Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Introduction/1

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome Ip. 55-85).



I

ORGANISATION ET FORMATION DU SYSTÈME SOLAIRE
ET DES AUTRES PARTIES DE L’UNIVERS. IDÉES DE BUFFON. IDÉES MODERNES.


De tous les objets que l’univers présente à notre étude et à nos méditations, l’un des plus intéressants est la terre que nous habitons. C’est sur lui que se portent les premiers regards de Buffon ; c’est par la terre que débute son Histoire naturelle. « L’histoire générale de la terre, dit-il[1], doit précéder l’histoire particulière de ses productions. » Mais il a soin de nous prévenir que, dans son Histoire et théorie de la terre, « il n’est question ni de la figure de la terre, ni de ses mouvements, ni des rapports qu’elle peut avoir à l’extérieur avec les autres parties de l’univers ; c’est sa constitution intérieure, sa forme et sa matière » qu’il se propose d’examiner. C’est en effet à ces sujets, sur lesquels nous reviendrons plus bas, qu’il limite d’abord ses méditations. Ce n’est que comme supplément à cette « histoire générale de la terre » qu’il expose ses vues sur l’origine de notre globe[2].

C’est par l’examen de ces vues que nous commencerons l’étude des idées de Buffon et celle des théories qui leur ont été substituées par les savants venus après lui.

Organisation de l’univers. Pour donner à ce difficile sujet toute la clarté désirable, il me paraît utile de rappeler d’abord ce que la science nous a révélé sur l’organisation et la vie de l’univers. Nous parlerons d’abord du système solaire, dont fait partie la terre.

Système solaire. Ce gigantesque ensemble, dont notre planète, malgré son étendue, ne représente qu’une très minime portion, se compose : 1o d’un globe central, beaucoup plus volumineux que tous les autres, le soleil ; 2o de 8 planètes principales disposées à des distances inégales du soleil : Mercure, Vénus, la terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune ; Mercure étant la planète la plus rapprochée de l’astre central, tandis que Neptune en est la plus éloignée ; 3o de 160 petites planètes (je ne parle que de celles qu’on connaît exactement), situées entre Mars et Jupiter ; 4o de 18 satellites des grandes planètes, la terre en ayant 1 qui est la Lune, Jupiter 4, Saturne 8, Uranus 4 et Neptune 1 ; 5o d’un nombre immense de comètes et de corpuscules ou météorites de dimensions très variables, cheminant entre les astres dont nous venons de parler.

Rappelons maintenant le mouvement de toutes ces parties constituantes de notre système solaire. 1o Le soleil et toutes les planètes, grandes ou petites, décrivent autour d’un axe passant par leurs pôles un mouvement de rotation dirigé de droite à gauche pour un observateur qui serait placé dans le plan de leur équateur, la tête tournée du côté de l’hémisphère nord, c’est-à-dire d’occident en orient. On sait que la terre fait un tour complet sur son axe en 24 heures ; quoique nous n’en ayons aucune conscience, ce mouvement est d’une effrayante rapidité ; au niveau de Paris : il est de 305 mètres par seconde ou, si l’on veut de 1 098 kilomètres par heure et 25 352 kilomètres par 24 heures. Helmoltz a calculé que si le mouvement de rotation de la terre cessait brusquement, sa transformation nécessaire en chaleur suffirait pour déterminer la combustion complète de 15 sphères de houille ayant chacune les dimensions de notre globe. 2o Chaque planète parcourt, en outre, autour du soleil, dans un temps variable de l’une à l’autre, mais fixe pour chacune d’entre elles une orbite elliptique d’une immense étendue dont le soleil occupe un des foyers. Ce deuxième mouvement a reçu le nom de mouvement de translation. Sa rapidité est excessive. En 365 jours et environ 6 heures, la terre parcourt une ellipse qui mesure 930 millions de kilomètres, ce qui représente une vitesse de 29 450 mètres par seconde, 75 fois la vitesse d’un boulet de canon. Neptune, dont le volume représente 84 fois celui de la terre, parcourt en près de 165 ans une orbite qui a près de 7 milliards de lieues. Les orbites des grandes planètes, étant concentriques, sont d’autant plus grandes que la planète est plus éloignée du soleil. Quant aux orbites des petites planètes, elles sont toutes comprises entre celle de Mars et celle de Jupiter. Chacune de ces orbites est disposée dans un plan qui passe par le centre du soleil et par celui de la planète ; toutes ne sont pas dans le même plan, elles sont plus ou moins obliques par rapport à l’axe du soleil, mais toutes disposées dans une zone d’une épaisseur relativement peu considérable. 3o Les satellites décrivent autour des planètes dont elles dépendent des orbites analogues, comprises dans le plan des orbites de leurs planètes respectives. 4o Les comètes décrivent entre tous ces globes des ellipses immenses dont le soleil occupe l’un des foyers et qui varient pour chacune d’étendue et de direction. 5o Quant aux innombrables météorites ou corpuscules plus petits qui voyagent parmi les grands astres du monde solaire, leur obscurité et leur faible dimension ne nous permettent pas de suivre leur marche ; nous n’en avons connaissance que quand ils s’approchent assez près de notre globe pour en rencontrer l’atmosphère ou pour être attirés par sa masse. Leur mouvement est si rapide que quand ils se heurtent contre notre atmosphère ils s’enflamment et deviennent visibles pendant un certain temps sous le nom d’étoiles filantes. Quand ils se rapprochent assez de la terre pour entrer dans la limite de son attraction, ils tombent sur notre sol et nous apportent, sous les noms de bolides et d’aérolithes, le témoignage de l’existence d’autres terres semblables à la nôtre. D’où viennent ces astres minuscules et où vont-ils ? Nul ne pourrait le dire avec quelque certitude. Il nous est seulement permis de supposer qu’ils proviennent de la dislocation de quelque astre vieilli, dont les éléments, dispersés dans l’espace, vont grossir d’autres astres plus jeunes. 6o Enfin, le soleil se déplace dans les espaces infinis du ciel, entraînant après lui les planètes et leurs satellites, les comètes et les météorites, et décrivant autour de quelque soleil plus volumineux et doué d’une force d’attraction plus puissante, ou bien autour d’un groupe de soleils, une orbite dont nous ignorons le tracé, mais qu’il parcourt avec une rapidité telle qu’il franchit en une seule année plus d’une fois et demie la distance du soleil à la terre, c’est-à-dire près de 250 millions de lieues.

Étoiles. Malgré l’immense étendue qu’il occupe dans le ciel, notre monde solaire ne représente qu’une fraction infinitésimale de l’univers. Chacune des étoiles qui brillent dans la nuit de notre terre est un soleil analogue au nôtre, servant comme lui, selon toute probabilité, de centre à un système planétaire comparable à celui qui se meut autour de notre soleil ; or, le nombre des étoiles est incalculable ; nous n’en pouvons voir qu’une très minime partie, et beaucoup sont situées à une telle distance de notre globe qu’il pourra parcourir toutes les phases de son évolution avant que leur lumière soit venue le frapper.

Nébuleuses. Indépendamment des planètes, des soleils ou étoiles et des autres astres à forme définie dont nous venons de parler, il existe, dispersés dans l’immensité du ciel, des corps lumineux que l’irrégularité de leurs contours et l’indécision de leurs limites ont fait désigner sous le nom de nébuleuses. Certaines nébuleuses sont constituées par des amas d’étoiles très rapprochées en apparence les unes des autres, tandis que d’autres sont manifestement composées d’une substance vaporeuse qui ne s’est pas encore condensée en étoile. Assurément, ces masses énormes ne sont pas plus en repos que les étoiles et les planètes. Toutes les parties constituantes de l’univers se meuvent suivant des lois précises et subissent, les unes par rapport aux autres, des déplacements que l’astronome peut mesurer avec autant de précision que le physicien compte les oscillations d’un pendule. Composés d’une matière qui change sans cesse de forme, mais qu’aucune puissance ne saurait ni détruire ni créer, ils parcourent, en nombre indéfini, d’un mouvement éternel, un espace illimité.

Après ce rapide coup d’œil jeté sur l’organisation de l’univers, il nous sera plus facile d’exposer les systèmes imaginés par Buffon, par ses prédécesseurs et par ses successeurs pour expliquer l’origine et la formation de la terre.

Système de Leibnitz. À l’époque de Buffon, on admettait assez, généralement l’opinion émise par Leibnitz sur cette grave question. Le philosophe allemand pensait que la terre et les autres planètes de notre système solaire avaient été jadis autant de soleils fluides, incandescents et lumineux, qui s’étaient peu à peu solidifiés et refroidis par rayonnement dans l’espace. Mais ni lui ni les adeptes de sa manière de voir ne s’étaient préoccupés de savoir ni comment s’étaient formés ni d’où provenaient tous ces soleils. C’est cette lacune de la théorie de Leibnitz que Buffon s’efforce de combler dans son mémoire sur la formation des planètes.

Système de Buffon. Buffon admet avec Leibnitz que les planètes ont été d’abord fluides, incandescentes et lumineuses ; mais, allant beaucoup plus loin que le philosophe allemand, il démontre qu’elles doivent être issues du soleil, autour duquel elles se meuvent, et il émet l’hypothèse qu’elles ne sont que des parcelles de cet astre détachées par le choc oblique d’une comète. « Ne peut-on pas, dit-il[3], imaginer, avec quelque sorte de vraisemblance, qu’une comète, tombant sur la surface du soleil, aura déplacé cet astre et qu’elle en aura séparé quelques petites parties auxquelles elle aura communiqué un mouvement d’impulsion dans le même sens et par un même choc, en sorte que les planètes auraient autrefois appartenu au corps du soleil, et qu’elles en auraient été détachées par une force impulsive commune à toutes, qu’elles conservent encore aujourd’hui ? Cela me paraît au moins ainsi probable que l’opinion de M. Leibnitz, qui prétend que les planètes et la terre ont été des soleils, et je crois que son système aurait acquis un grand degré de généralité et un peu plus de probabilité, s’il se fût élevé à cette idée. » Dans une addition à cet article, il dit encore[4] : « La matière des planètes, au sortir du soleil, était aussi lumineuse que la matière même de cet astre ; et les planètes ne sont devenues opaques, ou pour mieux dire obscures, que quand leur état d’incandescence a cessé. Comme le torrent de la matière projetée par la comète hors du corps du soleil a traversé l’immense atmosphère de cet astre, il en a entraîné les parties volatiles, aériennes et aqueuses, qui forment aujourd’hui les atmosphères et les mers des planètes. Ainsi, l’on peut dire qu’à tous égards la matière dont sont composées les planètes est la même que celle du soleil, et qu’il n’y a d’autre différence que par le degré de chaleur, extrême dans le soleil, et plus ou moins attiédie dans les planètes, suivant le rapport composé de leur épaisseur et de leur densité. »

Les arguments sur lesquels Buffon appuie sa théorie sont les suivants :

1o « La direction commune de leur mouvement d’impulsion qui fait que les six planètes vont toutes d’occident en orient : il y a 64 à parier contre 1 qu’elles n’auraient pas eu ce mouvement dans le même sens, si la même cause ne l’avait pas produit, ce qu’il est aisé de prouver par la doctrine des hasards[5]. »

