Œuvres complètes de Bernard Palissy/Appendice/Déclaration des abus et ignorances des médecins

Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 399-431).

DECLARATION

DES ABUS ET IGNORANCES

DES MEDECINS.



L e grand Dieu eternel, qui tout a fait et creé sous sa main, a orné la terre de beaux arbres, arbustes, herbes, plantes, pierres et metaux. Puis il a creé les animaux, rationaux et non rationaux, comme bestes, oyseaux, et poissons : mais par sus tout l’homme est rational, à qui il a donné vne raison qui participe aux Anges, et par cette raison l’a fait maistre sus tous autres animaux. Car sans la raison il seroit beste moindre que les brutes, et par cette raison l’a fait à sa semblance, et luy a donné cognoissance des astres, des maladies, des herbes, des plantes, des pierres et metaux, le tout pour son vsage et service.

Puis il a donné aux vns la science plus qu’aux autres ; aussi des biens de terres aux vns plus qu’aux autres. Et à ceux à qui il a donné la science, il n’a pas donné la richesse, à ceux à qui il a donné la richesse, il n’a pas donné la science, à celle fin que l’vn serue à l’autre ; et a si bien dispersé ses graces, que nul ne peut repugner contre luy, et se doit chascun contenter de ce peu qu’il luy a pleu donner en son estat et vacation, où il luy a pleu l’appeller. Et pour ce qu’il a donné si brieue vie à l’homme, il n’est possible qu’il puisse comprendre beaucoup de choses, et ne peut pas grandement estre parfait en son estat, comme en la medecine specialement, qui est vn art fort long à comprendre, et la vie est fort brieue, parquoy perfection n’est en medecine : car auant que l’homme ait la cognoissance des maladies qui sont diuerses, et qui se changent tous les iours, aussi les complections des hommes semblablement se changent, puis des herbes, plantes, metaux, pierres, animaux et autres ; et auant qu’il sache la vertu et faculté de tout pour s’en seruir en ce que concerne la medecine, il a long temps à estudier ; puis auant qu’il les puisse composer et ordonner, il a bien à philosopher.

Premier doit considerer le Medecin, auant que ordonner, l’acrimonie de la maladie, la force d’icelle, la force et l’aage de son malade, la temperature et habitude d’iceluy, la qualité et temperature du temps ; puis doit sçauoir et cognoistre la vertu et faculté de son medicament, pour la guerir : et ayant tout bien cogneu et consideré, encores est-il bien empesché, et quelquefois ne peut venir à ses fins.

Ie te donne à penser si les Medecins de maintenant, quand ils vont voir leurs malades, ont en recommandation toutes ces choses ; il s’en faut beaucoup. Ils ont bien en recommandation le teston, mais de guerir ne s’en soussient pas grandement ; guerisse le patient s’il peut, mais qu’ils ayent leurs mains pleines, c’est assez ; aussi font-ils de belles cures à rebours. Et ne sçauroit estre autrement : car s’ils vont chez le malade, ils n’ont pas le loisir de le regarder, de tenir le poulx, voir l’vrine, qu’ils tendent la main pour auoir le salaire et s’en aller ; et puis en iront voir cinq ou six ; puis iront chez l’Apoticaire ordonner, escriuant quelquefois l’ordonnance de l’vn pour l’autre, ne se souuenant de la maladie de leurs patiens.

Et voila les pauures malades bien seruis, et à propos, là où le Medecin deuroit demeurer vne heure pour le moins à interroger son malade, pour preuoir les incidens qui suruiennent toutes les heures, pour y obuier, ils ne font qu’entrer et sortir, prendre argent et à Dieu. Si tu prends garde aux Medecins de maintenant tu trouueras que ce n’est rien qu’auarice, et ne se soussient que d’auoir argent, guerisse ou meure le patient s’il veut.

Car ils n’ont point d’honneur deuant leurs yeux, ny aucune honte non plus que beste. Ils nous peuuent bien appeller mangeurs d’hommes, ils en ont grand raison. Ie te donne à penser qui pille ou mange mieux le patient, le Medecin ou l’Apoticaire ? Ie ne vis iamais en practique où ie fusse, que le Medecin n’eust deux fois autant d’argent, sans rien fournir que sa peine, que moy qui fournissois tout, et auois plus de peine et de soin du malade deux fois que le Medecin, et quelquefois suis venu de practique et le plus souuent que ie n’apportois qu’vn beau credo, et le Medecin estoit payé tout contant : voila comment nous les destruisons et mangeons. Maistre Lisset dit que nous abusons en nos eaux distillées, vieilles et corrompues, mais c’est bien au contraire : car c’est eux-mesmes, comme ie diray cy-apres.

Il a escrit la maniere de les distiller en alambics de verre, qui ne vaut gueres mieux que distiller en plomb, et toutes deux ne valent rien : et si tu estois vn bon distillateur, et que tu eusses bien frequenté la distillation, tu dirois auec moy, que toutes eaux sublimées et distillées, soit en plomb, verre ou cornue sont de nulle valeur, reserué l’eau forte, dont les orfeures usent.

Qui est la cause que nous les distillons en cette maniere : est-elle venue de nous ? En sommes nous les inuenteurs ? Non : c’est eux, et c’est doncques eux qui en abusent, et non pas nous. Regarde tous nos vieils dispensaires, et tu trouueras la maniere de distiller à la vieille mode, et nous l’auons tousiours obserué et gardé. À quoy tient-il qu’ils ne nous ont apprins la vraye maniere de distiller ? Il tient qu’ils n’en sçauent et n’en sçeurent iamais rien. Si est-ce que c’est le principal de la Medecine, que sçauoir bien distiller, mais nos Medecins s’en passent bien, et n’en veulent point d’autres ; et qui leur en voudroit bailler de parfaites distillées, ils n’en voudroyent point, car elles ne sont à leur vsage : mais plutost des distillées en nos alambics de plomb ou de verre, n’ayant nulle odeur, ny saueur de l’herbe ou drogue dont elles sont extraites.

Si tu eusses bien experimenté et fabriqué la distillation, tu eusses cogneu que les eaux distillées ne valent non plus que eau de puits ou fontaine : car en telle distillation ne monte que la simple eau terrestre, n’ayant goust ny saueur non plus que eau de puits, sinon du feu qui la pousse. Et si tu en veux sçauoir la vraye experience, prends vne liure d’eau et vne liure de sel, et les fais bouillir ensemble, tu trouueras l’eau bien salée : fais-là distiller en plomb ou verre, comme tu voudras et tu trouueras ton eau aussi douce comme elle estoit auant que la fisses bouillir au sel. Ainsi est-il de toutes autres choses comme herbes, fleurs, racines, semences et autres, rien ne se leue que la simple eau terrestre, sans odeur, saueur ny vertu que bien peu[1].

Tu me diras que l’eau rose tient beaucoup de l’odeur de la rose. Ie te dis que la rose tient plus de la vertu aërée que nulle autre herbe ny plante, qui est la cause que l’eau retient quelque peu de l’odeur. Mais si tu la distillois comme il la faut distiller, tu trouuerois bien vne autre odeur que n’est celle qui est distillée en plomb ou en verre, car si tu en auois frotté tes mains ou ta barbe (si tu en as) l’odeur n’en sortiroit de trois ou quatre iours. Et si tu veux cognoistre l’eau bien distillée, il faut qu’elle ait l’odeur, saueur et force du suiet dont elle est extraite, et qu’elle ne tienne rien de la violence du feu. Et estant ainsi tu iugeras que ton eau est bien distillée, et tient partie de la vertu de son suiet. Les Medecins qui ordonnent les eaux, cuidant auoir la vertu entiere du medicament, sont bien bestes, et dignes de mener paistre ; car il faut entendre que toutes herbes, plantes, pierres et metaux, sont engendrez des quatre eslemens celestes, et semblablement l’homme et tous autres animaux, et ont en chascun corps quatre eslemens terrestres, à sçauoir quatre humeurs consonans au celeste, qui est le feu, l’eau, l’air, la terre. Aussi le petit monde qui est l’homme, est composé de quatre humeurs qui sont la colere pour le feu, le flegme pour l’eau, le sang pour l’air, et la colere noire (que nous disons melancolique) pour la terre. Semblablement toutes herbes et plantes, pierres et metaux, sont composez de quatre eslemens, humeurs ou essences, à sçauoir l’eau pour l’eau, l’huile pour le feu, le sel pour l’air, et la forme pour la terre[2]. Et chascun de ces eslemens tient sa part de la vertu du corps où ils sont implantez l’vn plus que l’autre ; parquoy tu es bien abusé si pour faire boire de l’eau d’vne herbe aux malades, tu penses auoir toute la vertu de l’herbe dont est extraite l’eau. Tu n’en as point en la maniere que nous auons esté enseignez par les Medecins à distiller : mais encores qu’elle fust distillée en toute perfection, tu n’en aurois que bien peu : car l’eslement de l’eau de quelle herbe que ce soit, soit chaude ou froide, est tousiours eau. Ie ne dis pas quand elle est bien distillée, que elle ne tienne de la vertu, mais moins que l’huile de la moitié, et moins que le sel du quart, et cela tu cognoislras, si tu goustes lesdits eslemens, à l’odeur, saueur et force.

