Œuvres complètes de Bernard Palissy/Discours admirables de la Nature des eaux et fontaines, etc./À très haut et très puissant sieur le sire Anthoine de Ponts

Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 129-131).

À TRES HAUT ET TRES PUISSANT SIEUR
LE SIRE ANTHOINE DE PONTS, CHEUALIER DES ORDRES
DU ROY, CAPITAINE DES CENTS GENTILS-HOMMES,
ET CONSEILLER TRES FIDELE DE SA MAIESTÉ.




L e nombre de mes ans m’a incité de prendre la hardiesse de vous dire qu’vn de ces iours ie considerois la couleur de ma barbe, qui me causa penser au peu de jours qui me restent, pour finir ma course : et cela m’a fait admirer les lis et bleds des campagnes, et plusieurs especes de plantes, lesquelles changent leurs couleurs verdes en blanches, lors qu’elles sont prestes de rendre leurs fruits. Aussi plusieurs arbres se hâtent de fleurir quand ils sentent cesser leur vertu vegetatiue et naturelle, vne telle considération m’a fait souuenir qu’il est escrit : que l’on se donne garde d’abuser des dons de Dieu, et de cacher le talent en terre : aussi est escrit que le fol ceant sa folie vaut mieux que le sage celant son sçauoir. C’est donques chose iuste et raisonnable que chascun s’efforce de multiplier le talent qu’il a receu de Dieu, suyuant son commandement. Parquoy ie me suis efforcé de mettre en lumiere les choses qu’il a pleu à Dieu me faire entendre, selon la mesure qu’il luy a plu me departir, afin de profiter à la postérité. Et par ce que plusieurs souz un beau Latin, ou autre langage bien poli, ont laissé plusieurs talents pernicieux pour abuser et faire perdre le temps à la ieunesse : qu’ainsi ne soit, vn Geber, un Roman de la Roze, et un Raimond Lule, et aucuns disciples de Paracelse, et plusieurs autres alchimistes ont laissé des liures à l’estude desquels plusieurs ont perdu et leurs temps et leurs biens. Tels liures pernicieux m’ont causé gratter la terre l’espace de quarante ans, et foüiller les entrailles d’icelle, à fin de connoistre les choses qu’elle produit dans soy, et par tel moyen i’ay trouué grâce deuant Dieu, qui m’a fait connoistre des secrets qui ont esté iusques à present inconnuz aux hommes, voire aux plus doctes, comme l’on pourra connoistre par mes escrits contenuz en ce liure. Ie sçay bien qu’aucuns se moqueront, en disant qu’il est impossible qu’vn homme destitué de la langue Latine puisse auoir intelligence des choses naturelles ; et diront que c’est à moy vne grande temerité d’escrire contre l’opinion de tant de Philosophes fameux et anciens, lesquels ont escrit des effects naturels, et rempli toute la terre de sagesse. Ie sçay aussi qu’autres iugeront selon l’exterieur, disans que ie ne suis qu’vn pauure artisan : et par tels propos voudront faire trouuer mauuais mes escrits. À la verité il y a des choses en mon liure qui seront difficiles à croire aux ignorans. Nonobstant toutes ces considerations, ie n’ay laissé de poursuyure mon entreprise, et pour couper broche à toutes calomnies et embusches, i’ay dressé vn cabinet auquel i’ay mis plusieurs choses admirables et monstrueuses, que i’ay tirees de la matrice de la terre, lesquelles rendent tesmoignage certain de ce que ie dis, et ne se trouuera homme qui ne soit contraint confesser iceux veritables, apres qu’il aura veu les choses que i’ay preparees en mon cabinet, pour rendre certains tous ceux qui ne voudroyent autrement adiouster foy à mes escrits. S’il venoit d’auenture quelque grosse teste, qui voulut ignorer les preuues mises en mon cabinet, ie ne demanderois autre iugement que le vostre, lequel est suffisant pour conuaincre et renuerser toutes les opinions de ceux qui y voudroyent contredire. Ie le dis en verité, et sans aucune flatterie : car combien que i’eusse bon tesmoignage de l’excellence de vostre esprit, dés le temps que retournastes de Ferrare, en vostre chateau de Ponts, si est ce que en ces derniers iours ausquels il vous pleut me parler de sciences diuerses, asçauoir de la Philosophie, Astrologie, et autres arts tirez des Mathematiques. Cela di-ie m’a causé doubler l’asseurance et suffisance de vostre merueilleux esprit, et combien que le nombre des iours de plusieurs diminue leur mémoire, si est-ce que i’ay trouué la vostre plus augmentée que diminuée. Ce que i’ay connu par les propos qu’il vous a pieu me tenir. Et pour ces causes i’ay pensé qu’il n’y a seigneur en ce monde auquel mon œuure puisse mieux estre dédié qu’à vous, sçachant bien qu’au lieu qu’il pourroit estre estimé d’aucuns comme vne fable pleine de mensonges, qu’en vostre endroit il sera prisé et estimé chose rare. Et s’il y a quelque chose mal polie, ou mal ordonnée, vous sçaurez très-bien tirer la substance de la matiere, et excuser le trop rude langage de l’aucteur, et souz telle esperance, ie vous supplieray treshumblement de me faire cest honneur de le receuoir comme de la main de l’vn de vos treshumbles seruiteurs.


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