2o « L’inclinaison des orbites n’excède pas 7 degrés et demi ; car, en comparant les espaces, on trouve qu’il y a 24 contre 1 pour que deux planètes se trouvent dans des plans plus éloignés, et par conséquent 245 ou 7 692 624 à parier contre 1 que ce n’est pas par hasard qu’elles se trouvent toutes six ainsi placées et renfermées dans l’espace de 7 degrés et demi, ou, ce qui revient au même, il y a cette probabilité qu’elles ont quelque chose de commun dans le mouvement qui leur a donné cette position. Mais que peut-il y avoir de commun dans l’impression d’un mouvement d’impulsion, si ce n’est la force et la direction des corps qui le communiquent ? On peut donc conclure avec une très grande vraisemblance que les planètes ont reçu leur mouvement d’impulsion par un seul coup. Cette probabilité, qui équivaut presque à une certitude, étant acquise, je cherche quel corps en mouvement a pu faire ce choc et produire cet effet, et je ne vois que les comètes capables de communiquer un aussi grand mouvement à d’aussi vastes corps[6]. »

« 3o La conformité entre la densité de la matière des planètes et la densité de la matière du soleil. Nous connaissons sur la surface de la terre des matières 14 ou 15 000 fois plus denses les unes que les autres, les densités de l’or et de l’air sont à peu près dans ce rapport ; mais l’intérieur de la terre et le corps des planètes sont composés de parties plus similaires et dont la densité comparée varie beaucoup moins, et la conformité de la densité de la matière des planètes et de la densité de la matière du soleil est telle, que sur 650 parties qui composent la totalité de la matière des planètes, il y en a plus de 640 qui sont presque delà même densité que la matière du soleil, et qu’il n’y a pas dix parties sur ces 650 qui soient d’une plus grande densité ; car Saturne et Jupiter sont à peu près de la même densité que le soleil, et la quantité de matière que ces deux planètes contiennent est au moins 64 fois plus grande que la quantité de matière des quatre planètes inférieures, Mars, la terre, Vénus et Mercure. On doit donc dire que la matière dont sont composées les planètes en général est à peu près la même que celle du soleil, et que par conséquent cette matière peut en avoir été séparée[7]. »

Buffon cherche ensuite à expliquer pourquoi les planètes ont des densités différentes et pourquoi elles sont inégalement distantes du soleil. « La comète, dit-il[8], ayant par un seul coup communiqué un mouvement de projectile à une quantité de matière égale à la six cent cinquantième partie de la masse du soleil, les particules les moins denses se seront séparées des plus denses et auront formé par leur attraction mutuelle des globes de différente densité : Saturne, composé des parties les plus grosses et les plus légères, se sera le plus éloigné du soleil, ensuite Jupiter, qui est plus dense que Saturne, se sera moins éloigné, et ainsi de suite. Les planètes les plus grosses et les moins denses sont les plus éloignées, parce qu’elles ont reçu un mouvement d’impulsion plus fort que les plus petites et les plus denses ; car la force d’impulsion se communiquant par les surfaces, le même coup aura fait mouvoir les parties les plus grosses et les plus légères de la matière du soleil avec plus de vitesse que les parties les plus petites et les plus massives ; il se sera donc fait une séparation des parties denses de différents degrés, en sorte que la densité de la matière du soleil étant égale à 100, celle de Saturne est égale à 67, celle de Jupiter = 94 1/2, celle de Mars = 200, celle de la terre = 400, celle de Vénus = 800, et celle de Mercure = 2 800. Mais la force d’attraction ne se communiquant pas, comme celle d’impulsion, par la surface, et agissant au contraire sur toutes les parties de la masse, elle aura retenu les portions de matières les plus denses, et c’est pour cette raison que les planètes les plus denses sont les plus voisines du soleil, et qu’elles tournent autour de cet astre avec plus de rapidité que les planètes les moins denses, qui sont aussi les plus éloignées. »

Il prévoit qu’on lui objectera que, si les planètes ont été détachées du soleil, elles devraient se trouver dans le même état que cet astre, « elles devraient être, comme le soleil, brûlantes et lumineuses, et non pas froides et opaques comme elles le sont[9]. » Or, « rien ne ressemble moins à ce globe de feu qu’un globe de terre et d’eau ; et, à en juger par comparaison, la matière de la terre et des planètes est tout à fait différente de celle du soleil. »

« À cela on peut répondre, dit-il[10], que, dans la séparation qui s’est faite des particules plus ou moins denses, la matière a changé de forme, et que la lumière ou le feu se sont éteints par cette séparation causée par le mouvement d’impulsion. D’ailleurs, ne peut-on pas soupçonner que, si le soleil ou une étoile brûlante et lumineuse par elle-même se mouvait avec autant de vitesse que se meuvent les planètes, le feu s’éteindrait peut-être, et que c’est par cette raison que toutes les étoiles lumineuses sont fixes et ne changent pas de lieu[11], et que ces étoiles que l’on appelle nouvelles, qui ont probablement changé de lieu, se sont éteintes aux yeux même des observateurs ? Ceci se confirme par ce qu’on a observé sur les comètes, elles doivent brûler jusqu’au centre lorsqu’elles passent à leur périhélie ; cependant elles ne deviennent pas lumineuses par elles-mêmes, on voit seulement qu’elles exhalent des vapeurs brûlantes dont elles laissent en chemin une partie considérable. »

Un peu plus bas[12], il ajoute : « On pourrait répondre encore que le feu ne peut pas subsister aussi longtemps dans les petites que dans les grandes masses, et qu’au sortir du soleil les planètes ont dû brûler pendant quelque temps, mais qu’elles se sont éteintes faute de matières combustibles, comme le soleil s’éteindra probablement par la même raison, mais dans des âges futurs et aussi éloignés des temps auxquels les planètes se sont éteintes, que sa grosseur l’est de celle des planètes : quoi qu’il en soit, la séparation des parties plus ou moins denses, qui s’est faite nécessairement dans le temps que la comète a poussé hors du soleil la matière des planètes, me paraît suffisante pour rendre raison de cette extinction de leurs feux. »

Il lui reste à expliquer la formation des satellites des planètes ; il le fait de la façon suivante[13] : « L’obliquité du coup a pu être telle qu’il se sera séparé du corps de la planète principale de petites parties de matière qui auront conservé la même direction de mouvement que la planète même ; ces parties se seront réunies, suivant leurs densités, à différentes distances de la planète par la force de leur attraction mutuelle, et en même temps elles auront suivi nécessairement la planète dans son cours autour du soleil en tournant elles-mêmes autour de la planète, à peu près dans le plan de son orbite. On voit bien que ces petites parties, que la grande obliquité du coup aura séparées, sont les satellites ; ainsi la formation, la position et la direction des mouvements des satellites s’accordent parfaitement avec la théorie, car ils ont tous la même direction de mouvement dans des cercles concentriques autour de leur planète principale ; leur mouvement est dans le même plan, et ce plan est celui de l’orbite de la planète ; tous ces effets, qui leur sont communs et qui dépendent de leur mouvement d’impulsion, ne peuvent venir que d’une cause commune, c’est-à-dire d’une impulsion commune de mouvement, qui leur a été communiquée par un seul et même coup donné sous une certaine obliquité.

» Ce que nous venons de dire sur la cause du mouvement de rotation et de la formation des satellites acquerra plus de vraisemblance, si nous faisons attention à toutes les circonstances des phénomènes. Les planètes, qui tournent le plus vite sur leur axe, sont celles qui ont des satellites ; la terre tourne plus vite que Mars dans le rapport d’environ 24 à 15, la terre a un satellite et Mars n’en a point ; Jupiter surtout, dont la rapidité autour de son axe est 5 ou 600 fois plus grande que celle de la terre, a quatre satellites, et il y a grande apparence que Saturne, qui en a cinq et un anneau, tourne encore beaucoup plus vite que Jupiter.

» On peut même conjecturer, avec quelque fondement, que l’anneau de Saturne est parallèle à l’équateur de cette planète, en sorte que le plan de l’équateur de l’anneau et celui de l’équateur de Saturne sont à peu près les mêmes ; car en supposant, suivant la théorie précédente, que l’obliquité du coup par lequel Saturne a été mis en mouvement ait été fort grande, la vitesse autour de l’axe qui aura résulté de ce coup oblique aura pu d’abord être telle que la force centrifuge excédait celle de la gravité, et il se sera détaché de l’équateur de la planète une quantité considérable de matière, qui aura nécessairement pris la figure d’un anneau, dont le plan doit être à peu près le même que celui de l’équateur de la planète ; et cette partie de matière qui forme l’anneau ayant été détachée de la planète dans le voisinage de l’équateur, Saturne en a été abaissé d’autant sous l’équateur, ce qui fait que, malgré la grande rapidité que nous lui supposons autour de son axe, les diamètres de cette planète peuvent n’être pas aussi inégaux que ceux de Jupiter, qui diffèrent de plus d’une onzième partie. »

Il résume ensuite de la façon suivante[14] son hypothèse et les arguments sur lesquels il l’appuie : « Quelque grande que soit, à mes yeux, la vraisemblance de ce que j’ai dit jusqu’ici sur la formation des planètes et de leurs satellites, comme chacun a sa mesure, surtout pour estimer des probabilités de cette nature, et que cette mesure dépend de la puissance qu’a l’esprit pour combiner des rapports plus ou moins éloignés, je ne prétends pas contraindre ceux qui n’en voudront rien croire. J’ai cru seulement devoir semer ces idées, parce qu’elles m’ont paru raisonnables et propres à éclaircir une matière sur laquelle on n’a jamais rien écrit, quelque important qu’en soit le sujet, puisque le mouvement d’impulsion des planètes entre au moins pour moitié dans la composition du système de l’univers, que l’attraction seule ne peut expliquer. J’ajouterai seulement, pour ceux qui voudraient nier la possibilité de mon système, les questions suivantes :

« 1o N’est-il pas naturel d’imaginer qu’un corps qui est en mouvement ait reçu ce mouvement par le choc d’un autre corps ?

» 2o N’est-il pas très probable que plusieurs corps qui ont la même direction dans leur mouvement ont reçu cette direction par un seul ou par plusieurs coups dirigés dans le même sens ?

» 3o N’est-il pas tout à fait vraisemblable que plusieurs corps, ayant la même direction dans leur mouvement et leur position dans un même plan, n’ont pas reçu cette direction dans le même sens et cette position dans le même plan par plusieurs coups, mais par un seul et même coup ?

» 4o N’est-il pas très probable qu’en même temps qu’un corps reçoit un mouvement d’impulsion, il le reçoive obliquement, et que par conséquent il soit obligé de tourner sur lui-même, d’autant plus vite que l’obliquité du coup aura été plus grande ?

» Si ces questions ne paraissent pas déraisonnables, le système dont nous venons de donner une ébauche cessera de paraître une absurdité. »

En admettant que les planètes sont issues du soleil et qu’elles en sont sorties à l’état d’incandescence pour se refroidir ensuite, tandis que le soleil conserve sa chaleur primitive, Buffon n’ignorait pas qu’il aurait à expliquer la persistance de la chaleur solaire ; il le fait de la façon suivante[15] :

« Il m’a paru qu’on peut déduire la cause qui a pu produire la chaleur du soleil des effets naturels, c’est-à-dire la trouver dans la constitution du système du monde : car le soleil ayant à supporter tout le poids, toute l’action de la force pénétrante des vastes corps qui circulent autour de lui, et ayant à souffrir en même temps l’action rapide de cette espèce de frottement intérieur dans toutes les parties de sa masse, la matière qui le compose doit être dans l’état de la plus grande division ; elle a dû devenir et demeurer fluide, lumineuse et brûlante, en raison de cette pression et de ce frottement intérieur, toujours également subsistant. Les mouvements irréguliers des taches du soleil, aussi bien que leur apparition spontanée et leur disparition, démontrent assez que cet astre est liquide, et qu’il s’élève de temps en temps à sa surface des espèces de scories ou d’écumes, dont les unes nagent irrégulièrement sur cette matière en fusion, et dont quelques autres sont fixes pour un temps et disparaissent comme les premières lorsque l’action du feu les a de nouveau divisées. On sait que c’est par le moyen de quelques-unes de ces taches fixes qu’on a déterminé la durée de la rotation du soleil en vingt-cinq jours et demi.