Ie voudrois bien prier vn Medecin qu’il m’enseignast à extraire les quatre eslemens ou essence d’vne herbe ou plante, pierres ou metaux, et les rendre chascun à part, sans y adiouster ou diminuer, qui est le principal point de la Medecine. Il ne faut point attendre cela d’eux, car ils n’y sçauent rien du tout, et n’en veulent rien sçauoir, et ne veulent que leur vieille mode, qui est fausse, et ne vaut rien ; mais ce leur est tout vn, seulement qu’argent vienne : aussi leurs cures vont le plus souvent à rebours.

N’est-ce pas vne grande ignorance à eux, qui deuroyent estudier aux choses exquises et necessaires, chasser toutes erreurs, s’enquerir des choses bien faites, et les choses mal faites et abusiues, les reformer afin que leurs operations en fussent meilleures, et que les malades ne fussent en danger ? et la meilleure ordonnance qu’ils ayent, c’est vn Iullep à vn pauure malade, ayant l’estomac debile et desuoyé, auquel Iullep entre quatre onces d’eau, distillées à la maniere antique (ne sentant que le plomb et feu qui vaudroit mieux eau de puits ou fontaines) auec vne once ou deux de sirop le matin pour conforter ce pauure estomac, et voila le meilleur remede qu’ils ayent.

Et si ie disois à vn Medecin ; i’ai de l’eau distillée parfaitement, il me diroit : gardez-vous bien y en mettre, car ils ne sçauent que c’est, et n’est point escrit en leurs liures. Et combien nous en ont-ils fait faire d’abus par leurs ordonnances le temps passé ? Comme prendre vn medicament l’vn pour l’autre, à cause qu’ils n’auoyent point estudié en Grec, et seulement ne le sçauoyent pas lire ; et puis disoyent que les Apoticaires failloyent et qu’ils n’auoyent pas bien fait leurs ordonnances, quand leurs operations ne venoyent à propos, et s’excusoyent sur les pauures Apoticaires, encores auiourd’huy font le semblable.

Ne trouues-tu pas vn grand abus et ignorance aux Medecins, faire tenir vn pauure malade enfermé dans vne chambre, les fenestres bouchées, le lit bouché, et defendre luy donner air ? Ià que le pauure patient ne peut aspirer ny auoir son haleine à cause de la maladie, que à grand peine ; et tu la luy rends pour le bien enfermer et clore ? Regarde comment tu abuses, premier tu luy oste l’aspiration, et le rends plus melancolique que ne fait sa maladie, auec les mauuaises odeurs qui ne s’en peuuent exaler, qui luy penetrent le cerueau et le rendent plus malade de beaucoup : et si tu me confesses que l’air aide à la vertu expulsiue, et que nuls animaux ayant poumons ne peuuent viure sans air, doncques l’homme quelque sain et allegre qu’il soit, ne peut viure sans air, et estant malade encores moins ; parquoy ie dis que tu abuses de defendre l’air aux malades quand il est beau, et quand il n’est trop froid ny trop humide, ou venteux. Ie ne dis pas que si le patient a mal de teste ou qu’il le craigne, qu’il ne luy soit osté, non pas le faire mourir à petit feu par ton ignorance.

Ie te voudrois demander qui t’enfermeroit seulement six iours en vne chambre sans air, toy sain, et non malade, (comme tu enfermes les malades) si tu le trouuerois bon, et si tu pourrois viure comme tu fais à l’air.

Vn autre abus inueteré dont les Medecins de maintenant vsent communement, et mesme nostre Maistre Lisset, qui dit que c’est très-mal operé bailler à boire à vn febricitant de fieure continue ou égue, et que le boire augmente la colere. Les heures continues et égues alterent bien fort les malades qui en sont frappez : et que leur ordonneras-tu pour leur estancher la soif, eux qui sont en feu continuel auec la siccité qui cause l’alteration, et tu luy defens le boire de l’eau et autre potion.

Ie te dis que l’eau est froide et humide et ne peut engendrer ny augmenter la colere, qui est chaude et seiche : car elle luy est toute contraire. Et pour leuer la chaleur et siccité, il me semble (sous correction) qu’il luy faut bailler froid et humide, car toutes alterations sont procedées de chaleur et seichent ; parquoy l’eau qui est contraire à la chaleur et siccité, peut estancher la soif, et ne la peut-on estancher autrement.

Ie ne dis pas qu’il soit raisonnable de bailler à boire à vn febricitant toutes les fois qu’il en demandera, car il en demanderoit trop souuent ; et luy en bailler peu et souuent ne sert que l’inflammer dauantage, mais bien luy en bailler vne fois ou deux assez abondamment au lieu de luy en bailler cinq ou six fois. Alors tu luy esteindras cette grande chaleur, siccité et acrimonie ; et aussi tu luy defendras le foye et les intestins, à qui cette grande chaleur et inflammation nuit beaucoup ; et ce faisant ne le feras mourir martyr, à faute de boire, comme tu as de coustume. Et si tu as esgard à ton patient qui a la langue noire, les dents et les leures, tu considereras qu’il y a grande chaleur au foye et estomac ; parquoy tu luy concederas le boire raisonnable, sans le faire languir et mourir à petit feu : mais aucuns Medecins de maintenant prennent si bien garde à leurs malades, et espeluchent si bien les matieres, qu’ils n’oseroyent conceder outre ce que leurs liures en ont dit, sans donner aucun allegement à leurs patiens, et deussent-ils mourir, ce qu’ils font la pluspart à faute de les soulager ; mais c’est tout vn au Medecin, pourueu qu’il ait argent.

Ie trouue vne grande philosophie aux Medecins de maintenant, qui ordonnent l’eau bouillie à leurs patiens, disant que l’eau bouillie par l’ebullition du feu, se rend plus vnctueuse, perd sa froideur et viuacité, ce qui est faux, sinon que l’on la fist boire chaude ou tiede, et ce faisant perdroit sa viuacité actuelle, mais non potentielle : car quand tu l’aurois fait bouillir trois iours, laisse là puis refroidir, elle retourne comme elle fut, et n’y aura plus ny moins : sinon qu’elle print quelque goust estrange de fumée, ou du vase où elle auroit esté bouillie : car tu te peux bien asseurer que ce sera toujours eau, comme elle fut, froide et humide, si tu la laisses refroidir ; parquoy tu es bien abusé faire bouillir l’eau simple pour la faire plus proufitable aux malades. Ie t’asseure bien qu’elle vaut moins, car en bouillant le plus subtil s’en va, et demeure le plus terrestre et le plus gros ; parquoy il seroit bien meilleur la faire boire sans bouillir, que la bouillir.

Si tu estois bon philosophe tu sçaurois que les eslemens ne se destruisent l’vn l’autre, et n’ont puissance l’vn sur l’autre sinon que l’vn soit plus fort que l’autre, à sçauoir en plus grande quantité ; comme si l’eau est en plus grande quantité que le feu, elle le chasse ou pousse, et se rend actiue et rend le feu passif ; au semblable quand le feu est en plus grande quantité que l’eau, il pousse et chasse l’eau en se rendant actif et rendant l’eau passiue ; mais la destruire, consommer ou changer sa complexion, il n’en est rien : car rien ne se perd en ce monde ; les eslemens ne augmentent ny diminuent, ny se transmuent l’vn l’autre, chascun fait son action.

