Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Hyacinthe

HYACINTHE

Après le grenat se présente l’hyacinthe, qui approche de sa nature et qu’on doit aussi regarder comme un produit du schorl mêlé de substances métalliques. L’hyacinthe se trouve dans les mêmes lieux que le grenat ; elle donne de même une double réfraction : ces deux pierres cristallisées se rencontrent souvent ensemble dans les mêmes masses de rochers[1] ; on doit donc la rapporter aux cristaux vitreux, et c’est, après le grenat, la pierre vitreuse la plus dense[2]. Sa couleur n’est pas franche, elle est d’un rouge plus ou moins mêlé de jaune ; celles dont cette couleur orangée approche le plus du rouge sont les plus rares et les plus estimées : toutes perdent leur couleur au feu et y deviennent blanches, sans néanmoins perdre leur transparence, et elles exigent pour se fondre un plus grand degré de feu que le grenat[3]. On voit des hyacinthes en très grande quantité dans les masses de roches vitreuses et autres matières rejetées par le Vésuve[4] ; et ces pierres se trouvent non seulement en Italie dans les terrains volcanisés, mais aussi en Allemagne, en Pologne, en Espagne, en France, et particulièrement dans le Vivarais et l’Auvergne[5] : il y en a de toutes les teintes, de rouge mêlé de jaune, ou de jaune mêlé de brun ; il y en a même des blanches qu’on connaît sous le nom de jargon[6]. Il s’en trouve aussi d’un jaune assez rouge pour qu’on s’y trompe en les prenant pour des grenats, mais la plupart sont d’un jaune enfumé, et même brunes ou noirâtres : elles se trouvent quelquefois en groupes, et souvent en cristaux isolés[7] ; mais les unes et les autres ont été détachées du rocher où elles ont pris naissance comme les autres cristaux vitreux. M. Romé de Lisle dit avec raison que « l’on donne quelquefois le nom d’hyacinthe orientale à des rubis d’Orient de couleur orangée, ou à des jargons de Ceylan, dont la teinte jaune est mêlée de rouge, de même qu’on donne aussi quelquefois aux topazes orangées du Brésil le nom d’hyacinthe occidentale ou de Portugal ; mais l’hyacinthe vraie ou proprement dite est une pierre qui diffère de toutes les précédentes, moins par sa couleur, qui est très variable, que par sa forme, sa dureté et sa gravité spécifique[8]. »

Et en effet, quoiqu’il n’y ait à vrai dire qu’une seule et même essence dans les pierres précieuses, et que communément elles soient teintes de rouge, de jaune ou de bleu, ce qui nous les fait distinguer par les noms de rubis, topazes et saphirs, on ne peut guère douter qu’il ne se trouve aussi dans les climats chauds des pierres de même essence, teintes de jaune mêlé d’un peu de rouge, auxquelles on aura donné la dénomination d’hyacinthes orientales ; d’autres teintes de violet, et mêmes d’autres de vert, qu’on aura de même dénommées améthystes et émeraudes orientales ; mais ces pierres précieuses, de quelque couleur qu’elles soient, seront toujours très aisées à distinguer de toutes les autres par leur dureté, leur densité, et surtout par l’homogénéité de leur substance qui n’admet qu’une seule réfraction, tandis que toutes les pierres vitreuses dont nous venons de faire l’énumération sont moins dures, moins denses et, en même temps, sujettes à la double réfraction.


Notes de Buffon
  1. Cette pierre hyacinthe, aussi commune que le grenat (que souvent elle accompagne), peut sans doute, ainsi que celui-ci, se rencontrer dans les deux Indes aussi fréquemment qu’en Europe… Il y a des grenats qui ont la couleur de l’hyacinthe, et il y a des hyacinthes qui ont celle du grenat, mais ces deux pierres diffèrent beaucoup l’une de l’autre par la forme et la gravité spécifique… La dureté de l’hyacinthe l’emporte sur celle du grenat, mais trop peu ; la gravité spécifique de grenat est supérieure à celle de l’hyacinthe… L’hyacinthe est infusible au degré de feu qui met le grenat en fusion. Essai de cristallographie, par M. Romé de Lisle, t. II, p. 283 et suiv.
  2. La pesanteur spécifique de l’hyacinthe, est de 36 873, et celle du grenat syrien de 40 000.
  3. Cette pierre est d’un rouge tirant sur le jaune, c’est-à-dire d’une couleur plus ou moins approchante de celle de l’orangé. Lorsqu’on expose l’hyacinthe à l’action d’un feu assez violent, elle perd sa couleur et conserve sa transparence, ce qui prouve que la substance qui la colore est volatile : si on laisse ces cristaux exposés trop longtemps à l’action du feu, ils s’y vitrifient sans intermède, au moins à leur surface : car ils adhèrent alors entre eux et aux parois du creuset. La pierre qui porte le nom de jargon n’est autre chose que l’hyacinthe blanchie au feu pour imiter le diamant. Lettres du docteur Demeste, etc., t. Ier, p. 412. — La couleur de cette pierre est d’un rouge tirant sur le jaune, ce qui la rend plus ou moins transparente ; elle entre totalement en fusion au feu, elle est plus légère et plus tendre que le grenat, aussi la lime a-t-elle facilement de la prise sur elle.