» Or, chaque comète et chaque planète forment une roue dont les raies sont les rayons de la force attractive ; le soleil est l’essieu ou le pivot commun de toutes ces différentes roues ; la comète ou la planète en est la jante mobile, et chacune contribue de tout son poids et de toute sa vitesse à l’embrasement de ce foyer général, dont le feu durera par conséquent aussi longtemps que le mouvement et la pression des vastes corps qui le produisent.

» De là ne doit-on pas présumer que si l’on ne voit pas des planètes autour des étoiles fixes, ce n’est qu’à cause de leur immense éloignement ? Notre vue est trop bornée, nos instruments trop peu puissants pour apercevoir ces astres obscurs, puisque ceux même qui sont lumineux échappent à nos yeux, et que dans le nombre infini de ces étoiles nous ne connaîtrons jamais que celles dont nos instruments de longue vue pourront nous rapprocher ; mais l’analogie nous indique qu’étant fixes et lumineuses comme le soleil, les étoiles ont dû s’échauffer, se liquéfier et brûler par la même cause, c’est-à-dire par la pression active des corps opaques, solides et obscurs qui circulent autour d’elles. Cela seul peut expliquer pourquoi il n’y a que les astres fixes qui soient lumineux, et pourquoi dans l’univers solaire tous les astres errants sont obscurs.

» Et la chaleur produite par cette cause devant être en raison du nombre, de la vitesse et de la masse des corps qui circulent autour du foyer, le feu du soleil doit être d’une ardeur ou plutôt d’une violence extrême, non seulement parce que les corps qui circulent autour de lui sont tous vastes, solides et mus rapidement, mais encore parce qu’ils sont en grand nombre : car, indépendamment des six planètes, de leurs dix satellites et de l’anneau de Saturne, qui tous pèsent sur le soleil et forment un volume de matière deux mille fois plus grand que celui de la terre, le nombre des comètes est plus considérable qu’on ne le croit vulgairement : elles seules ont pu suffire pour allumer le feu du soleil avant la projection des planètes, et suffiraient encore pour l’entretenir aujourd’hui. »

Le lecteur a dû distinguer dans le système de Buffon deux parties différentes. D’une part, il s’efforce de démontrer que toutes les planètes, sans en excepter la terre, offrent dans leur constitution et leurs mouvements des caractères tels que tout porte à croire qu’elles sont de même nature que le soleil et qu’elles en sont issues ; d’autre part, il cherche à expliquer comment elles ont été séparées de l’astre qui, aujourd’hui, les éclaire et les réchauffe.

La première partie de ce système a été pleinement confirmée par les observations ultérieures. Elle constituait un immense progrès sur les opinions émises antérieurement à Buffon, même sur celle de Leibnitz. « Les planètes sont des soleils refroidis, » disait ce dernier. Buffon ajoute : « Les planètes et le soleil autour duquel elles se meuvent ont une origine commune ; non seulement les planètes ont été des soleils, mais encore elles ont fait partie du soleil. »

Analogies entre le soleil et les planètes. Toutes les découvertes faites depuis cent ans confirment l’existence des analogies signalées par Buffon entre le soleil et les planètes. En premier lieu, ainsi que Buffon le fait remarquer, toutes les planètes se meuvent autour de leur axe dans un même sens, qui est précisément celui dans lequel le soleil tourne sur lui-même. En second lieu, toutes suivent, dans leur mouvement de translation autour du soleil, une ellipse située dans un plan qui passe à la fois par leur centre et par celui du soleil ; toutes ces ellipses ne sont pas, il est vrai, situées dans le même plan ; mais l’écartement de leurs plans n’est pas très considérable, puisqu’il n’est, au maximum, que d’un peu plus de 7 degrés.

Buffon est le premier qui ait vu la signification réelle de ces faits et qui en ait déduit les légitimes conséquences. La même observation s’applique aux analogies qu’il signale entre la densité des planètes et celle du soleil, et aux rapports qui existent entre la densité des planètes et leur éloignement du soleil. D’après les données les plus récentes, si l’on prend pour unité la densité de la terre, on obtient pour les autres planètes les chiffres suivants : Mercure 1,376, Vénus 0,905, Mars 0,714, Jupiter 0,243, Neptune 0,216, Uranus 0,208, Saturne 0,121. En comparant ces chiffres, on s’assure que la planète la plus dense, Mercure, est aussi la plus rapprochée du soleil. La terre, Vénus et Mars, qui viennent à la suite, dans l’ordre des densités, sont plus rapprochées du soleil que les planètes les moins denses : Jupiter, Neptune, Uranus et Saturne. On peut objecter que la densité du soleil est moindre que celle de la terre, de Vénus, de Mars et de Mercure, et que le contraire devrait exister s’il était vrai que les planètes les plus rapprochées du soleil en fussent issues les dernières et dussent ainsi offrir le maximum d’analogies avec cet astre. Mais on peut répondre à cela que les planètes dont la densité est supérieure à celle du soleil sont aussi les moins volumineuses, celles qui se meuvent avec le plus de rapidité, et, par conséquent, celles qui ont dû subir la condensation et le refroidissement les plus considérables. En effet, si l’on désigne par 1 le rayon de la terre, on trouve pour celui de Vénus 0,95, pour celui de Mars 0,54 et pour celui de Mercure 0,38 ; tandis que celui d’Uranus et celui de Neptune sont 4, celui de Saturne 9, celui de Jupiter 11 ; tandis que le volume relatif du soleil est 1 279 267. D’autre part, il est démontré que la vitesse du mouvement de translation des planètes est d’autant plus grande que celles-ci sont plus rapprochées du soleil. La vitesse moyenne de Mercure est de 47 kilom. par seconde, celle de Vénus est de 35 kilom., celle de la terre est de 29 kilom., celle de Mars est de 24 kilom., celle de Jupiter est de 13, celle de Saturne est de 10, celle d’Uranus est de 7 et celle de Neptune de 5 seulement. Si l’on admet que la condensation et le refroidissement aient dû s’effectuer avec d’autant plus de promptitude que les planètes sont moins volumineuses et se meuvent plus rapidement, on voit que les planètes les plus rapprochées du soleil étant les moins volumineuses et les plus rapides dans leurs courses doivent aussi être les plus denses et doivent l’être beaucoup plus que le soleil, dont le volume est énorme et dont la vitesse de translation est relativement très faible. La terre devrait, il est vrai, être moins dense que Vénus, puisque son volume et sa vitesse sont plus grands que ceux de cette dernière, et cependant c’est le contraire qui existe. Mais la différence est peu considérable, et il est bien permis de supposer que d’autres causes que la vitesse et le volume sont de nature à hâter ou à retarder la condensation et le refroidissement des planètes. Vénus est, par exemple, dépourvue de satellite, tandis que la terre en possède un. N’y a-t-il pas là une cause capable d’influer sur la rapidité de la condensation de ces planètes ?

Âge des planètes. Un autre fait qui plaide en faveur de la communauté d’origine de toutes les planètes est celui de l’analogie qu’elles présentent dans leur constitution physique. Les planètes sont toutes, actuellement, à l’état solide, sinon en totalité, du moins en très grande partie, ce qui paraît indiquer qu’elles ont à peu près le même âge, car il est manifeste, ainsi que nous aurons à le dire plus bas, qu’elles ont toutes passé par la phase d’incandescence dans laquelle se trouvent aujourd’hui le soleil et les étoiles. Or, de la similitude d’âge, n’est-il pas permis de conclure à la communauté d’origine ?

Caractères communs des planètes. L’état solide dans lequel sont les planètes ne permet pas d’étudier directement leur composition chimique, comme on le fait pour le soleil, les étoiles communs et tous les astres incandescents ; mais on a pu s’assurer que certaines d’entre elles possèdent une atmosphère et peut-être des mers semblables ou analogues à celles de la terre. Secchi a signalé dans le spectre de Vénus l’existence de raies analogues aux raies de la vapeur d’eau de l’atmosphère terrestre, d’où il conclut non seulement à l’existence d’une atmosphère autour de cette planète, mais encore à l’identité ou, du moins, à l’analogie de composition de cette atmosphère avec la nôtre. Des observations répétées et confirmées les unes par les autres démontrent l’existence, à la surface de Mars, d’une atmosphère, de nuages, de mers, de glaces semblables aux nôtres ; on a cru même y découvrir la coloration caractéristique d’une végétation. À la surface de Jupiter, on a également reconnu d’une façon positive, la présence d’une atmosphère et de nuages identiques à ceux de la terre. De recherches récentes, il est permis de conclure avec certitude que Saturne possède également une atmosphère, et l’on peut supposer qu’il existe au niveau de ses pôles des glaces analogues à celles de la terre et de Mars. Quoique l’observation d’Uranus soit beaucoup plus difficile, à cause de la distance à laquelle nous en sommes, que celle des planètes précédentes, il résulte des recherches spectroscopiques faites pendant ces dernières années que cette planète possède une atmosphère analogue à celles de Jupiter et de Saturne. Enfin, Neptune, que sa très grande distance rend plus difficile encore à étudier, paraît être dans le même cas que les précédentes. M. Vogel, dit en effet, de son spectre qu’il « paraît être identique à celui d’Uranus ».

Analyse spectroscopique des astres. J’ai dit plus haut que toutes les planètes semblent être parvenues au même âge. Les observations spectroscopiques faites sur l’atmosphère qui enveloppe leur surface paraît, cependant, indiquer que leurs portions superficielles ne sont pas exactement dans le même état. Mars et Vénus présentent une atmosphère tellement analogue à celle de la terre par sa constitution physique et probablement aussi par sa composition chimique qu’on a pu émettre avec quelque fondement l’hypothèse que ces deux planètes sont à peu près exactement du même âge que la terre et qu’elles possèdent peut-être des êtres vivants analogues à ceux qui peuplent notre globe. Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, dont la densité est beaucoup plus faible, sont, au contraire, enveloppés d’une atmosphère assez différente de la nôtre pour que quelques astronomes aient cru pouvoir admettre que leurs couches les plus superficielles sont encore à l’état fluide. Si cette manière de voir était confirmée, on pourrait y trouver un argument en faveur de l’opinion du mathématicien Poisson, dont nous aurons à reparler plus tard, d’après laquelle la terre et les autres planètes se seraient solidifiées et refroidies, non point de la surface au centre, comme on le suppose généralement, mais, au contraire, du centre à la périphérie.

L’état d’incandescence du soleil rendant plus faciles les observations de spectroscopie, on a déjà cherché à pénétrer le secret de sa composition chimique. Or, toutes les observations faites jusqu’à ce jour permettent de croire qu’il est formé des mêmes substances qui entrent dans la composition de notre globe.