S’il estoit ainsi que le feu consommast l’eau et la transmuast, et que l’eau consommast le feu ou le transmuast, il y a longtemps que nous eussions faute d’eau ou de feu, ou bien que Dieu augmentast ou diminuast l’astre à mesure que les eslemens augmenteroyent ou diminueroyent. Ie ne dis pas que chascun n’ait son temps et force vne fois l’vn plus que l’autre : comme en hyuer la terre, au printemps l’air, en esté le feu ou soleil, en automne l’eau, et ont chascun leur regne en leurs temps ; comme au petit monde les humeurs ayant semblable action comme les eslemens.

Ie ne dis pas que faire bouillir en eau quelque medicament, comme orge, rigalisse ou autre, ne soit bon, car le medicament cuit ou putrifié en eau, s’il est chaud, rend l’eau moins froide, y laissant de sa vertu selon la quantité que tu y mets. Et si tu y fais bouillir orge ou autre medicament nutritif, la rendras nutritiue comme aux potages de chair, ou autres, et semblablement auras de la vertu des herbes et plantes que tu y feras cuire, quelque portion et non toute ; mais si y aura-t-il tousiours de l’eau qui fera son action par dedans. Ie ne te donneray aucune autorité que la vraye experience ; et si tu la veux sçauoir, prens vn grand materac ou phiole, et y mets deux onces d’eau bien pesées, puis le bouche du verre mesme, que rien n’en puisse aspirer, et que nuls porres du verre ne soyent ouuerts, puis tiens-la sur le feu tant que tu voudras, et la fais rougir au feu si bon te semble, et tant de drachmes que tu en consommeras, ie t’en donneray autant de cent escus, et l’y tinsses-tu deux ans comme i’ay fait. Et ayant ce experimenté, cognoistras que les eslemens ne consomment ny destruisent l’vn l’autre ; et si tu n’en veux faire l’experience, i’en fais iuge de mon dire toutes gens de sçauoir et bons philosophes qui en diront la verité, et d’autres choses que ie diray cy-après, sans alleguer autheur : car ie ne veux escrire la cognoissance des maladies, ny la maniere de les curer ; mais ie veux escrire les abus et ignorances de plusieurs Medecins en la cognoissance des medicamens et cure des maladies, et le danger où ils mettent leurs malades, par leur grand betise et nonsçauance, cuidant auoir la vertu d’vn medicament par vn moyen dont il n’est possible, comme des huiles qui se vsent auiourd’huy en la pharmatie, qui est vn grand abus, et ne l’ont encores cogneu nos Medecins, et encores pullulent.

Les Medecins diront que c’est nous qui le faisons et l’auons inuenté, qui est bien au contraire : car si tu cherches les vieux dispensaires et les nouueaux, tu trouueras la maniere de faire lesdites huiles, escrite ià passé cent ans, qui est si très-fausse et abusiue, que vn asne y mordroit : et si en vsent encores auiourd’huy, c’est qu’ils ordonnent communement huile de menthe, absinthe, rue et autres qui sont faites desdites fleurs, fruits et autres, auec huile d’oliue, pensant auoir la vertu desdites herbes en l’huile d’oliue qui est chose impossible : car ce sont toutes choses contraires, comme le feu et l’eau.

Tu es bien abusé de penser incorporer les eslemens aqueux et liquides auec les eslemens de nature oleagineuse et crasse ; tu assemblerois et incorporerois aussi tost le feu et l’eau comme tu ferois entrer la vertu d’vne herbe ou plante en huile ou gresse, et l’experience te le monstre euidemment. Regarde vne huile où tu auras bouilli force herbes ou fleurs, et la fais en la meilleure mode que tu sçauras, et tu trouueras que ton huile ne tient du goust ou saueur de son suiet, et moins de l’odeur ; parquoy tu peux iuger que la vertu n’y est pas demeurée, et n’en tient rien.

Autre experience ; prens de l’huile laquelle tu voudras, et de l’eau, et tasche de les incorporer ensemble, et y fais tout ce que tu sçauras et pourras, et si tu les incorpores simples, sans y rien adiouster, qu’ils ne se separent d’ensemble, ie payeray ce que tu voudras ; et à cela tu peux cognoistre qu’ils ne sont de semblable nature, mais differente et contraire ; parquoy tu ne peux ioindre les facilitez et vertus ensemble.

Autre experience ; prens vn simple tel que tu voudras, et le distille, et tu verras que le feu chasse l’eau la premiere : car il fait tousiours son action à son contraire, et puis à son semblable qui est l’huile, à part et non iamais ensemble, qui te monstre bien que l’huile et l’eau ne sont de semblable vertu, mais bien contraire : car toutes huiles tiennent plus du feu que des autres eslemens, et fust l’herbe froide dont l’huile seroit extraite, et aussi iamais ne se peuuent incorporer, encores qu’ils soyent extraits d’un mesme corps engendré et nourry ensemble par nature. Dauantage si tu prens lesdites herbes ou fleurs qui auront esté bouillies et presque toutes bruslées en huile d’oliues et que tu les distilles et en tires l’huile du propre corps d’icelles sans y rien adiouster, tu en tireras vue huile qui aura autre odeur que celle que tu as fait par ton ebullition aqueuse : car elle aura la propre odeur, saueur et force que son suiet mesme ; que si tu en mesles demi-once en vne liure d’huile d’oliues, elle le rendra telle odeur à ladite huile qu’il semblera que toute l’huile soit extraite du mesme medicament. Or regarde si pour bouillir tes herbes elles laissent leur vertu dans l’huile ou gresse où tu les as bouillies. Par cela tu peux cognoistre facilement qu’il n’y a rien du tout, veu que si grande quantité d’herbes ne peut pas bailler l’odeur que fait demi-once qui a esté extraite à part.

Ie ne pense point que les bons autheurs ayent escrit la maniere de faire les huiles autrement que par la vraye distillation, non pas celles brouilleries qui sont escrites en nos dispensaires, qui ont esté escrits de quelque vieux resueur : car il est facile de tirer l’huile de tous les vegetans sans y adiouter, et en vaudroit mieux vne once que dix liures faites par decoction en huile d’oliues.

Si tu auois veu de l’huile extraite ou tirée d’vne herbe, fleur ou racine, tu dirois c’est le vray : car si tu en auois tasté le gros d’vn cul d’espingle en ta bouche, il te seroit aduis que toute l’herbe ou fleur fust en ta bouche auec semblable force. Et si tu en auois frotté tes mains ou ta barbe, l’odeur n’en partiroit de deux iours, et celles-là sont les vraies huiles, et les autres ne sont qu’abus inueterez, dequoy les Medecins sont autheurs qui nous les ont apprins à faire en cette sorte, et ne veulent vser encore auiourd’huy que de celles-là, et qui leur en voudroit bailler des parfaites, ils n’en voudroyent point : car ils ne les sçauent pas ordonner, ils n’en virent iamais, et ne sçauent la force et subtilité d’icelles, et seroyent trompez en faisant plutost mal que bien à ceux à qui ils les ordonneroyent ; parquoy ie suis d’aduis qu’ils se tiennent à leurs vieilles paste et mode de faire inutile, à celle fin que s’ils ne font pas de bien, qu’ils ne facent point de mal.

Lisset dit que nous baiilons du quid pro quo en leurs ordonnances, ce qui est vray : n’est-ce bailler vn quid pro quo à vn malade, luy bailler de l’huile d’oliues, pour huile de menthe, sauge ou autre ? N’est-ce pas abuser le patient qu’il pense refroidir vn membre par l’huile rosat ou violat ou autre ? Et il y a de l’huile d’oliues qui est chaude et acre : tu aurois beau bouillir herbes froides dans l’huile auant que lui oster son naturel, qui est chaud et acre, non pas seulement luy diminuer : car l’herbe n’est pas de semblable nature, mais contraire, qui empesche que les vertus ne se peuuent ioindre ensemble ; et maistre Lisset dit que nous sommes imperits et faisons mourir les malades par nostre imperitie.

Ie vous laisse à penser si eux-mesmes ne sont imperits, ne sçachant que c’est qu’ils ordonnent, ny moins donner raison comme les compositions peuuent rendre leurs vertus suiuant leurs intentions, comme tu vois des huiles : le semblable est des autres choses.