    On a : 1o L’hyacinthe d’un jaune rougeâtre, ou l’hyacinthe orientale : on la trouve en Arabie, à Cananor, à Calicut et à Camboye ; la couleur de cette belle hyacinthe est d’un rouge faible d’écarlate ou de cornaline, ou de vermillon, tirant sur le rubis ou plutôt sur le grenat, au travers de laquelle on remarque ordinairement une légère nuance de violet colombin ou d’améthyste, elle est très resplendissante, dure, et reçoit un poli vif ;

    2o L’hyacinthe d’un jaune de safran, ou l’hyacinthe occidentale : elle est moyennement dure, d’une couleur plus safranée, plus orangée, et bien moins éclatante que la précédente ; elle ressemble quelquefois à la fleur du souci ou à la fleur d’hyacinthe, et nous vient du Portugal ;

    3o L’hyacinthe d’un blanc jaunâtre : elle a beaucoup de ressemblance avec l’agate ou avec le succin qui est d’un blanc jaunâtre ;

    4o L’hyacinthe couleur de miel ou hyacinthe miellée : autant la précédente ressemble au succin, autant celle-ci ressemble au miel, tant par sa couleur que par son éclat qui est faible et terne. Ces deux dernières sortes d’hyacinthe sont peu dures, peu transparentes, mal nettes, pleines de grains et de petites taches qui les font tailler à facettes pour en cacher les défauts ; elles se soutiennent bien moins de temps au feu que les orientales. Elles nous viennent de la Silésie et de la Bohême.

    Ce qu’on appelle jargon d’Auvergne sont de petits cristaux à facettes et colorés ; bien des gens les regardent comme des primes d’hyacinthes, ils sont brillants et très petits. On les rencontre communément dans le Vivarais, près du Puy.

    On nous apporte de Compostelle en Espagne, sous le nom d’hyacinthes, des pierres rouges opaques qui ont une figure déterminée et qui ne sont que des cristaux. Minéralogie de Bomare, t. Ier, p. 246 et suiv.

  4. Il y a des hyacinthes blanches, soit en cristaux solitaires, soit en groupes ; ces dernières viennent des bases de la Somma en Italie. La roche qui sert de gangue aux hyacinthes de la Somma a souffert plus ou moins de l’action du feu, mais en général, elle est fort peu dénaturée. La couleur de ces hyacinthes tire plus ou moins sur le brun ; les unes sont dans des gangues argileuses micacées plus ou moins cuites ; les autres dans des masses de grenats dodécaèdres à bords tronqués ; d’autres sont entremêlées de schorls prismatiques, de schorls dodécaèdres et même de spath calcaire.

    Il y a au Vésuve des hyacinthes, les unes en groupe, les autres en cristaux solitaires ; il y en a de brunes, de verdâtres, etc. ; leur couleur la plus ordinaire est un jaune foncé mêlé de rougeâtre, mais qui tire souvent sur le verdâtre ou le noirâtre.

    On les trouve non seulement au Vésuve, mais encore parmi certaines éruptions des anciens volcans éteints de l’Italie, et même d’autres contrées…

    Elles ne sont point un produit du feu des volcans, comme M. Ferber le dit en plusieurs endroits de ses Lettres sur l’Italie, en confondant ces hyacinthes tantôt avec les schorls, tantôt avec l’émail ou verre de volcan si connu sous le nom de pierre obsidienne ; mais elles faisaient partie des roches primitives du second ordre, qui se sont trouvées dans la sphère d’activité du foyer volcanique.

    Il se trouve des hyacinthes blanches en croix par la réunion de quatre de leurs cristaux simples parallèlement à leur longueur. (On peut observer que cette figuration est encore un caractère commun à l’hyacinthe et au schorl dont les cristaux se trouvent souvent croisés les uns sur les autres.) Cristallographie, par M. Romé de Lisle, t. II, p. 289 et suiv.

  5. Il se trouve des hyacinthes d’un beau rouge de vermeil ou de grenat. M. Faujas de Saint-Fond les a trouvées dans un ruisseau à un quart de lieue du Puy en Velay. Idem, p. 288.
  6. J’ai trouvé parmi les grenats d’Expailly (pays volcanique du Velay) de véritables hyacinthes, d’un jaune tirant sur le rouge, cristallisées à prismes quadrilatères oblongs, terminées à l’un et à l’autre bout par une pyramide à quatre côtés. J’en possède une qui a un pouce de longueur sur six lignes de diamètre, mais qui n’a point de pyramide. On appelle ces hyacinthes jargons d’hyacinthes du Puy. Recherches sur les volcans éteints, par M. Faujas de Saint-Fond, p. 187.
  7. Ces hyacinthes jaunâtres sont assez souvent groupées dans les cavités des roches quartzeuses ou feldspathiques qui ont été détachées des entrailles du volcan, sans avoir trop souffert de l’action du feu. Cette action a bien été assez violente pour les altérer plus ou moins, mais non pour les dénaturer entièrement. Les angles des cristaux ont conservé leur tranchant, les faces leur poli, et le quartz ou feldspath sa blancheur et sa solidité. Lettres du docteur Demeste, t. Ier, p. 416.
  8. Cristallographie, par M. Romé de Lisle, t. II, p. 282.