Structure du soleil. Rappelons d’abord les traits principaux de la constitution physique du soleil. On ignore encore quelle est la nature de sa portion centrale, si elle est à l’état gazeux, liquide ou solide ; mais tout permet de supposer qu’elle est formée par un noyau incandescent. Ce dernier est entouré d’une couche périphérique que seule nous pouvons étudier et qui est connue sous le nom de photosphère. Celle-ci est manifestement formée de masses nuageuses, incandescentes, mais dont il est difficile de dire avec certitude si elles sont constituées par des liquides, des gaz ou des particules solides en combustion. Peut-être ces trois sortes d’état s’y trouvent-ils réunis. En observant cette couche superficielle du soleil, on y a découvert depuis longtemps des taches à fond noir et à bord irrégulièrement découpé, brillant, et à parois ombrées, dont la nature a été l’objet de bien des discussions. Aujourd’hui, on s’accorde généralement à admettre qu’elles sont dues à des dépressions de la couche périphérique, ou photosphère, du soleil, dépressions qui, selon les uns, n’auraient qu’une épaisseur relativement peu considérable, tandis que, d’après d’autres, elles seraient de véritables trous, perçant toute l’épaisseur de la photosphère et mettant à nu le noyau central du soleil. De la photosphère s’élèvent sans cesse des expansions irrégulières, incandescentes et très lumineuses qui atteignent parfois une grande hauteur et que l’on désigne sous le nom de protubérances. La photosphère est entourée d’une atmosphère gazeuse, incandescente, dont la portion profonde, mince, est formée par les vapeurs des éléments chimiques du soleil et dont la portion superficielle, beaucoup plus épaisse mais moins dense, se compose en majeure partie d’hydrogène gazeux incandescent. Enfin, en dehors de la chromosphère, on distingue une deuxième atmosphère moins lumineuse, la couronne, constituée par l’hydrogène incandescent et par les matières les plus légères que lancent les protubérances. Remarquons, en passant, que toutes les opinions émises relativement à la constitution physique du soleil s’accordent à considérer les parties les plus superficielles comme formées des substances les moins denses. La couronne et la chromosphère, par exemple, sont des gaz très légers, en combustion, tandis que la photosphère, en admettant même qu’elle soit formée de vapeurs, est constituée par des vapeurs beaucoup plus denses que celles des deux premières couches. J’ai dit plus haut que la question la plus discutée est celle des taches ; c’est aussi la plus importante. L’opinion la plus généralement admise aujourd’hui, relativement à la cause qui détermine leur production, est celle de M. Faye. D’après ce savant astronome, les couches qui composent la photosphère se déplacent autour du noyau central avec une vitesse d’autant plus considérable qu’on envisage des points plus rapprochés des pôles du soleil. Cette différence de vitesse des couches qui composent la photosphère détermine « des tourbillons verticaux tout à fait analogues à ceux qui se produisent si aisément dans les cours d’eau partout où une cause quelconque diminue ou augmente la vitesse des tranches parallèles au sens du mouvement. Les tourbillons de la photosphère absorbent les nuages lumineux de la surface brillante, et comme ils exercent aussi, dans le sens de leur axe, une sorte d’aspiration sur les régions froides placées au-dessus, ils entraînent dans leur entonnoir, évasé circulairement, les matériaux refroidis de la chromosphère ; de là un abaissement de température bien capable de donner l’opacité requise au noyau obscur du tourbillon. » Les trous les plus noirs sont dus à ce que le tourbillon pénètre plus profondément dans l’épaisseur de la photosphère. Quant aux bords des taches, ils sont plus brillants que le reste du disque solaire, parce que le tourbillon y détermine une condensation des parties lumineuses de la photosphère qu’il écarte. Enfin, la zone ombrée (pénombre), située entre la tache noire centrale (noyau) et les bords lumineux (facules), est produite par des granulations lumineuses que les courants ascendants amènent et qui, étant saisies par l’abaissement de température qui se produit le long des parois de l’entonnoir, s’y condensent et s’y déposent en perdant une partie de leur chaleur et de leur lumière. Pour expliquer les protubérances qui font saillie à la surface de la photosphère, Faye suppose que les masses gazeuses de la chromosphère, aspirées par les tourbillons et entraînées par eux jusqu’à une certaine profondeur dans la photosphère, remontent ensuite à la surface, en surgissant sous la forme de flammes d’autant plus hautes que la force d’expansion du gaz en combustion est plus grande.

Composition chimique du soleil. Voyons maintenant quels sont les résultats qui ont été obtenus dans les recherches faites sur la composition chimique du soleil. L’importance de ces observations, l’époque relativement récente à laquelle elles ont été commencées, et surtout les résultats merveilleux qu’elles ont donnés et qu’elles fournissent chaque jour, rendent nécessaire de dire quelques mots des procédés employés pour les faire, et des principes sur lesquels ces derniers s’appuient.

Tout le monde sait que quand on fait passer un rayon de la lumière blanche du soleil à travers un prisme, il se décompose en sept rayons colorés : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet. En observant ces rayons, connus sous le nom de spectre solaire, à l’aide d’une lunette grossissante, un physicien de Munich, Fraüenhofer, découvrit, en 1817, qu’ils sont coupés, de distance en distance, par un grand nombre de raies noires ; il en compta plus de cinq cents ; on en figure aujourd’hui plus de trois mille. Ces raies ont reçu, du nom de celui qui les a vues le premier, la dénomination de raies de Fraüenhofer. Afin de préciser plus facilement leur position dans le spectre, Fraüenhofer en avait distingué huit principales, qu’il désigna par les huit premières lettres de l’alphabet. La raie A est à l’entrée du rouge, B au milieu du rouge, C vers la fin du rouge, près de l’orangé ; D est située à peu près entre l’orangé et le vert ; E est au milieu du vert, F au milieu du bleu, G vers la fin de l’indigo ; H, qui est double, à la fin du violet. Fraüenhofer et ses successeurs ne tardèrent pas à voir des raies semblables dans la lumière fournie par la lune et les autres planètes, c’est-à-dire par tous les astres qui réfléchissent la lumière du soleil. On en trouva aussi dans le spectre des étoiles, mais elles y étaient différentes et différemment disposées. On les constata dans les spectres d’un grand nombre de lumières artificielles et l’on ne tarda pas à s’assurer, par ces dernières observations, que les raies varient de dimension, d’éclat, de position et de nombre suivant la nature des corps qui produisent la lumière examinée. Un autre fait très remarquable ne tarda pas à être découvert. On vit que la lumière électrique donne, non pas des raies sombres, mais un certain nombre de raies lumineuses. Examinant la lumière produite par la flamme d’une lampe à alcool ou à gaz dans laquelle on fait vaporiser un métal ou un de ses sels, on vit que cette lumière ne donne pas un spectre continu, mais seulement un certain nombre de raies brillantes, séparées par des espaces obscurs, et l’on s’assura que le nombre de ces raies brillantes est constant pour un même métal et qu’elles occupent toujours la même position par rapport aux raies du spectre solaire.

Dès le début de ces recherches, on a imaginé un instrument, le spectroscope, à l’aide duquel on peut examiner simultanément et superposer le spectre du soleil et celui de la lumière produite par un corps quelconque en combustion. Avec ce remarquable appareil, on put déterminer la position des raies obscures ou brillantes des diverses lumières, par rapport à celles du spectre solaire ; on étudia le spectre d’un très grand nombre de corps, et la nature des raies de chacun d’eux devint aussi caractéristique que sa coloration, sa densité, ses réactions chimiques, etc. On vit, par exemple, que le spectre du sodium est essentiellement caractérisé par une raie jaune, située exactement au niveau de la double raie D de Fraüenhofer, que le spectre du potassium est une raie rouge et une raie violette, etc. On fit d’autant plus volontiers usage de ce caractère pour reconnaître les corps, qu’il suffit de projeter une quantité infinitésimale du corps à étudier ou d’un de ses sels dans une flamme d’alcool ou de gaz pour obtenir le spectre de ce corps. La raie jaune du sodium, par exemple, est fournie par une flamme dans laquelle on introduit la millionième partie d’un milligramme de ce métal. Enfin, un autre fait très important fut encore découvert. On vit que si l’on fait passer une lumière Drummond, dont le spectre est très brillant, continu et sans des raies sur le spectre solaire, à travers une flamme contenant du sodium, celle-ci, au lieu de donner la raie jaune caractéristique du sodium, fournit, exactement à la même place, une raie noire très nette et de même dimension. En répétant cette expérience avec des flammes contenant d’autres corps en combustion, on s’assura qu’il est constant que les lumières métalliques traversées par la lumière Drummond, interceptent, ou pour nous servir de l’expression des physiciens, absorbent les rayons de cette lumière, précisément au niveau des points où elles donnent, quand elles sont isolées, des raies brillantes. Ainsi, la flamme du potassium, qui donne une raie rouge et une raie violette quand elle est isolée, fournit deux raies noires à leur place quand elle est traversée par la lumière Drummond. On désigna ce phénomène sous le nom de renversement du spectre des flammes, et l’on en tira l’explication des raies obscures de Fraüenhofer que présente le spectre solaire. Il devint évident que le spectre solaire est ce que les physiciens appellent un « spectre d’absorption », c’est-à-dire qu’il est produit par une lumière assez intense pour que, si elle était observée seule, elle donnât un spectre continu comme celui de la lumière Drummond, mais que cette lumière traverse une autre lumière moins dense, riche en vapeurs métalliques, qui absorbent une partie de ses rayons dans des points qui donneraient des raies brillantes si on pouvait observer isolément cette deuxième lumière. La première fut attribuée à la photosphère, et la seconde à la chromosphère. On considère la lumière fournie par la chromosphère comme produite par la combustion de métaux qui donneraient des raies brillantes, si cette lumière nous parvenait seule, mais il n’en est pas ainsi : les flammes métalliques de la chromosphère sont nécessairement traversées par la lumière qu’émet la photosphère, et cette dernière, jouant le rôle de la lumière Drummond dans l’expérience citée plus haut, les raies brillantes que donnerait la chromosphère isolée se trouvent remplacées par autant de raies obscures. En partant de ce principe, il suffirait donc de comparer les raies noires du spectre solaire à celles que donnent les diverses flammes métalliques que nous pouvons produire quand elles sont traversées par la lumière Drummond, pour déterminer la nature des corps qui sont en combustion dans la chromosphère du soleil. C’est ce qu’ont fait un grand nombre d’observateurs aussi patients que sagaces : Kirchhoff, Mitscherlich, Secchi, Bunsen, Janssen, Huggins, etc. En étudiant avec le spectroscope la lumière qui nous vient du soleil tout entier, c’est-à-dire la lumière absorbante de la chromosphère traversée par la lumière plus vive de la photosphère, ces physiciens ont pu déterminer la présence dans le soleil d’un grand nombre de métaux qui entrent dans la composition de notre globe : le sodium, le baryum, le calcium, le magnésium, l’aluminium, le fer, le manganèse, le chrome, le cobalt, le nickel, le zinc, le cuivre, le titane, le cadmium, le strontium, le cérium, l’uranium, le plomb, le potassium et un métalloïde : l’hydrogène.