Si ie voulois escrire combien i’ay veu mourir d’hommes par leurs imperities et ignorances ! comme les vns pour s’amuser à iullepter pendant la maladie augmentoit, et la nature diminuoit tant que le malade mouroit ; d’autres que pour ordonner la diette trop extresme, debilitoit tant la chaleur naturelle, que le patient tomboit en conuulsion de ses membres, et mouroit ; d’autres pour auoir ordonné des dormitoires (sans auoir esgard si les malades estoyent chargez de fluxions) qui dorment encores, et tant d’autres qu’ils ont faits et font tous les iours, qui seroit tant long à reciter, que l’on en feroit vne Bible ! Et de tels Medecins en a grande quantité en l’Europe, Asie et Afrique : de ce que Lisset escrit contre eux et contre les Chirurgiens, ie n’y responds rien, ie suis de son costé en cela.

Il dit que l’estat de la Pharmatie est plus douteux qu’il ne fut iamais, à cause que les Apoticaires se meslent d’autre estat et vacation que la leur ; ie luy respond que les Medecins en font bien dauantage, car ils se meslent, les vns de prester à vsure l’argent qu’ils ont gaigné iniustement des pauures malades ; les autres de faire marchandise, comme faire faire veloux ; les autres à iouer toute la nuit aux cartes et dez ; les autres à chercher les femmes enceintes, et leur aller taster le ventre pour sçauoir si elles feront fils ou fille, pour gager dessus, et voila leurs estudes. Et ne faut penser que l’estude du Medecin soit autre que à l’auarice ; parquoy la medecine est plus douteuse que la pharmatie : car l’art de la pharmatie se peut faire parfaitement, ce que ne fait la medecine ; car elle est imparfaite, et n’y eut iamais perfection n’y aura, l’experience le montre à l’œil,

Tu verras des Medecins frappez de certaines maladies, desquelles ils ne s’en peuuent guerir, et sont contraints languir et enfin mourir ; les vns sont affligez de goutes artetiques, les autres de goutes migraines, les autres de coliques, les autres de nephretiques, les autres sont frenetiques, et ne s’en peuuent guerir, et en pensent guerir tous les autres tous les iours qui en sont malades comme eux. Regarde quel abus et quelle perfection y a en leur art ; s’il y auoit perfection ils se gueriroyent les premiers, mais ils ne peuuent guerir eux ny les autres, et blasment les Apoticaires qui pancent les malades sans eux.

Ie te dis que si l’Apoticaire est sçauant et bon simplicite, il le peut faire aussi seurement que le Medecin : car il a intelligence et cognoissance des medicamens, qui est le principal : car de ieunesse et frequentation il est nourry auec eux, et sçait quelle force et temperature ils ont, et en quelle action ils font mieux que le Medecin, ioint qu’il a veu et retenu les grandes fautes que les Medecins ont fait et font en la cure des maladies dont il se peut garder : car il est tousiours plus prochain du malade, que le Medecin, pour ce qu’il faut qu’il applique l’ordonnance, et s’il est homme de bon esprit et iugement, qui le gardera retenir le bon, et laisser le mauuais ? Ie t’asseure que les Medecins sont tant estonnez du moindre incident qui survient en leurs practiques, qu’ils ne sçauent que dire ; quelquefois ils diront il est mort, qu’il guerira; quelquefois ils diront qu’il guerira, qu’il mourra incontinent.

Combien de fois me suis-ie trouué auec le Medecin aller voir des malades, le soir dire à leurs parens : il se portera bien et guerira bientost pour certain, que le matin nous le trouvions mort sur la table ? Plusieurs fois cela m’est aduenu auec les Medecins qui estoyent les mieux famez, dont ie me esbaysois fort. Et si un Apoticaire pance vn pauure homme sans leurs ordonnances, il en sera blasmé, et s’il meurt, l’on dira : l’Apoticaire l’a tué par son ignorance ; que ne dit-on doncques ainsi des Medecins quand leurs malades meurent entre leurs mains ? I’espere voir le temps que le peuple cognoistra que c’est que le Medecin, et dequoy il sert, et aussi l’Apoticaire.

Notre maistre Lisset nous blasme, disant que nous faisons vser beaucoup de drogues aux malades pour auoir plus d’argent ; c’est bien au contraire, car l’Apoticaire sçauant se gardera bien de bailler aux malades chose dequoy il ne soit asseuré par experience, et qu’il n’en cognoisse bien la faculté ; et ne fera pas comme font beaucoup de Medecins qui ordonnent des receptes confuses, à sçauoir grands triades (thériaque), grand quantité de drogues, pour dire qu’ils sont fort sçauans, là où deux ou trois ayant bons respects à la maladie, feroyent plus que tous ces grands triades. Et qui examineroit le Medecin qui les ordonne, il se trouueroit bien empesché de dire la faculté de la moitié, et trouueroit sa recepte confuse : car il est impossible que tant de drogues puissent faire vne fermentation ayant respect à la maladie, qu’il n’y en ait quelqu’vne qui nuise et qui repugne, et qui ait quelque vertu oculte qui ne vient à propos. Parquoy ie trouue sage vn operateur qui use de peu de medicamens, bien cogneus et experimentez, mesme de ceux qui croissent deuant luy, sans aller chercher les lointains qui sont nourris les vns en pays chaud, les autres en pays maritimes qui ne sont consonans à nostre nature, qui n’est engendrée ni nourrie en ces pays.

Tu peux pancer et medeciner les corps nez au pays de France, des herbes et plantes qui sont nées audit pays, sans en aller chercher au pays lointains et sera plus seurement : car les medicamens nez et nourris sous le climat où sont nez et nourris les corps, proufitent beaucoup plus ausdits corps que ceux qui sont nez sous autre climat. Experience : regarde si ceux des Indes et autres pays se medecinent des medicamens qui croissent en nostre climat, et nous nous medecinons bien des leurs, et qui en est la cause ? Nos imperits de Medecins ; pour ce que Galien, Hippocrates et Auicenne en ont escrit de ce qu’ils ont veu par experience en leur pays et climat, tant des medicamens que des corps, et s’ils eussent esté en France nourris, ils eussent escrit des medicamens nez et nourris sous le climat de France, et n’eussent point eu la peine de les aller chercher si loing.

Tu ne me sçaurois faire croire qu’vn medicament né en pays chaud et maritime, ne serue mieux à ceux de son climat, que à ceux d’vn autre climat froid ; si tu cherches bien les herbes chaudes en France, comme les Indiens et Arabes ont en leurs pays, tu les y trouueras, mais non tant chaudes, ny tant acres, aussi ne nous seruiroyent-elles pas bien : pour ce que nos corps ne les pourroyent endurer, ny nostre nature n’en pourroit si bien faire son proufit comme de celles qui croissent deuant nos yeux, et en nostre region et climat, qui quelquefois ne sont encores que trop fortes, violentes, et acres, sans en aller chercher plus loing de plus fortes, et plus acres, mesmes qui nous enuoyent le plus souuent l’vn pour l’autre, se moquant de nous, comme de nostre espodion (ivoire) bruslé.

Ie voudrois bien demander à nos Medecins s’ils sçauroyent bien discerner vn os mis en cendres, si c’est de l’os de la iambe de l’Elephant, ou autre animal : ouy de beaux. Et tant d’autres que ie ne veux citer.

Si le Medecin estoit docte et bon operateur, il n’vseroit iamais, ny feroit vser par la bouche de drogues lointaines, que du rhubarbe, agarit et aloës, pour ce que cela est cogneu et experimenté par nous.

Ie te voudrois bien demander quelle vertu prens-tu en l’espode bruslé, en la corne de cerf bruslée ? Penses-tu que nature puisse alterer et transmuer en sang cette cendre si aride ?

Si tu me dis, ie la baille pour deseicher quelque humeur dans l’estomac, ie te responds qu’il en faudroit grande quantité pour deseicher, et tu n’en ordonne qu’vne drachme pour le plus, qui ne sçauroit deseicher grande humidité.

Parquoi mets cela au rang des abus, et n’en vse plus pour ton honneur : car tout cela ne sert que d’empesche dans l’estomac : tout ainsi comme des metaux que nos Medecins veulent que l’estomac debille, transmue, et sanguifie, comme l’or et l’argent.

