Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Topaze et rubis du Brésil

TOPAZE ET RUBIS DU BRÉSIL

Il se trouve au Brésil des pierres transparentes d’un rouge clair, et d’autres d’un jaune très foncé, auxquelles on a donné les noms de rubis et topazes, quoiqu’elles ne ressemblent que par la couleur aux rubis et topazes d’Orient, car leur nature et leur origine sont toutes différentes : ces pierres du Brésil sont des cristaux vitreux provenant du schorl, auquel ils ressemblent par leur forme de cristallisation[1] ; elles se cassent transversalement comme les autres schorls, leur texture est semblable, et l’on ne peut douter qu’elles ne tirent leur origine de ce verre primitif, puisqu’elles se trouvent, comme les autres cristaux, implantées dans les rochers vitreux. Ces topazes et rubis du Brésil diffèrent essentiellement des vraies topazes et des vrais rubis, non seulement par ce caractère extérieur de la forme, mais encore par toutes les propriétés essentielles, la densité, la dureté, l’homogénéité et la fusibilité. La pesanteur spécifique de ces pierres du Brésil[2] est fort au-dessous de celle de ces pierres d’Orient : leur dureté, quoiqu’un peu plus grande que celle du cristal de roche, n’approche pas de celle de ces pierres précieuses ; celles-ci n’ont, comme je l’ai dit, qu’une simple et forte réfraction, au lieu que ces pierres du Brésil donnent une double et plus faible réfraction ; enfin elles sont fusibles à un feu violent, tandis que le diamant et les vraies pierres précieuses sont combustibles et ne se réduisent point en verre.

La couleur des topazes du Brésil est d’un jaune foncé mêlé d’un peu de rouge : ces topazes n’ont ni l’éclat ni la belle couleur d’or de la vraie topaze orientale ; elles en diffèrent aussi beaucoup par toutes les propriétés essentielles et se rapprochent en tout du péridot, à l’exception de la couleur, car elles n’ont pas la moindre nuance de vert ; elles sont exactement de la même pesanteur spécifique que les pierres auxquelles on a donné le nom de rubis du Brésil[3] : aussi la plupart de ces prétendus rubis ne sont-ils que des topazes chauffées[4] ; il ne faut, pour leur donner la couleur du rubis-balais, que les exposer à un feu assez fort pour les faire rougir par degrés ; elles y deviennent couleur de rose, et même pourprées ; mais il est très aisé de distinguer les rubis naturels et factices du Brésil des vrais rubis, tant par leur moindre poids que par leur fausse couleur, leur double réfraction et la faiblesse de leur éclat.

Ce changement de jaune en rouge est une exaltation de couleur que le feu produit dans presque toutes les pierres teintes d’un jaune foncé : nous avons dit, à l’article des marbres, qu’en les chauffant fortement lorsqu’on les polit, on fait changer toutes leurs taches jaunes en un rouge plus ou moins clair. La topaze du Brésil offre ce même changement du jaune en rouge, et M. de Fontanieu, l’un de nos académiciens, observe qu’on connaît en Bohême un verre fusible d’un jaune à peu près semblable à celui de la topaze du Brésil, qui, lorsqu’on le fait chauffer, prend une couleur rouge plus ou moins foncée, selon le degré de feu qu’on lui fait subir[5]. Au reste, la topaze du Brésil, soit qu’elle ait conservé sa couleur jaune naturelle, ou qu’elle soit devenue rouge par l’action du feu, se distingue toujours aisément de la vraie topaze et du rubis-balais par les caractères que nous venons d’indiquer : nous sommes donc bien fondés à les séparer des vraies pierres précieuses, et à les mettre au nombre des stalactites du schorl, d’autant que leur densité les en rapproche plus que d’aucun autre verre primitif[6].

Je présume, avec l’un de nos plus savants chimistes, M. Sage, que le rubis sur lequel on a fait à Florence des expériences au miroir ardent, n’était qu’un rubis du Brésil, puisqu’il est entré en fusion et s’est ramolli au point de recevoir sur sa surface l’impression d’un cachet, et qu’en même temps sa substance fondue adhérait aux parois du creuset : cette fusibilité provient du schorl qui constitue l’essence de toutes ces pierres du Brésil[7] ; je dis de toutes ces pierres, parce qu’indépendamment des émeraudes, saphirs, rubis et topazes dont nous venons de parler, il se trouve encore au Brésil des pierres blanches transparentes qui sont de la même essence que les rouges, les jaunes, les bleues et les vertes.