On a aussi essayé d’analyser isolément, par le spectroscope, la lumière de la chromosphère, celle des protubérances et celle de la couronne. On a d’abord profité pour cela des éclipses totales, pendant lesquelles, la photosphère étant cachée, la chromosphère, les protubérances et la couronne se montrent seules ; puis M. Janssen, parvenant à opérer ces recherches en temps ordinaire, les a rendues beaucoup plus commodes. D’après ce que nous avons dit plus haut, on devait s’attendre, en examinant la lumière de la chromosphère isolée, à obtenir un spectre dans lequel les raies noires du spectre ordinaire seraient remplacées par des raies brillantes. C’est, en effet, ce qui a lieu. On a ainsi reconnu l’existence dans la chromosphère des métaux suivants : sodium, baryum, magnésium, fer, manganèse, nickel, titane, cobalt, chrome, lithium, calcium, cérium, strontium, et celle de deux métalloïdes : l’hydrogène et le soufre. On regarde encore comme très probable la présence, dans la chromosphère, de l’oxygène, de l’azote et du chrome, parmi les métalloïdes ; du zinc, de l’erbium, de l’ythium, du lanthane, du didyme, de l’iridium et du ruthénium parmi les métaux. Par l’analyse de la couronne, on a obtenu un spectre contenant quelques raies obscures indiquant qu’elle donne en partie une lumière réfléchie, venant du reste du soleil, et une raie verte qui lui est propre ; on a attribué cette dernière soit à l’hydrogène, soit à l’oxygène.

Analogie de composition du soleil et de la terre. En résumé, les recherches spectroscopiques faites jusqu’à ce jour sur le soleil ont révélé une analogie complète entre la composition chimique de cet astre et celle de la terre, de même que les observations relatives aux planètes indiquent une grande similitude entre elles et notre globe ; enfin, tous ces faits plaident en faveur de l’opinion que toutes les parties constituantes du système solaire ont une origine commune.

L’origine des planètes d’après Buffon. Buffon avait donc vu juste quand il émettait l’opinion que la terre et toutes des planètes sont issues du soleil. Il nous reste à rechercher s’il était également dans le vrai ou si, au contraire, il commettait une erreur quand il attribuait la formation des planètes au choc oblique d’une comète contre la surface du soleil. Rappelons brièvement les traits principaux de son hypothèse : une comète rencontre le soleil, elle le frappe obliquement et détache la six cent cinquantième partie de ce globe vaporeux et incandescent. La matière ainsi séparée du soleil « ne sort pas de cet astre en globes tout formés auxquels la comète aurait communiqué son mouvement d’impulsion, mais cette matière est sortie sous la forme d’un torrent[16] » composé de substances différentes et ayant des densités inégales. Tandis que ce torrent enflammé s’éloignait de sa source avec une rapidité d’autant plus grande que « le mouvement des parties antérieures était accéléré par les parties postérieures » et « que d’ailleurs l’attraction des parties antérieures a dû aussi accélérer le mouvement des parties postérieures[17] » une division s’est opérée dans sa masse, « les particules les moins denses se seront séparées des plus denses et auront formé dans leur attraction mutuelle des globes de différente densité[18], » parmi lesquels « les plus gros et les moins denses sont les plus éloignés, parce qu’ils ont reçu un mouvement d’impulsion plus fort que les plus petits et les plus denses[19]. » Ces corps ont conservé le mouvement d’impulsion qu’ils avaient reçu de la comète, modifié d’un côté par l’attraction qu’exerce sur eux le soleil, de l’autre par l’accélération résultant de la poussée que les parties antérieures ont reçu des parties postérieures plus denses, et transformé en un mouvement elliptique autour du soleil. Quant aux satellites des planètes, ils ont été produits par la violence et l’obliquité du coup porté au soleil par la comète, leur mouvement elliptique étant le produit de la force de l’impulsion modifiée par l’attraction qu’exerce sur eux la planète dont ils ont été détachés. Tous ces globes se sont ensuite graduellement condensés et refroidis ; mais auparavant, sous l’action de la force centrifuge, leur matière encore fluide s’est portée vers l’équateur qui s’est renflé, tandis que les pôles s’aplatissaient.

Le système de Buffon ne fut, il faut bien le dire, accepté par personne. Grâce à l’autorité de Leibnitz, on s’était déjà habitué, il est vrai, à considérer la terre et les autres planètes comme ayant passé par une phase d’incandescence et de fluidité qui en faisait des soleils refroidis ; mais on avait en cela fait le maximum des concessions possibles à cette époque, et personne ne voulait accepter l’idée que la terre et les planètes eussent fait partie du soleil. On traita l’hypothèse de Buffon d’invraisemblable ; on railla sa comète ; on lui contesta la priorité de ses vues ; mais il ne vint à la pensée de personne de distinguer dans son système les deux parties qui le composent : l’une vraie, celle qui considère les planètes comme ayant fait partie du soleil ; l’autre fausse, moins importante que la première, dont elle n’est que l’explication hypothétique, celle qui attribue la séparation des planètes au choc d’une comète contre le soleil.

Malgré la justesse d’un certain nombre des critiques qui furent adressées à sa théorie, Buffon n’y renonça pas. Il la reproduisit même trente ans plus tard, dans ses Époques de la nature, sinon avec la même assurance, du moins avec une égale netteté et comme une hypothèse réunissant, à son avis, toutes les probabilités.

« Je conviens, écrit-il alors[20], que les idées de ce système peuvent paraître hypothétiques, étranges et même chimériques à tous ceux qui, ne jugeant les choses que par le rapport de leurs sens, n’ont jamais conçu comment on sait que la terre n’est qu’une petite planète, renflée sur l’équateur et abaissée sous les pôles, à ceux qui ignorent comment on s’est assuré que tous les corps célestes pèsent, agissent et réagissent les uns sur les autres, comment on a pu mesurer leur grandeur, leur distance, leurs mouvements, leur pesanteur, etc. ; mais je suis persuadé que ces mêmes idées paraîtront simples, naturelles et même grandes au petit nombre de ceux qui, par des observations et des réflexions suivies, sont parvenus à connaître les lois de l’univers, et qui, jugeant des choses par leurs propres lumières, les voient sans préjugé telles qu’elles sont, ou telles qu’elles pourraient être : car ces deux points de vue sont à peu près les mêmes ; et celui qui regardant une horloge pour la première fois dirait que le principe de tous ses mouvements est un ressort, quoique ce fût un poids, ne se tromperait que pour le vulgaire, et aurait aux yeux du philosophe expliqué la machine.

» Ce n’est donc pas que j’aie affirmé ni même positivement prétendu que notre terre et les planètes aient été formées nécessairement et réellement par le choc d’une comète qui a projeté hors du soleil la six cent cinquantième partie de sa masse ; mais ce que j’ai voulu faire entendre, et ce que je maintiens encore comme hypothèse très probable, c’est qu’une comète qui, dans son périhélie, approcherait assez près du soleil pour en effleurer et sillonner la surface, pourrait produire de pareils effets, et qu’il n’est pas impossible qu’il se forme quelque jour de cette même manière des planètes nouvelles qui toutes circuleraient ensemble, comme les planètes actuelles, dans le même sens et presque dans un même plan, autour du soleil ; des planètes qui tourneraient aussi sur elles-mêmes, et dont la matière étant, au sortir du soleil, dans un état de liquéfaction, obéirait à la force centrifuge et s’élèverait à l’équateur en s’abaissant sous les pôles ; des planètes qui pourraient de même avoir des satellites en plus ou moins grand nombre, circulant autour d’elles dans le plan de leurs équateurs ; et dont les mouvements seraient semblables à ceux des satellites de nos planètes : en sorte que tous les phénomènes de ces planètes possibles et idéales seraient (je ne dis pas les mêmes), mais dans le même ordre et dans des rapports semblables à ceux des phénomènes des planètes réelles. Et pour preuve, je demande seulement que l’on considère si le mouvement de toutes les planètes, dans le même sens et presque dans le même plan, ne suppose pas une impulsion commune ? Je demande s’il y a dans l’univers quelques corps, excepté les comètes, qui aient pu communiquer ce mouvement d’impulsion ? Je demande s’il n’est pas probable qu’il tombe de temps à autres des comètes dans le soleil, puisque celle de 1680 en a, pour ainsi dire, rasé la surface ; et si par conséquent une telle comète, en sillonnant cette surface du soleil, ne communiquerait pas son mouvement d’impulsion à une certaine quantité de matière qu’elle séparerait du corps du soleil en la projetant au dehors ? Je demande si, dans ce torrent de matière projetée, il ne se formerait pas des globes par l’attraction mutuelle des parties, et si ces globes ne se trouveraient pas à des distances différentes, suivant la différente densité des matières, et si les plus légères ne seraient pas poussées plus loin que les plus denses par la même impulsion ? Je demande si la situation de tous ces globes presque dans le même plan n’indique pas assez que le torrent projeté n’était pas d’une largeur considérable, et qu’il n’avait pour cause qu’une seule impulsion, puisque toutes les parties de la matière dont il était composé ne se sont éloignées que très peu de la direction commune ? Je demande comment et où la matière de la terre et des planètes aurait pu se liquéfier si elle n’eût pas résidé dans le corps même du soleil, et si l’on peut trouver une cause de cette chaleur et de cet embrasement du soleil autre que celle de sa charge et du frottement intérieur produit par l’action de tous ces vastes corps qui circulent autour de lui ? Enfin je demande qu’on examine tous les rapports, que l’on suive toutes les vues, que l’on compare toutes les analogies sur lesquelles j’ai fondé mes raisonnements, et qu’on se contente de conclure avec moi que, si Dieu l’eût permis, il se pourrait, par les seules lois de la nature, que la terre et les planètes eussent été formées de cette même manière. »

Objections à l’hypothèse de Buffon. Je ne veux pas m’attarder à discuter en détail l’hypothèse par laquelle Buffon explique comment les planètes ont été séparées du soleil. Rejetée par tous les astronomes, elle n’a qu’un intérêt purement historique et c’est à ce titre seul que je l’ai rapportée ici, comme j’y ferai figurer toutes les théories importantes émises par ce penseur hardi. On a surtout objecté à l’hypothèse de Buffon, le peu de probabilité qu’il y a à ce qu’une comète ait pu rencontrer le soleil dans les conditions indispensables à la production du choc oblique supposé par l’auteur, et la faible densité des comètes. Il ne faudrait cependant pas exagérer l’importance de ces objections. En premier lieu, certains faits découverts pendant le cours des dernières années confirment dans une certaine mesure, la possibilité de la rencontre des comètes, soit avec le soleil, soit avec la terre ou avec tout autre corps céleste. S’il est vrai, comme nous aurons occasion de le montrer plus bas, que le météorites, les bolides, les étoiles filantes et les comètes soient des corps de même nature, rien n’empêche de supposer que le soleil, la terre, ou tout autre astre rencontre un jour sur la route régulière qu’il parcourt quelque comète errante, comme ils rencontrent chaque jour des millions d’étoiles filantes. Mais en admettant même la possibilité d’une rencontre, il faudrait y joindre l’obliquité nécessaire du choc et surtout il faudrait que les comètes eussent une densité et une masse suffisantes pour produire l’effet imaginé par Buffon. Or, l’opinion la plus probable est que le noyau des comètes, c’est-à-dire leur partie la plus dense, est formé de corpuscules, solides peut-être, il est vrai, mais relativement peu volumineux et ne formant pas une masse continue, mais étant plus ou moins écartés les uns des autres. Le noyau des comètes, en un mot, serait, d’après cette manière de voir, des astres en poussière et non des masses compactes. Leur rencontre avec le soleil n’aurait donc probablement d’autre résultat que de fournir à ce colossal foyer de chaleur de nouveaux éléments de combustion.