Ie te dis que l’or est si parfait et si fixe, qu’il ne craint eslement qui soit, celeste ou terrestre : rien ne le peut alterer, rien ne le peut transmuer : il demeure tousiours en son entier, et tu luy veux faire rendre sa vertu dans l’estomac de l’homme debille. Tu es bien abusé, non pas dans l’estomac de l’Austruche. I’ay veu faire des petites pelotes d’or, pesant chascune douze grains ; et les faire manger auec du pain à vn Gal (coq) : pour ce qu’il a vn Docteur qui a escrit que le Gal le destruit et digere : nous luy en fismes manger vingt et quatre, lesquelles il nous rendit comme nous les luy auions baillées, sans estre en rien diminuées, et eusmes nostre pois autant pesant qu’il en auoit mangé.

I’ay veu tenir l’or au feu par l’espace de quarante-huit heures sans estre diminué d’vn seul grain ; regarde comme la diminuera vn estomac debille, comme te restaurera-t-il le cœur, si l’estomac ne le transmue ? Comment te resiouyra-t-il les esprits ? Si fera, et ie te le diray : car tu ne sçais pas, et croy que les autheurs qui en ont escrit, l’ont ainsi entendu.

Si tu voyois deux ou trois mille escus sur ta table, ou dans tes coffres, ne serois-tu pas plus ioyeux que s’il n’y en auoit point, et que tu en deusses ? Ouy, de la belle moitié. Il te restaureroit le cœur, les esprits et la veue exterieurement, mais non interieurement ; et ne desplaise à nostre autheur qui a ordonné le Diacameron en nostre dispensaire, où il ordonne limature d’or et d’argent, disant que la composition est tant souueraine, qu’elle reduit l’homme de vie à mort, dis-ie de mort à vie ; et ie t’asseure que c’est des meilleurs abus de nostre pharmatie, entretenus par les doctes Medecins.

Si ie voulois dire que l’or ne fust restauratif, i’aurois bien menty : car par l’or on a chapons, perdrix, cailles, phaisans et toutes choses qui sont bonnes pour resiouir et restaurer l’homme, comme maisons, chasteaux, terres, possessions qui resiouissent l’homme exterieurement, et non interieurement : comme de le manger en substance, que nos Medecins ordonnent. I’aimerois mieux si i’estois malade auoir perdu vn escu que d’en auoir mangé vn autre en quelque sauce que le Medecin me le sçeust mettre : car il ne sert en l’estomac que de chose estrange, et d’empesche : et si ie l’auois en ma bourse, il ne me sçauroit empescher. Ainsi en est-il des pierreries ou fragmens que les Medecins ordonnent à manger aux malades pour restaurer et conforter le cœur, le cerueau et les esprits.

Lisset peut bien dire que nous en abusons en baillant du verre broyé pour lesdites pierres. Asseure toy que autant vaut l’vn que l’autre, et autant rend de faculté en l’estomac l’vn que l’autre.

Si tu cognoissois que c’est que ces pierres, tu iugerois que autant seruent elles que les metaux, et non plus : car elles sont aussi difficilles à transmuer et sanguifier que l’or ou l’argent, car la perfection de la pierre est en sa dureté, et plus elle est dure, et plus lucide et transparante elle est, et aussi plus rebelle à cuire et digerer à vn estomac debille, à qui communement les Medecins les ordonnent, et moins se peut sanguifier, et ne peut seruir en l’estomac que d’empesche, à cause de sa pesanteur et frigidité, rendant l’estomac inutile de son action au lieu de le restaurer et conforter.

Ie te voudrois demander si vn bon chapon bien cuit et pressé, le suc ne restaureroit pas mieux qu’une pierre bien dure, fust-elle la plus precieuse de ce monde ? Penses-tu restaurer et conforter les corps des choses dures et indigestibles ? Penses-tu que nature puisse alterer vne pierre et vn metal ? Tu t’abuses et abuses les pauures malades à qui tu les ordonnes : car toutes choses que nature peut alterer, elle en a fait son proufit, et ce qu’elle ne peut alterer, l’altere, la conuaint et endommage, luy faisant grand mal, la rendant tant debille que le patient ne peut quasi aspirer, et les causes sont ces choses estranges, abusiues et mal inventées. Il faudroit beaucoup manger de pierres pour faire et engendrer vne once de sang ; aussi faudroit-il beaucoup en manger pour consommer vne once d’humidité. Si l’intention du Medecin estoit telle, et toutesfois il en ordonne bien peu ; parquoy ie dis que c’est vn des premiers abus de Medecine.

Tu chercheras autre nourrissement pour restaurer, que pierres : car les pierres ne restaurent que exterieurement, comme quand elles sont belles, bien orientales, bien colorées, bien lucides et transparantes : et pour leur beauté conforte la veue, l’esprit, à celuy à qui elles sont ; mesmes quand elles sont de grand prix, et bien parfaites. Les pierres sont engendrées par congelation, les metaux par desiccation. Il faut long temps auant qu’elles soyent en leur perfection : plusieurs disent qu’elles sont creées dès le commencement du monde : tant plus dures sont-elles, et plus de temps faut pour attirer leurs vertus à nostre pauure estomac debille, qui n’a la puissance de digerer vn coulis, ou bouillon, qui est presque digeré à force de cuire, et voila les belles ordonnances de nos Medecins.

Tu me diras, Galien, Hyppocrates, Auicenne l’ont escrit : ie te respons qu’ils ont bien escrit d’autres choses qui ne seruent de rien non plus que cela, et ont bien failly en plusieurs choses ; tu ne te deuois pas tant fier à eux que tu n’en fisses quelque experience. Prens quelques pierres que tu voudras, et les fais distiller ou brusler, ou en tires les quatre eslemens, et tu verras quelle peine tu y auras, et combien tu en tireras. Il faudroit beaucoup de saphirs, rubis, iacinthes, esmeraudes et autres pour tirer vne once d’huile, et pour tirer demi-once de sel. Ie ne voudrois pas estre obligé de rendre vne once d’huile de ces pierres pour cent escus sol… Regarde quel abus voila aux Medecins qui n’en ordonnent que demie drachme ou vne drachme : autant rendent-elles de vertu dans l’estomac, comme elles te rendent d’odeur et saueur sur la langue, et les broye tant subtiles que tu voudras ; d’autant plus ie m’esbays des Docteurs qui en ont escrit sans les auoir experimentées.

Ie me ris encores mieux des Medecins qui les ordonnent en onguent, comme le corail et autres, appliquez sur l’estomac, et veulent qu’ils entrent par les pores, ablués d’huile ou gresse ; vne chose dure et pesante, que iamais ne laisse sa vertu, à cause de sa grande dureté, pour chose que l’on luy face. Et encores qu’il est ablué de gresse ou huile qui est bastante de l’empescher, s’il estoit prest à rendre sa vertu ; et veux-tu qu’il entre par les pores subtilement : tu as bel attendre.

Ie m’esbays que tu n’as mieux experimenté les abus qui ont tant regné et regnent encores. Lisset se peut bien moquer des Apoticaires qui appliquent les retentifs sur le ventre pour restraindre le flux ; et les Medecins ordonnent les pierres sur l’estomac qui n’ont nulle asperité, odeur, saueur, ny force. Si les y ordonnent-ils pour restraindre et conforter ; et qui est plus ignorant, est-ce pas le Medecin et plus imperit ? Tu me diras, tu parles contre le proufit de la Pharmatie, et ie te dis que ie suis amy de verité, et que i’aime mieux que cet abus soit osté qui encherit grandement les compositions où entrent ces belles pierres precieuses, tant pour les pauures que pour les riches, qui ne seruent que d’empesche, et que les proufits ne soyent pas si grands, afin que le peuple ne soit tant abusé : car auiourd’huy nos Medecins ordonnent fort de ces belles compositions pierreuses ou restaurans, qui sont cuits au bain marie, composés d’vn vieux chapon de dix ou huit ans, dur, aride et gouteux, qui meurt de vieillesse, ethic, sans chair, ny suc ; et iceux nos Medecins font chercher pour restaurer les corps debilles et destituez de nature : et le chapon qui est destitué de nature, et qui n’a nul nourrissement ny chaleur naturelle, peut bien restaurer vn malade debille et destitué de chaleur naturelle. Nonobstant, si en faut-il auoir, et ne veulent point de ieunes, tendres, gras et chauds, ayant bon suc et bon nourrissement ; ceux-là ne valent rien à restaurer, mais bien les vieux ethics durs comme pierres.