Notes de Buffon
  1. La topaze du Brésil est en prismes striés ou cannelés à l’extérieur comme ceux de l’émeraude du même pays, et ces prismes sont ordinairement surmontés d’une pyramide à l’extrémité qui pointe en avant, au sortir du rocher auquel leur base est adhérente ; cette structure est constante, mais le nombre de leurs faces latérales varie presque autant que celles des autres schorls.
  2. La pesanteur spécifique du rubis d’Orient est de 42 838, et celle du rubis du Brésil n’est que de 35 311. La pesanteur spécifique de la topaze d’Orient est de 40 106, et celle de la topaze du Brésil n’est que de 35 365. Tables de M. Brisson.
  3. La pesanteur spécifique du rubis du Brésil est de 35 311, et celle de la topaze du Brésil est de 35 365. Tables de M. Brisson.
  4. On sait depuis longtemps que les pierres précieuses orientales peuvent souffrir une très forte action du feu sans que leur couleur soit altérée, et qu’au contraire les occidentales y perdent en très peu de temps la leur, et deviennent semblables à du cristal si elles sont transparentes, ou d’un blanc mat si elles sont opaques ; mais on ignorait que la topaze du Brésil ne pouvait être comprise dans aucun de ces deux genres dont nous venons de parler ; elle a la singulière propriété de quitter au feu sa couleur jaune et d’y devenir d’une couleur de rose semblable à celui du rubis-balais, et d’autant plus vif que le jaune de la pierre était plus sale et plus foncé. Le procédé est des plus simples ; il ne s’agit que de placer la topaze dans un petit creuset rempli de cendres, et pousser le feu par degrés jusqu’à faire rougir le creuset et, après l’avoir entretenu quelque temps dans cet état, de le laisser s’éteindre ; quand le tout sera refroidi, on la trouvera convertie en un véritable rubis-balais ; nous disons convertie, car il n’est pas possible d’apercevoir la moindre différence entre le rubis-balais naturel et ceux-ci. C’est ce qui avait porté plusieurs joailliers, qui savaient ce secret, à en faire un mystère, et c’est à M. Dumelle, orfèvre, qui l’a communiqué à M. Guettard, que l’Académie en doit la connaissance. Histoire de l’Académie des sciences, année 1747, p. 52.
  5. Art d’imiter les pierres précieuses ; Paris, 1778, p. 28.
  6. La pesanteur spécifique du schorl vert ou olivâtre est de 34 529, et celle du rubis du Brésil de 35 311.
  7. C’est aussi le sentiment d’un de nos meilleurs observateurs (M. Romé de Lisle, dont l’ouvrage vient de me tomber entre les mains). Les topazes brutes, dit-il, qui nous arrivent du Brésil, ne conservent ordinairement qu’une seule de leurs pyramides, l’autre extrémité est ordinairement terminée par une surface plus rhomboïdale qui est l’endroit de la cassure qui se fait aisément et transversalement. On y distingue facilement le tissu lamelleux de ces cristaux. La position de leurs lames est perpendiculaire à l’axe du prisme et, conséquemment, dans une direction contraire aux stries de la surface qui sont toujours parallèles à l’axe de ce même prisme. Souvent les deux pyramides manquent, mais c’est toujours par des ruptures accidentelles. L’extérieur de ces cailloux présente des cannelures parallèles à l’axe.

    La topaze, le rubis et le saphir du Brésil ont beaucoup de rapport avec les schorls et les tourmalines pour leur contexture, leur cannelure, et par la variation dans les plans du prisme et des pyramides, qui rend souvent leur cristallisation indéterminée.

    La topaze du Brésil a rarement la belle couleur jonquille de la topaze d’Orient, mais elle est souvent d’un jaune pâle et même entièrement blanche.

    Celle dont la couleur très foncée tire sur l’hyacinthe est la plus propre à convertir par le feu en rubis du Brésil, mais il y a aussi les rubis du Brésil naturels, souvent avec une légère teinte de jaune, que les Portugais appellent topazes rouges.

    Les plus beaux sont d’un rouge clair ou de la teinte que l’on désigne sous le nom de balais. Ceux qu’on fait en exposant au feu la topaze du Brésil enfumée sont d’un rouge violet plus ou moins foncé.

    Quant aux saphirs du Brésil, il s’en trouve depuis le bleu foncé de l’indigo jusqu’au blanc bleuâtre.

    Le tissu feuilleté de ces gemmes fait qu’on les taille aussi quelquefois de manière à produire cette réfraction de la lumière qui caractérise les pierres chatoyantes. De là le rubis chatoyant, le saphir, œil de chat et les chatoyantes jaunes, vertes, brunes, etc., du Brésil et autres lieux. Cristallographie, par M. Romé de Lisle, t. II, p. 234 et suiv.