coin, et frère Masséo dans un autre, ils restèrent longtemps en prière avec beaucoup de larmes et de dévotion. Les très-saints apôtres Pierre et Paul apparurent à saint François entourés d’une grande splendeur, et lui dirent : « Parce que tu demandes et désires d’observer ce que le Christ et les saints apôtres observèrent, le Seigneur Jésus-Christ nous envoie pour t’annoncer que ta prière est exaucée ; et Dieu te donne entièrement, à toi et à tes disciples, le trésor de la très-sainte Pauvreté et, de plus, nous te l’annonçons de. sa part. Quiconque, à ton exemple, s’attachera parfaitement à ce désir, est assuré de la béatitude éternelle ; et toi et tes disciples vous serez bénis de Dieu. » Et après ces paroles ils disparurent, laissant saint François rempli de consolation. Il se releva de sa prière et revint à frère Masséo, et lui demanda si Dieu ne lui avait rien révélé, et celui-ci répondit que non. Alors saint François lui dit comment les saints apôtres lui avaient apparu, et ce qu’ils lui avaient révélé ; sur quoi tous deux, pleins de joie, résolurent de retourner dans la vallée de Spolète, renonçant au voyage de France.