Ie cuide que l’on cherche tous les moyens d’abreger les heures aux malades : i’en fais iuges tous les frians qui disent : jeune chair et vieux poisson ; ie ne sçay où ils ont trouvé ces resueries. Vn homme qui n’auroit iamais estudié en medecine, et ne sçauroit rien de la qualité des choses, iugeroit qu’vn bon ieune chapon, gras et tendre, vaut trop mieux qu’vn vieux, sec et maigre, dur et gouteux, et que le ieune a plus de substance que le vieux ; ils me diront que le vieux est plus chaud que le ieune, ce qui est faux : car toute chose pres de sa natiuité a plus de chaleur que la chose vieille et loing de sa maturité. Regardes le par toy-mesme, si tu as tant de chaleur que quand tu estois ieune : si tu veux dire ouy, tu rendras les hommes immortels par vieillesse, ce que tu ne sçaurois faire : car tout homme et tous animaux ont toute leur chaleur à leur naissance, et va tousiours diminuant iusques à la fin, et en diminuant nous fait changer de couleur tous les iours ; nous transmuant à mesure qu’elle se perd, à sçauoir là où nous estions rouge, nous fait venir blesmes ; la barbe que nous auions rousse ou noire la fait venir blanche : là où nous estions forts et roides, nous fait demeurer flacs et debilles ; ne pouuant plus tendre nos nerfs, n’ayant plus de suc, ny d’humidité radicale, destituez de chair, estant presque éthics ; et la cause est que nous n’auons plus cette chaleur qui nous faisoit auoir nourrissement de toutes choses ; ainsi est-il de tous autres animaux. Parquoy si tu me veux croire, tu n’vseras plus de vieux animaux pour restaurer les corps vieux et debilles, et ne prendras plus ce qui a besoin d’estre restauré, pour restaurer les destituez et debilles.

Il me souuient auoir ouy dire à vn Medecin que le vin vieux estoit plus chaud que le nouueau, et ie luy demanday ou le vin prend sa chaleur ; il me dit, en la tine ou vaisseau où l’on le fait ; et ie luy respondis qu’il auoit sa chaleur auant que y estre mis, et nous accordasmes à cela. Puis ie luy demanday où prend le vin cette chaleur acquise que vous dites en enuieillissant, veu qu’il est subtil et s’euapore tous les iours. Le pauure homme ne me sçeut donner autre raison, sinon qu’il attiroit ; et ie luy dis qu’il le falloit doncques tenir au soleil, et non en la caue.

Il y a des grandes sophisteries entre ces Medecins, ils ont mis de toutes choses le char deuant les bœufs, mais auiourd’huy ne peuuent plus faire croire leurs abus et ignorance, dire que le vin vieux est plus chaud et plus fumeux, ayant plus d’asperité et force que le vin nouueau ; ie t’en vais donner vraye experience.

Prens vn barraut ou mesure de vin vieux, le meilleur que tu pourras trouuer, et semblable mesure de vin nouueau, qui soit bon et purifié, et les fais distiller par vne serpentine, ayant ses reuolutions, et tu trouueras que le vin nouueau te rendra plus d’eau ardente que le vin vieux d’vn bon tiers, et à cela tu cognoistras que le vin nouueau a plus de chaleur et asperité que le vin vieux, contre le dire de tous les vieux resueurs, Ie ne dis pas qu’vn vin vieux ne soit plus proufitable au corps et plus temperé que le nouueau : car il ne penetre le cerueau comme fait le nouueau ; mais pour dire qu’il soit plus chaud, il n’en est rien.

Regarde l’ignorance des Medecins et leurs bonnes experiences, qui cherchent les choses froides, arides, sans nourrissement, comme pierres dures, chapons vieux et ethics pour faire restaurans pour les corps debilles et destituez de chaleur naturelle, et sont ordonnez de si bon goust lesdits restaurans, qu’vn homme bien sain et alegre, aimeroit mieux ne iamais manger que prendre de ces beaux restaurans aborrissant à nature, à cause de leur mauuais goust. Regarde comme les malades debilles et desgoustez, en peuuent estre restaurez ; car il faut que ce qui restaure soit plaisant et alegre à nature ; encores ont-ils trouué une autre maniere de restaurer, fort abusiue, que notre Maistre Lisset approuue très-bonne, c’est qu’ils font distiller la chair d’vn chapon, perdrix, cailles ou autres, en eau, puis ils y mettent du sucre et canelle, pour faire boire ladite eau à leurs malades, pensant leur donner telle substance que s’ils auoient fait manger lesdites chairs à leurs malades, qui est bien au contraire : car il ne distillera que l’eau pure, comme ie t’ay ia baillé l’experience de l’eau salée, et n’aura nulle odeur ou saueur, sinon de la chair qui bruslera au cul de l’alambic, qui fera que l’eau sentira l’alambic et le bruslé, et rien autre ; et le bon et le substantiel demeurera et ne montera point ; et le Medecin fera boire de cette eau à son malade pensant le restaurer, qui ne vaut non plus que eau de puits, n’a odeur que d’eau et de feu.

Experience, prens vn chapon ieune et non vieux, et vne perdrix, ou autre que tu voudras, et le fais bien cuire, et tu trouueras en la decoction ou bouillon vne grande odeur, si tu l’odores, et vne grande saueur si tu le goustes, tellement que tu iugeras que cela est bastant pour restaurer. Fais le distiller, puis prends de l’eau et en goustes, et tu la trouueras insipide, sans goust, ny odeur que du bruslé, comme i’ay ia dit ; lors tu iugeras que ton restaurant n’est bon, et ne peut rendre bon suc au corps debille, à qui tu l’ordonnes pour faire bon sang, pour restaurer ny fortifier les esprits de nature.

Ie ne veux pas dire que le sucre et canelle, quand ils y en ordonnent, n’y seruent plus que toutes les chairs distillées qu’ils y sçauroyent mettre : car il vaudroit mieux l’odeur des potages desdites chairs, que l’eau qui en sort ; et vaudroit mieux eau de fontaine que icelle eau ayant mauuaise odeur ; et voila les restaurans de nos ignorans Medecins.

Si tu veux faire vn bon restaurant facile à distribuer, et transmuer, par tout le corps, fais cuire chapons, poulles, ieunes, non vieux, et autres que tu voudras, puis le presse fort bien dans vne presse, tant que les os rendent leurs moelles, puis en fais vne gelée bien claire et de bon goust, et tu auras toute la substance de la chair, sans distiller ; et si y adiousteras tel medicament que tu voudras, dont tu auras la substance, et n’empescheras l’estomac de ton patient, ains le restaureras, sans aborrition, comme font les autres restaurans susdits, aborrisant aux sains et alegres, mais le prendra plaisamment, et ne luy coustera que d’aualler, et aura la substance et vertu de tout ce que tu y auras mis, comme i’ay dit.

Maistre Lisset recite l’argument qu’il fit à l’Apoticaire qui disoit que le rhubarbe attiroit du cerueau, et Lisset luy demanda, à sçauoir si les drogues qui ont vertu d’attirer du cerueau, doiuent estre legeres ou pesantes : l’Apoticaire luy respond qu’elles doiuent estre legeres ; et Lisset luy dit pourquoy il prenoit le rhubarbe, veu que le bon rhubarbe se doit eslire le plus pesant ; ie responds icy à nostre Maistre Lisset que l’Apoticaire luy auoit mieux respondu que ledit Lisset ne luy auoit demandé : car s’il n’est la plus grande beste du monde, pour attirer du cerueau en toutes les compositions il y a du rhubarbe : et si le rhubarbe est de substance pesante, si est-il de vertu subtile ; et s’il n’estoit de vertu subtile, il ne purgeroit pas la colere. L’aloes est bien de substance pesante, si attire-t-il du cerueau mesme, et en vsons en toutes nos pillules : voila vn bel argument pour escrire et faire imprimer.