Critique du système de Buffon par Laplace. La critique la plus complète et la plus sérieuse qui ait été faite de l’hypothèse de Buffon est due à l’illustre astronome Laplace. Je crois utile de la reproduire ici intégralement :

« Buffon, dit-il[21], est le seul que je connaisse, qui, depuis la découverte du vrai système du monde, ait essayé de remonter à l’origine des planètes et des satellites. Il suppose qu’une comète, en tombant sur le soleil, en a chassé un torrent de matière qui s’est réunie au loin, en divers globes plus ou moins grands et plus ou moins éloignés de cet astre. Ces globes sont les planètes et les satellites qui, par leur refroidissement, sont devenus opaques et solides.

» Cette hypothèse satisfait aux premiers des cinq phénomènes précédents ; car il est clair que tous les corps ainsi formés doivent se mouvoir à peu près dans le plan qui passait par le centre du soleil et par la direction du torrent de matière qui les a produits. Les quatre autres phénomènes me paraissent inexplicables par son moyen. À la vérité, le mouvement absolu des molécules d’une planète doit être alors dirigé dans le sens du mouvement de son centre de gravité ; mais il ne s’ensuit point que le mouvement de rotation de la planète soit dirigé dans le même sens ; ainsi, la terre pourrait tourner d’orient en occident et, cependant, le mouvement absolu de chacune de ses molécules serait dirigé d’occident en orient. Ce que je dis du mouvement de rotation des planètes s’applique au mouvement de révolution des satellites, dont la direction, dans l’hypothèse dont il s’agit, n’est pas nécessairement la même que celle du mouvement de projection des planètes.

» Le peu d’excentricité des orbes planétaires est non seulement très difficile à expliquer dans cette hypothèse ; mais ce phénomène lui est contraire. On sait, par la théorie des forces centrales, que si un corps, mû dans un orbe rentrant autour du soleil, rase la surface de cet astre, il y reviendra constamment à chacune de ses révolutions ; d’où il suit que, si les planètes avaient été primitivement détachées du soleil, elles le toucheraient à chaque révolution, et leurs orbes, loin d’être circulaires, seraient fort excentriques. Il est vrai qu’un torrent de matière, chassé du soleil, ne peut pas être exactement comparé à un globe qui rase sa surface ; l’impulsion que les parties de ce torrent reçoivent les unes des autres, l’attraction réciproque qu’elles exercent entre elles, peut, en changeant la direction de leurs mouvements, éloigner leurs périhélies du soleil. Mais leurs orbes devraient toujours être fort excentriques, ou du moins il faudrait le hasard le plus extraordinaire pour leur donner d’aussi petites excentricités que celles des orbes planétaires. Enfin, on ne voit pas, dans l’hypothèse de Buffon, pourquoi les orbes d’environ quatre-vingts comètes déjà observées sont tous fort allongés. Cette hypothèse est donc très éloignée de satisfaire aux phénomènes précédents. Voyons s’il est possible de s’élever à leur véritable cause. »

On peut faire à l’hypothèse de Buffon une objection bien plus grave, à mon avis, que toutes celles qui lui ont été adressées, c’est qu’elle n’explique qu’un fait particulier et qu’elle nous laisse dans la nécessité de chercher d’autres hypothèses pour expliquer la formation du soleil, celle des étoiles, et enfin celle des comètes elles-mêmes. Or, plus une hypothèse est particulière, moins sont nombreux les faits dont elle rend compte, et moins elle doit être considérée comme probable. Les efforts de la science moderne tendent, avec raison, à expliquer les phénomènes naturels, par des causes à la fois aussi générales et aussi simples que possible.

Parmi celles que l’on invoque pour expliquer la formation des planètes, il en est une qui paraît réunir toutes les conditions de la certitude, parce qu’elle est de nature à rendre compte, non seulement de la formation de ces astres, mais encore de celle du monde solaire tout entier et des innombrables mondes stellaires qui peuplent l’immensité de l’univers.

Théorie de Laplace. Émise en premier lieu par Laplace, cette « théorie de l’univers » est aujourd’hui adoptée par la grande majorité des astronomes ; ceux mêmes qui se refusent à la considérer comme absolument vraie reconnaissent qu’elle est plus apte que toute autre à expliquer la formation et l’évolution des mondes.

D’après cette théorie, à une époque de l’histoire du système solaire si reculée que notre imagination est presque impuissante à concevoir le nombre d’années qui nous en séparent, toutes les parties de ce vaste ensemble étaient confondus en une masse unique de substance vaporeuse, homogène, occupant tout l’espace que limitent aujourd’hui idéalement les plans des orbites planétaires. Cette immense nébuleuse avait comme diamètre celui de l’orbite la plus reculée de nos planètes, Neptune, et comme épaisseur l’espace que limitent les plans orbitaires les plus écartés. Neptune étant situé à 1 milliard 110 millions de lieues du soleil, et son orbite étant presque circulaire, le diamètre de cette dernière est donc au minimum de 2 milliard 220 millions de lieues, ce qui donne pour la surface totale de l’orbite de Neptune une étendue tellement considérable que les nombres seuls peuvent nous en donner une idée ; c’est cette étendue qu’occupait la nébuleuse solaire dont nous avons parlé plus haut. D’autre part, le plus grand écartement qui existe entre les plans orbitaires des planètes étant d’environ 7 degrés et demi, la nébuleuse solaire avait la même épaisseur. D’abord absolument homogène dans toutes ses parties, cette gigantesque nébuleuse se refroidit peu à peu, par suite du rayonnement incessant de sa chaleur dans l’espace, et sa matière se condensa vers le centre. Elle se différencia ainsi en un immense noyau central entouré d’une atmosphère beaucoup moins dense. Le noyau et l’atmosphère ayant une origine commune et se trouvant en contact direct ou pour mieux dire se confondant encore au niveau de la périphérie du noyau, conservèrent le mouvement de rotation d’occident en orient, et le mouvement de translation autour de quelque astre plus volumineux que possédait la nébuleuse primitive. Le noyau devait, en se condensant de plus en plus, constituer le soleil. Le refroidissement de la totalité de la masse continuant à se produire, le rapport entre la force centrifuge qui maintenait l’écartement des molécules et la gravitation qui les rapprochait se modifia de plus en plus à mesure que la déperdition de chaleur augmentait. À un moment donné, la force centrifuge l’emporta sur la gravitation et la portion périphérique de l’atmosphère solaire se détacha du reste de la masse en une zone nébuleuse indépendante ; mais celle-ci dut continuer à se mouvoir dans la même direction que la nébuleuse primitive, car rien n’était venu modifier cette direction. Cette zone nébuleuse, en perdant du calorique par le rayonnement, dut se condenser en un globe d’abord vaporeux, incandescent et lumineux, représentant la première phase d’évolution de la planète la plus éloignée du soleil, c’est-à-dire Neptune. Les mêmes causes continuant à exercer leur action, de nouvelles zones de vapeurs se détachèrent successivement de l’atmosphère solaire, se condensèrent en globes incandescents et lumineux d’autant plus rapprochés du noyau central qu’ils étaient de formation plus récente. Tous ces globes, étant beaucoup moins volumineux que le noyau solaire, restèrent placés sous l’influence de son attraction et conservèrent les mouvements dont leur matière constituante était animée alors qu’elle faisait partie de la nébuleuse primitive, c’est-à-dire un mouvement elliptique de translation autour du soleil et un mouvement de rotation de chaque globe autour de son axe. Comme ces deux mouvements ne faisaient que continuer le mouvement de la nébuleuse primitive, ils se firent dans la même direction que le mouvement de rotation de cette dernière.

Avant leur complète condensation, ces globes purent, à leur tour, donner naissance à des satellites qui se comportèrent à leur égard comme ils le faisaient eux-mêmes à l’égard du soleil.

Après leur isolement et leur condensation, les planètes se trouvant formées d’une substance encore fluide ou gazeuse durent, sous l’influence de la force centrifuge, prendre la forme qu’elles ont aujourd’hui, c’est-à-dire se renfler au centre et s’aplatir au niveau des pôles. C’est un point sur lequel nous aurons à revenir plus bas.

Faut-il ne voir dans cette histoire de l’évolution du monde solaire qu’une simple légende sans fondements ? ou bien, au contraire, est-elle appuyée sur des documents assez sérieux pour qu’on doive y ajouter foi ?

C’est cette dernière opinion qui a prévalu parmi les astronomes ; on invoque, en faveur de la théorie de Laplace, qu’elle est en parfait accord avec les données de la mécanique générale, qu’elle explique d’une façon aussi complète qu’il est possible de le désirer, la direction et la rapidité des mouvements des planètes, leurs rapports avec le soleil, entre elles et avec leurs satellites, et qu’elle se trouve confirmée par tous les faits que la physique et l’astronomie nous ont révélés et nous révèlent encore chaque jour, ou, plutôt, qu’elle permet d’expliquer tous ces faits et de les relier les uns aux autres. Ajoutons qu’il nous est permis d’observer directement, dans l’immensité du ciel, les phases primitives de l’évolution du monde solaire décrites par Laplace, et que la théorie de ce savant astronome est applicable non seulement à notre système planétaire, mais encore à l’univers tout entier. Ce dernier caractère constitue le plus grand de ses mérites ; elle y trouve la plus importante peut-être des nombreuses probabilités qu’elle présente.

Je crois intéressant, au point de vue de l’histoire de la science, de placer ici sous les yeux du lecteur, l’exposé fait par Laplace lui-même de la théorie que je viens de résumer :

« On a, dit-il[22], pour remonter à la cause des mouvements primitifs du système planétaire, les cinq phénomènes suivants : 1o les mouvements des planètes dans le même sens et à peu près dans un même plan ; 2o les mouvements des satellites dans le même sens, à peu près dans le même plan que ceux des planètes ; 3o les mouvements de rotation de ces différents corps et du soleil dans le même sens que leurs mouvements de projection et dans des plans peu différents ; 4o le peu d’excentricité des orbes des planètes et des satellites ; 5o enfin la grande excentricité des orbes des comètes, quoique leurs inclinaisons aient été abandonnées au hasard.

» Quelle que soit la nature de la cause qui a produit les phénomènes ci-dessus, ou dirigé les mouvements des planètes et des satellites, il faut qu’elle ait embrassé tous ces corps ; et, vu la distance prodigieuse qui les sépare, elle ne peut avoir été qu’un fluide d’une immense étendue. Pour leur avoir donné dans le même sens un mouvement presque circulaire autour du soleil, il faut que ce fluide ait environné cet astre, comme une atmosphère. La considération des mouvements planétaires nous conduit donc à penser que en vertu d’une chaleur excessive, l’atmosphère du soleil s’est primitivement étendue au delà des orbes de toutes les planètes et qu’elle s’est resserrée successivement jusqu’à ses limites actuelles : ce qui peut avoir eu lieu par des causes semblables à celle qui fit briller du plus vif éclat, pendant plusieurs mois, la fameuse étoile que l’on vit tout à coup, en 1572, dans la constellation de Cassiopée.