Il dit bien vray que nature guerit les maladies, car ce ne sont pas les Medecins : parce qu’ils ne cognoissent les maladies, nature ny medicamens ; n’est-ce pas bien cogneu la vertu et faculté des medicamens qu’ils ont tenus, eux et les Chirurgiens, l’argent vif ou mercure, froid au quart degré, qui est au contraire ; il est bien froid actuellement, mais chaud potentiellement, et n’y a metal que luy qui soit subtil, et qui entre dans les pores, de tant qu’il y en a.

Ie suis esbay que les Medecins et Chirurgiens n’y ont prins garde, mesme l’experience le leur a tousiours monstré deuant les yeux. Y a-t-il Medecin ny Chirurgien qui sçeust inflammer le foye et l’estomac, par onguent qu’il sçache faire à vn verollé, luy donner mal de gorge sans argent vif, ny moins qu’ils puisse guerir cette maladie qui est vne lepre froide, sans argent vif, qui est le principal medicament, et celuy qui fait plus d’action en cette maladie, qui comme par sa grande chaleur fait ulcerer la gorge, les leures, les genciues, fait branler les dents comme vn clauier d’orgues. Et s’il estoit froid, feroit-il toutes ces actions, donneroit-il telles inflammations, causeroit-il faire suer ? Tu me diras, ce n’est pas luy seul qui enflamme et donne mal de gorge.

Ie te vais conter vne experience veritable d’vn ieune homme qui vne fois vint à moy, et me pria luy donner secours à certaine maladie : c’estoit qu’il auoit force morpions, et ne pouuoit durer ; ie luy fis vn petit liniment où ie mis vne once de pommade qui est faite de gresse de chevreaux, de pommes et d’eau rose, et tout cela est froid : ie y mis vne dragme d’argent vif, et le tout incorporé, luy en fis frotter les genitoires, cet onguent luy donna telle chaleur et inflammation que le pauure homme cuida brusler toute la nuit, et le matin tira toute la peau de ses genitoires comme vne bourse, si bien l’argent vif l’auoit bruslé. Tu ne sçaurois dire que ce fust autre que l’argent vif : car tout le reste estoit froid ; et si tu penses que ie sois menteur, esprouue la recepte sur toy, et s’il ne t’en prent ainsi, ie payeray ce que tu voudras : car ie suis asseuré de mon experience. Ie luy chassay fort bien les morpions, aussi il ne s’en mescontenta pas ; nonobstant, les Medecins et Chirurgiens le tiennent pour froid, et en vsent à refroidir.

Ils s’abusent bien, car d’autant que tu penses qu’il soit froid, il est chaud, et qui pis est, ne meurt iamais en quelque lieu où il soit appliqué, fut-il mis au feu : car le feu n’a nulle puissance sur luy, que de le chasser : car il est si subtil, que incontinent qu’il sent le feu, il s’en va en fumée. Mais il ne diminue en rien, et rien ne s’en perd, si non que l’on y mesle du souphre pour en faire du cinabre, ou bien que tu le voulusses sublimer ; mais encores baille moy du cinabre et sublimé, et i’en tireray d’argent vif, non pas tout. Et ne faut plus que tu sois ignorant de dire qu’il est froid : car il est chaud sans difficulté ; tu me diras que les Autheurs l’ont escrit froid, disant que les choses graues et pesantes de leur substance sont froides, et les legeres lucides et transparantes, en leur substance sont chaudes. Si tu as bien leu Mesué, tu trouueras qu’il ne faut auoir esgard à la pesanteur, ny à la legereté, c’est qu’il est ainsi et n’en sçauroit donner raison.

Regarde les herbes qui sont les plus froides (comme le iusquiame) croissent en lieux les plus chauds et se y nourrissent. Les chaudes et seiches en l’eau, comme les cressons ; puis il y en croist des froides et seiches, comme les capillaires : parquoy tu ne sçaurois iuger qui est la cause, sinon que Dieu a donné ses vertu si occultement que l’homme ne les peut comprendre. Et pour sçauoir quelle vertu elles ont il les faut experimenter par experience.

I’approuue le camphre chaud, ce qu’il est encores que les Medecins et Chirurgiens l’ordonnent pour refroidir contre tous leurs autheurs. Premierement il est fort leger, lucide, transparant et de forte odeur, tellement que son odeur esmeut le cerueau ; il est de substance subtile, les choses froides ne sont point subtiles, et leur odeur ne penetre le cerueau. Dauantage il a conuenance auec le feu, et brusle mieux que l’huile ou gommes ; s’il estoit froid, il repugneroit au feu son contraire : mais au contraire, le feu s’y prend sitost qu’il le touche ; s’il etoit froid comme le salpestre, il brusleroit auec bruit et repugneroit : mais il brusle lentement sans mener aucun vent, et l’eau ne l’en peut garder : car il brusle en l’eau ; dauantage, quand il est meslé auec la poudre à canon, où il y a du salpestre, il fait la poudre fort violente, à cause du froid et du chaud, qui est le salpestre et le camphre, et s’il etoient tous deux froids, ils seroyent longs à brusler : car le souphre est long à brusler, et n’auroit pas tant de vigueur, force, ny violence ; parquoy i’approuue le camphre chaud par toutes ces raisons : et quant à l’experience, ie ne vis onques refroidir inflammation par camphre : et n’estoient les autres medicamens froids que les Medecins et Chirurgiens ordonnent pour accompagner le camphre, iamais il ne refroidiroit les parties enflammées ; mais au contraire, reschaufferoit au lieu de refroidir ; et si tu en veux autre experience, esprouue le seul, et tu trouueras qu’il est chaud.

Notre Maistre Lisset dit que les Sandaux sont chauds à cause de leur odeur violente, et dit que icelle odeur leur est baillée par les Apoticaires. Veritablement il a bien parlé, et à son honneur, et a beaucoup veu de Sandaux. Il n’y a si petit apprentif en la Pharmatie, qui ne iuge que c’est vn ignorant du tout : car il ne seroit possible de bailler odeur à vne piece de bois comme il dit, qui ne coutast à l’Apoticaire plus de deux escus sans le temps perdu, et le sandal blanc et citrin ne couste que huit sols la liure. Ne seroit-il pas bien de loisir qui s’y amuseroit, gaigneroit-il pas bien sa vie ? Encores n’est-il possible de le faire.

Il dit aussi que les Apoticaires font tremper de bons girofles pour donner odeur aux vieux. Ne seroit-il pas bien de loisir aussi l’Apoticaire qui s’amuseroit à bouillir vne liure de girofles bons, pour donner odeur à vne liure de vieux et pourris ? Maistre Lisset ne sçait pas et n’a pas experimenté que les girofles bouillis ou trempez en eau ne valent rien, et fussent-ils les meilleurs du monde, auant bouillir ou tremper : car ils ne se peuuent si bien desseicher qu’ils ne donnent bien à cognoistre qu’ils ont esté mouillez : car ils regrignent ou regrillent comme vn cuir, et là où ils doiuent estre gros, charnus et secs, ils se montrent comme cuir bruslé tous entortillez ; et n’y a homme qui en sçeust vendre ne qui en voulust acheter : car ils sont difformes.

Ie crois que celuy qui luy a donné à entendre ces belles folies, se moquoit de luy, et c’est bien moquerie dire que l’on peut bailler odeur au bois ; mais s’il eust dit que ordonner du bois en onguent ne sert de rien, non plus que des pierres, il eust dit verité, et ne se fust pas monstre asne comme il est, et les autres qui l’ordonnent ; car le bois n’est pas si subtil, tant soit-il puluerisé, qu’il puisse penetrer par les pores : et est difficile que nature le puisse tant eschauffer qu’elle en sçeust tirer la vertu, à cause de sa dureté et siccité. Ioint qu’ils l’ordonnent auec huiles et gresses qui le garderoyent rendre ses facultez s’il estoit prest à les rendre. Mais sans huile ny gresse le bois ne sert de rien, appliqué exterieurement, sinon a eschauffer et faire des couleurs, comme bresil, sandal et autres. Et voila de belles ignorances des Medecins de maintenant, qui vsent du bois et pierres sur les estomacs, pensant faire entrer la vertu desdites choses par les pores.

Ie ne dis pas si tu mets du bois en decoction, et la faire prendre par la bouche, ou en fomenter quelque partie où tu la voudrois appliquer bien chaude, que la decoction ne soit bonne, et qu’elle ne tienne quelque peu de la vertu du bois : mais si tu en sçauois tirer l’huile parfaite, tu en ferois de belles operations ; sa substance dure ne t’y empescheroit, et entreroit par les pores, à cause de sa subtilité, et seroit sans abuser et tromper les malades, comme font les Medecins.