» La grande excentricité des orbes des comètes conduit au même résultat. Elle indique évidemment la disparition d’un grand nombre d’orbes moins excentriques : ce qui suppose autour du soleil une atmosphère qui s’est étendue au delà du périhélie des comètes observables et qui, en détruisant les mouvements de celles qui l’ont traversée pendant la durée de sa grande étendue, les a réunies au soleil. Alors, on voit qu’il ne doit exister présentement que les comètes qui étaient au delà, dans cet intervalle ; et, comme nous ne pouvons observer que celles qui approchent assez près du soleil, dans leur périhélie, leurs orbes doivent être fort excentriques. Mais, en même temps, on voit que leurs inclinaisons doivent offrir les mêmes inégalités que si ces corps ont été lancés au hasard ; puisque l’atmosphère solaire n’a point influé sur leurs mouvements. Ainsi, la longue durée des révolutions des comètes, la grande excentricité de leurs orbes et la variété de leurs inclinaisons s’expliquent très naturellement au moyen de cette atmosphère.

» Mais comment a-t-elle déterminé les mouvements de révolution et de rotation des planètes ? Si ces corps avaient pénétré dans ce fluide, sa résistance les aurait fait tomber sur le soleil ; on peut donc conjecturer qu’ils ont été formés aux limites successives de cette atmosphère, par la condensation des zones qu’elle a dû abandonner dans le plan de son équateur, en se refroidissant et en se condensant à la surface de cet astre, comme on l’a vu dans le livre précédent. On peut conjecturer encore que les satellites ont été formés d’une manière semblable par les atmosphères des planètes. Les cinq phénomènes exposés ci-dessus découlent naturellement de ces hypothèses, auxquelles les anneaux de Saturne ajoutent un nouveau degré de vraisemblance.

» Quoi qu’il en soit de cette origine du système planétaire, que je présente avec la défiance que doit inspirer tout ce qui n’est point un résultat de l’observation ou du calcul ; il est certain que ses éléments sont ordonnés de manière qu’il doit jouir de la plus grande stabilité, si des causes étrangères ne viennent point la troubler. Par cela seul que les mouvements des planètes et des satellites sont presque circulaires, et dirigés dans le même sens et dans des plans peu différents, ce système ne fait qu’osciller autour d’un état moyen, dont il ne s’écarte jamais que de quantités très petites ; les moyens mouvements de rotation et de révolution de ses différents corps sont uniformes, et leurs distances moyennes aux foyers des forces principales qui les animent sont constantes. Il semble que la nature ait tout disposé dans le ciel pour assurer la durée de ce système, par des vues semblables à celles qu’elle nous paraît suivre si admirablement sur la terre, pour la conservation des individus et la perpétuité des espèces. »

Parmi les phénomènes célestes qui durent inspirer à Laplace sa théorie, il faut citer en premier lieu celui qui est offert par Saturne. Rappelons que cette planète présente, au niveau de son équateur, des anneaux concentriques dont la largeur est évaluée à 65 600 kilomètres et dont l’épaisseur est de 2 070 kilomètres. Après avoir longtemps discuté sur leur nature, on adopte à peu près généralement aujourd’hui l’opinion de M. Hirn, d’après laquelle les anneaux seraient des agrégations de corpuscules solides, discontinus, de dimensions peu considérables, se mouvant isolément, mais simultanément, autour de Saturne, à la façon de minuscules satellites, avec des vitesses qui varient d’après la distance à laquelle ils sont placés du centre de la planète. Les astronomes s’accordent généralement, avec Laplace, à voir dans les anneaux des restes de la zone qui entourait Saturne avant qu’il se fût condensé en globe. « La distribution régulière des anneaux de Saturne autour de son centre et dans le plan de son équateur, dit Laplace[23], résulte naturellement de cette hypothèse, et sans elle devient inexplicable ; ces anneaux me paraissent être des preuves toujours subsistantes de l’extension primitive de l’atmosphère de Saturne et de ses retraites successives. » On pourrait presque dire que Saturne nous présente une des phases anciennes de son évolution, pour ainsi dire figée, comme un témoin irrécusable de son histoire et de celle du système solaire tout entier.

Dans ces derniers temps, M. É. Roche[24] a complété la théorie de Laplace en résolvant un certain nombre de problèmes particuliers dont cette théorie n’avait pas encore pu fournir la solution. Faye a résumé[25] de la façon suivante les idées de M. Roche :

« M. Roche reprend l’étude du système planétaire afin de compléter l’idée de Laplace et de faire disparaître certaines objections que l’illustre auteur avait laissé subsister. Il y restait, en effet, certaines difficultés : le mouvement rétrograde des satellites d’Uranus et de Neptune, les anneaux de Saturne, la grande distance qui sépare la lune de la terre ; pourquoi, entre Jupiter et Mars, cette solution de continuité déjà remarquée par Kepler dans la succession des grosses planètes ? Pourquoi cette multitude d’astéroïdes dont le nombre s’élève déjà à 135, et dépasse peut-être de beaucoup ce nombre déjà si grand, au lieu de la planète unique que nous devrions y voir circuler ? Pourquoi, après cette espèce d’hiatus dans le monde planétaire, voit-on se succéder les formations si différentes des précédentes, celles des planètes très denses à rotation lente, comme Mars, la Terre, Vénus et Mercure ?

» Ces problèmes ont été traités par M. Roche à l’aide d’une conception nouvelle qu’il a tirée de ses travaux antérieurs. Laplace n’avait considéré que des anneaux abandonnés au delà de la limite où la pesanteur vers le soleil fait équilibre à la force centrifuge. M. Roche a fait voir, par la discussion de ses surfaces de niveau, que la portion de la nébuleuse devenue libre ne vient pas seulement de l’équateur, mais d’une nappe superficielle qui s’étend beaucoup plus loin vers les deux pôles et qui se met à couler vers l’ouverture équatoriale. Or certaines parties y arrivent avec une vitesse insuffisante pour circuler extérieurement ; elles rentrent dès lors dans la nébulosité en décrivant des ellipses dont l’aphélie est précisément à la limite équatoriale. Une fois cette notion admise, et elle ne peut l’être pleinement que si l’on tient compte de la rareté excessive de la nébuleuse solaire dans les régions considérées, M. Roche admet que, en vertu de la résistance du milieu, une partie de ces matériaux finissent par tomber sur le soleil en lui restituant quelque chaleur, mais que d’autres n’éprouvent pas cet effet et perdent seulement, par leurs réactions mutuelles, leurs vitesses radiales, en conservant à peu près leurs vitesses tangentielles.

» Cette idée d’anneaux intérieurs rendus libres à leur tour par la contraction progressive de l’atmosphère génératrice donne à M. Roche l’explication de l’existence d’une partie des anneaux de Saturne dans une région où, d’après une autre loi qui lui est due, aucun satellite de même densité que la planète n’aurait pu se former.

» Bornons-nous à indiquer ici les notions originales introduites dans cette belle théorie par M. Roche.

» Égalité de durée, à l’origine, entre la rotation et la révolution de chaque masse planétaire.

» Impossibilité de la formation de satellites quelconques pendant toute la période où l’action solaire a pu maintenir cette égalité.

» Possibilité de la formation d’un ou de plusieurs satellites à partir de l’époque où le rétrécissement de la surface limite de l’atmosphère de la planète a réduit la force dirigeante de l’astre central.

» Formation d’anneaux intérieurs, à la surface limite, entièrement liée à celle des anneaux extérieurs considérés par Laplace.

» Condition pour qu’une planète ou une masse fluide puisse conserver sa figure d’équilibre, malgré l’attraction du corps central. (La distance ne doit pas tomber au-dessous des cinq quarts du quotient du diamètre de ce dernier divisé par la racine cubique de la densité du satellite.)

» Ces notions nouvelles complètent, j’ose le dire, la conception de Laplace ; elles lui permettent de s’étendre jusqu’aux détails, au moyen d’une discussion analytique assez simple pour ne dérouter aucun lecteur. »

Des phases primitives d’une révolution semblable à celle que Laplace assigne à notre système solaire nous sont offertes par les nébuleuses actuelles. Quelques-unes de ces immenses masses vaporeuses ont une densité à peu près uniforme dans toutes leurs parties ; elles représentent la première phase d’évolution de notre système solaire ; d’autres sont manifestement en voie de condensation au niveau de leur centre, tandis que les portions périphériques ont encore une densité très faible. On peut voir, dans ces dernières, la deuxième phase de l’évolution de notre système, celle que dut présenter la nébuleuse dont nous sommes sortis au moment où sa portion centrale se condensait pour donner naissance au soleil. D’autres « sont annulaires et semblent destinées à former des systèmes plus compliqués. » De ces nébuleuses, on peut facilement passer à celles qui se montrent composées d’un certain nombre d’étoiles ou masses condensées de matière incandescente et lumineuse, noyées dans une atmosphère vaporeuse d’un gigantesque diamètre. Si l’on admet l’opinion émise par quelques astronomes au sujet de la lumière zodiacale, les astres qui composent notre système solaire seraient, eux aussi, plongés dans une matière vaporeuse qui représenterait des restes épars, non condensés, de la nébuleuse solaire primitive. « Si, dit Laplace, dans les zones abandonnées par l’atmosphère du soleil, il s’est trouvé des molécules trop volatiles pour s’unir entre elles ou aux autres planètes, elles doivent, en continuant de circuler autour de cet astre, offrir toutes les apparences de la lumière zodiacale, sans opposer de résistance sensible aux divers corps du système planétaire, soit à cause de leur extrême rareté, soit parce que leur mouvement est à fort peu près le même que celui des planètes qu’elles rencontrent. » Une troisième phase de cette évolution nous est offerte par les amas stellaires dont les milliers de soleils, avec les planètes qui, sans doute, gravitent autour d’eux, se montrent unis par des rapports fixes de position et jouissent de mouvements coordonnés.

Appliquant la théorie de Laplace à l’univers entier, nous pouvons considérer chaque amas stellaire comme résultant de la condensation, je dirais volontiers de l’individualisation des diverses parties d’une nébuleuse, d’abord homogène et vaporeuse, en autant de globes incandescents et lumineux que cet amas compte d’étoiles. Chacun de ces globes ou soleils primitifs, d’abord très peu dense, s’est ensuite divisé en une sphère centrale, persistant à l’état de soleil, et en un nombre variable de satellites planétaires. Enfermés dans les limites de la nébuleuse qui leur a donné naissance, tous ces astres continuent à se mouvoir dans la direction qu’elle-même suivait. Les uns et les autres ont continué à se refroidir et à se condenser par le rayonnement, les moins volumineux devenant, les premiers, solides froids et obscurs, tandis que les plus volumineux conservaient encore leur incandescence et leur éclat. La gigantesque ceinture lumineuse qui brille pendant les nuits claires dans notre ciel et que sa lumière blanchâtre a fait désigner sous le nom de voie Lactée, cette ceinture formée de millions et de millions d’étoiles et dont fait partie notre système solaire tout entier, cette ceinture, dis-je, aurait été jadis, si l’on admet la théorie de Laplace, une nébuleuse vaporeuse et homogène, mesurant des milliards de lieues, et produisant, par la condensation successive de ses diverses parties, les innombrables étoiles que le télescope découvre dans sa lumière laiteuse. D’où venait cette nébuleuse, cette unité, qui s’est fractionnée en une collectivité de soleils aussi nombreux que les grains de sable de nos plages ? Avait-elle toujours été isolée ? Provenait-elle du fractionnement d’une masse plus grande encore ? C’est cette dernière hypothèse qui serait la plus probable. Et sans cesse les limites du problème se reculent ; sans cesse, dans l’espace illimité du ciel, doivent se produire des transformations semblables à celles que nous venons de décrire. Chaque jour, peut-être, des nébuleuses nouvelles sont produites par fractionnement de nébuleuses plus anciennes, des soleils nouveaux se forment dans des nébuleuses, des planètes se condensent dans les atmosphères des soleils, se solidifient et se refroidissent, puis, sans doute, se disloquent, quand leur température est tombée au-dessous d’un certain degré, se divisant en d’innombrables fragments que d’autres astres attirent, qui s’enflamment par le frottement et qui donnent naissance à des nébuleuses nouvelles.

Rapport entre la théorie de Buffon et la théorie moderne. J’ai dit plus haut que le but suprême de la science devait être de chercher à expliquer et à relier les faits par des conceptions aussi générales que possible, et que les théories rendant compte du plus grand nombre de phénomènes soit aussi les plus probables. Ai-je besoin d’ajouter qu’à ce titre la théorie de Laplace laisse si loin derrière elle celle de Buffon que c’est à peine s’il est permis de rappeler cette dernière. Il ne faut pas oublier cependant qu’à Buffon revient l’honneur d’avoir vu, le premier, les relations qui existent entre nos planètes et notre soleil, et celui d’avoir affirmé l’origine commune de tous ces astres. La grandeur de cette conception doit faire oublier le choc de sa comète. À lui aussi appartient le mérite d’avoir formulé, en termes admirables, la loi suprême qui régit l’univers, celle de la transformation incessante de la matière et des corps qu’elle forme. N’est-ce pas ici le lieu de rappeler l’admirable page par laquelle débutent les Époques de la nature, où il trace le grandiose tableau des transformations de la matière et montre à la science le champ sans limites qu’elle doit exploiter.

« Comme dans l’histoire civile, on consulte les titres, on recherche les médailles, on déchiffre les inscriptions antiques pour déterminer les époques des révolutions humaines et constater les dates des événements moraux ; de même, dans l’histoire naturelle, il faut fouiller les archives du monde, tirer des entrailles de la terre les vieux monuments, recueillir leurs débris, et rassembler en un corps de preuves tous les indices des changements physiques qui peuvent nous faire remonter aux différents âges de la nature. C’est le seul moyen de fixer quelques points dans l’immensité de l’espace, et de placer un certain nombre de pierres numéraires sur la route éternelle du temps. Le passé est comme la distance ; notre vue y décroît et s’y perdrait de même, si l’histoire et la chronologie n’eussent placé des fanaux, des flambeaux aux points les plus obscurs ; mais, malgré ces lumières de la tradition écrite, si l’on remonte à quelques siècles, que d’incertitudes dans les faits ! que d’erreurs sur les causes des événements ! et quelle obscurité profonde n’environne pas les temps antérieurs à cette tradition ! D’ailleurs, elle ne nous a transmis que les gestes de quelques nations, c’est-à-dire les actes d’une très petite partie du genre humain ; tout le reste des hommes est demeuré nul pour nous, nul pour la postérité : ils ne sont sortis de leur néant que pour passer comme des ombres qui ne laissent point de traces ; et plût au ciel que le nom de tous ces prétendus héros, dont on a célébré les crimes ou la gloire sanguinaire, fût également enseveli dans la nuit de l’oubli !

» Ainsi l’histoire civile, bornée d’un côté par les ténèbres d’un temps assez voisin du nôtre, ne s’étend de l’autre qu’aux petites portions de terre qu’ont occupées successivement les peuples soigneux de leur mémoire ; au lieu que l’histoire naturelle embrasse également tous les espaces, tous les temps, et n’a d’autres limites que celles de l’univers.

» La nature[26] étant contemporaine de la matière, de l’espace et du temps, son histoire est celle de toutes les substances, de tous les lieux, de tous les âges ; et quoiqu’il paraisse à la première vue que ses grands ouvrages ne s’altèrent ni ne changent, et que dans ses productions, même les plus fragiles et les plus passagères, elle se montre toujours et constamment la même, puisque, à chaque instant, ses premiers modèles reparaissent à nos yeux sous de nouvelles représentations ; cependant, en l’observant de près, on s’apercevra que son cours n’est pas absolument uniforme ; on reconnaîtra qu’elle admet des variations sensibles, qu’elle reçoit des altérations successives, qu’elle se prête même à des combinaisons nouvelles, à des mutations de matière et de forme ; qu’enfin, autant elle paraît fixe dans son tout, autant elle est variable dans chacune de ses parties ; et si nous l’embrassons dans toute son étendue, nous ne pourrons douter qu’elle ne soit aujourd’hui très différente de ce qu’elle était au commencement et de ce qu’elle est devenue dans la succession des temps : ce sont ces changements divers que nous appelons ses époques. La nature s’est trouvée dans différents états ; la surface de la terre a pris successivement des formes différentes ; les cieux même ont varié, et toutes les choses de l’univers physique sont, comme celles du monde moral, dans un mouvement continuel de variations successives. Par exemple, l’état dans lequel nous voyons aujourd’hui la nature est autant notre ouvrage que le sien ; nous avons su la tempérer, la modifier, la plier à nos besoins, à nos désirs ; nous avons sondé, cultivé, fécondé la terre : l’aspect sous lequel elle se présente est donc bien différent de celui des temps antérieurs à l’invention des arts. L’âge d’or de la morale, ou plutôt de la Fable, n’était que l’âge de fer de la physique et de la vérité. L’homme de ce temps encore à demi sauvage, dispersé, peu nombreux, ne sentait pas sa puissance, ne connaissait pas sa vraie richesse ; le trésor de ses lumières était enfoui ; il ignorait la force des volontés unies, et ne se doutait pas que, par la société et par des travaux suivis et concertés, il viendrait à bout d’imprimer ses idées sur la face entière de l’univers.

» Aussi faut-il aller chercher et voir la nature dans ces régions nouvellement découvertes, dans ces contrées de tout temps inhabitées, pour se former une idée de son état ancien ; et cet ancien état est encore bien moderne en comparaison de celui où nos continents terrestres étaient couverts par les eaux, où les poissons habitaient nos plaines, où nos montagnes formaient les écueils des mers : combien de changements et de différents états ont dû se succéder depuis ces temps antiques (qui cependant n’étaient pas les premiers) jusqu’aux âges de l’histoire ! Que de choses ensevelies ! combien d’événements entièrement oubliés ! que de révolutions antérieures à la mémoire des hommes ! Il a fallu une très longue suite d’observations ; il a fallu trente siècles de culture à l’esprit humain, seulement pour reconnaître l’état présent des choses. La terre n’est pas encore entièrement découverte ; ce n’est que depuis peu qu’on a déterminé sa figure ; ce n’est que de nos jours qu’on s’est élevé à la théorie de sa forme intérieure et qu’on a démontré l’ordre et la disposition des matières dont elle est composée : ce n’est donc que de cet instant où l’on peut commencer à comparer la nature avec elle-même et remonter de son état actuel et connu à quelques époques d’un état plus ancien.

» Mais comme il s’agit ici de percer la nuit des temps, de reconnaître par l’inspection des choses actuelles l’ancienne existence des choses anéanties, et de remonter par la seule force des faits subsistants à la vérité historique des faits ensevelis ; comme il s’agit en un mot de juger non seulement le passé moderne, mais le passé le plus ancien par le seul présent, et que, pour nous élever jusqu’à ce point de vue, nous avons besoin de toutes nos forces réunies, nous emploierons trois grands moyens : 1o les faits qui peuvent nous rapprocher de l’origine de la nature ; 2o les monuments qu’on doit regarder comme les témoins de ses premiers âges ; 3o les traditions qui peuvent nous donner quelque idée des âges subséquents : après quoi nous tâcherons de lier le tout par des analogies, et de former une chaîne qui, du sommet de l’échelle du temps, descendra jusqu’à nous. »




  1. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 34.
  2. Dans l’article : De la formation des comètes.
  3. Preuves de la théorie de la terre ; art. Ier, De la formation des planètes, t. Ier, p. 69.
  4. Ibid., t. Ier, p. 248.
  5. Ibid., t. Ier, p. 69
  6. Preuves de la théorie de la terre ; De la formation des planètes, t. Ier, p. 70.
  7. Ibid., t. Ier, p. 71
  8. Ibid., t. Ier, p. 73
  9. Preuves de la théorie de la terre ; De la formation des planètes, t. Ier, p. 74
  10. Ibid., t. Ier, p. 74
  11. Buffon croyait à l’immobilité des étoiles. Nous reviendrons plus bas sur cette question.
  12. Preuves de la théorie de la terre ; De la formation des planètes, t. Ier, p. 75
  13. Preuves de la théorie de la terre ; De la formation des planètes, t. Ier, p. 76
  14. Preuves de la théorie de la terre ; De la formation des planètes, t. Ier, p. 76.
  15. Époques de la nature, t. II, p. 27
  16. Preuves de la théorie de la terre ; De la formation des planètes, t. Ier, p. 71.
  17. Ibid., t. Ier, p. 71. Pour bien faire comprendre la façon dont la direction du torrent a pu être modifiée au point d’acquérir le mouvement qui suit aujourd’hui les planètes, Buffon emploie la comparaison suivante : « Supposons qu’on tirât du haut d’une montagne une balle de mousquet, et que la force de la poudre fut assez grande pour la pousser au delà du demi-diamètre de la terre, il est certain que cette balle tournerait autour du globe et reviendrait à chaque révolution passer au point d’où elle aurait été tirée ; mais si, au lieu d’une balle de mousquet, nous supposons qu’on ait tiré une fusée volante où l’action du feu serait durable et accélérerait beaucoup le mouvement d’impulsion, cette fusée, ou plutôt la cartouche qui la contient, ne reviendrait pas au même point, comme la balle du mousquet, mais décrirait un orbe dont le périgée serait d’autant plus éloigné de la terre que la force d’accélération aurait été plus grande et aurait changé davantage la première direction, toutes choses étant supposées égales d’ailleurs. Ainsi, pourvu qu’il y ait eu de l’accélération dans le mouvement d’impulsion communiqué au torrent de matière par la chute de la comète, il est très possible que les planètes, qui se sont formées dans ce torrent, aient acquis le mouvement que nous leur connaissons dans des cercles ou des ellipses dont le soleil est le centre ou le foyer. » (Ibid., t. Ier, p. 72.)
  18. Ibid., t. Ier, p. 73.
  19. Ibid., t. Ier, p. 73.
  20. Époques de la nature, t. II, p. 30.
  21. Exposition du système du monde, édit. de l’an IV, t. II, p. 298.
  22. Exposition du système du monde, édit. de l’an IV, t. II, p. 278-301.
  23. Exposition du système du monde, édit. de l’an IV, t. II, p. 278-301.
  24. Essai sur la constitution et l’origine du système solaire.
  25. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 5 novembre 1879.
  26. Buffon nous donne, dans cette page, une idée exacte de ce qu’il entend par ce mot, qu’on trouve à chaque instant dans son œuvre, « la nature. » Ce n’est pas un entité métaphysique, un être idéal, comme on pourrait le supposer d’après cette sorte de personnalité qu’il lui attribue souvent, c’est la matière elle-même, avec ses formes variables à l’infini et se succédant sans interruption dans tous les temps et dans tous les lieux. « Son histoire est celle de toutes les substances, de tous les lieux, de tous les âges. »