Ie trouue vne grande sottise aux Medecins ordonner torrefier le rhubarbe, mirabolans et autres, voyant qu’ils sont si secs : car le rhubarbe s’il n’est sec tombera en putrefaction incontinent, et ne se pourra garder, ny les autres ; et pour les garder, faut qu’ils soyent secs, et les Medecins les font deseicher dauantage de peur de faillir ; pour ce qu’ils ont leu en leurs autheurs qui ont escrit du rhubarbe, et mirabolans qui croissent en leur pays, et les ont tous recens. Aussi les ordonnent-ils seicher, pour ce qu’ils ont trop d’humidité estant verds ou recens ; et nous n’en auons point que de secs, car l’on ne les sçauroit apporter recens, et nos Medecins de par-deça les ordonnent seicher qui est vne grande folie : car incontinent les font rehumecter en la mesme decoction en quoy ils les font vser.

S’ils les faisoyent prendre secs, ie dirois qu’ils auroyent intention de imbiber quelque humeur dans l’estomac, ou restraindre plus amplement ; mais font torrefier le rhubarbe et autres, et quant et quant auec vne decoction en font faire vn potus. Et dequoy a serui le torrefier ? Car estant en la decoction se renfle comme deuant et mieux. Si tu me dis, ie le fais seicher pour luy oster sa subtilité, ie te responds que quand elle seroit à demi-bruslée, elle n’en perdroit rien, et n’est que folie torrefier le rhubarbe, mirabolans et autres, pour faire prendre en potus auec eau et decoction. Mais c’est vue vieille coustume entre les Medecins qui n’oseroyent auoir ordonné du rhubarbe et mirabolans à vn flux de ventre, s’ils ne les ordonnent torrefiez : autrement seroyent appellez bestes et auroyent grandement failli.

Maistre Lisset nous a grandement chargez de sophistication : mesmes en celuy de l’ambre gris, disant que nous l’adulterons et augmentons de certaines drogues, ce que n’est vray ; mais il n’a pas dit que c’est que ambre, et luy est à pardonner, à luy et aux autres, car ils ne sçauent que c’est.

Ie m’esbays comme nos Medecins n’ont mieux estudié pour cognoistre les grands abus, et iceux repudier, corriger et chasser pour ne abuser le peuple ; et ils l’ont par leur ignorance laissé regner et pulluler depuis ie ne sçais combien de temps, sans l’auoir cogneu. C’est la plus belle sophistication et la plus chere qui soit en nostre Pharmatie. Ie n’ay point leu ny peu sçauoir à la verité que c’est que ambre, sinon sophistication, comme ie diray.

L’vn dit que c’est le sperme de la baleine, que la mer iette sur le riuage, et puis est englouty et mangé de certains renards marins : puis est prinse la fiente desdits renards, et dit-on que cela est le vray ambre, et y en a de deux sortes, à sçauoir celuy qui est failly par le sophisticateur, qui est mol comme sauon noir, et on dit celuy estre qui n’a passé par le ventre du renard, et l’autre qui est dur est celuy qui a passé par le ventre du renard. Voila de belles baliuernes, et t’y fie si tu veux.

Les autres ont dit que c’est l’espume de mer, que par force de flotter contre quelque rocher, s’est engendré et endurcy en vn germe, que autres disent estre vray ambre gris, ce qui est faux ; les autres ont dit que c’est la fiente d’vn certain poisson que la mer iette sur le sablon, qui est amassé et apporté pour ambre gris.

Il me souuient auoir trouué vn bec d’vn poisson et vne pierre d’ambre qui resembloit le bec d’vn petit oyseau qui est frequent en ce pays, qui se nomme vn gros bec, autrement ne se nomme, et celuy qui auoit vendu l’ambre, soustenoit que c’estoit le bec d’vn poisson que l’autre poisson auoit mangé.

Or deuinez que c’est, et le quel est de ces trois, et si tu ne le sçais, ie t’en vais dire mon opinion : c’est vne belle misture et sophistication qui nous est enuoyée par les Turcs et Arabes, qui nous la font payer plus que l’or, et s’en moquent, et nos Medecins qui n’ont eu le sens et entendement de sçauoir que c’est, nous contraignent acheter ce bel abus à grand coust, pour en conforter et restaurer les malades, qui possible est contraire, et ainsi en abusent les pauures gens, auec grands coustanges.

Maistre Lisset s’est fort bien ingeré de nous vouloir parler des choses rares, que nous ne pouuons auoir ny recouurer qu’à grand frais et peines, comme la vraye terre sigillée, le balsamon, le myrre, le rheon, l’amomon, et le vray Cinamomon et tant d’autres. Il est venu trop tard pour nous enseigner cela, et autres choses : car feu Monsieur Symphorien Champier nous en a desbandez les yeux, il y a passé vingt-cinq ans, par son liure intitulé, Le Miroir des Apoticaires, et Lisset nous le veut ramener, et pense que nous l’ayons oublié. Celuy ne nous a iniurié comme Lisset, ains remonstré affablement. Aussi auoit-il plus de sens d’esprit et sçauoir que Lisset. Il l’a monstré par ces escritures, car il ne nous accuse estre les inuenteurs d’abus, et n’en dit rien aussi ; qui est-ce qui nous a apprins à abuser (si abus il y a) ? N’est-ce pas les Medecins ? S’ils parlent contre nous, ils parlent contre eux : car c’est eux qui sont les autheurs. Regarde nos vieux antidotes, et tu verras la maniere comme nous auons esté enseignez et apprins ; puis se pensent bien excuser, disant, que c’est nous qui faisons les abus qu’ils nous ont apprins.

Maistre Lisset dit que les herbes siluestres qui croissent sans cultiuer, sont de plus grande vertu que celles qui sont cultiuées, ce qui est faux ; et si tu n’es asne, tu trouueras que les chardons qui sont viandes d’asnes, cultiuez sont plus sauoureux, plus grands en herbe, racine et semence, et plus plaisans à manger que ceux qui croissent par les montaignes, et champestres non cultiuez. Semblablement si tu regarde les herbes et plantes, commes les especes d’antibes et autres, si l’agriculture ne leur donne double saueur, double corps, et au lieu d’estre seiches et arides, sont douces et amiables. Et si tu veux dire qu’elles n’ayent double vertu, ie te dis que pour le moins elles en ont plus que celles qui croissent sans cultiuer ; et si tu veux sçauoir l’experience, regarde vn arbre ou fructice qui n’ait point esté enté, et vn de mesme fruict qui ait esté enté, et taste des deux fruicts, et tu verras lequel est le meilleur, et lequel a plus attiré de la uertu aërée.

Autre : prens des raisins, des lambrucs qui croissent sans cultiuer, et de ceux de vigne qui est cultiuée, et en fais du vin, et gouste dudit vin, et tu trouueras que celuy qui est fait sans cultiuer, ne sent que l’eau et l’acerbe ; et celuy qui est cultiué, est de bon goust, et plus chaud deux fois que celuy de lambrucs ; parquoy tu peux iuger que le vin de sa nature est chaud, et ne perd sa chaleur pour l’agriculture, ains l’augmente de la moitié. Par ce moyen ie conclus que toutes choses cultiuées croissent en corps et vertu de moitié plus que les champestres, et non cultiuées, et sont plus odorantes vertes et seiches.

Quelle erreur trouue Lisset à l’Apoticaire prendre les herbes seiches au lieu des vertes ? Les Medecins pensent-ils qu’vne herbe prise en son temps bien deseichée, soit moindre qu’vne verte et recente ? Ie dis que la seiche ne perd rien de sa vertu pour estre seichée ; elle ne perd que l’eau terrestre dequoy elle a esté nourrie en la terre ; mais de son eau eslementaire elle n’en perd rien, mesme que si ie voulois auoir la vraie eau, moy et tous les bons distillateurs, il la faudroit faire seicher ou prendre de la seiche.

Autre : si tu en veux sçauoir l’experience, prens vne poignée d’herbe seiche de laquelle que tu voudras, et vne poignée de verte, et les faits bouillir à part, et autant l’vne que l’outre, puis prens la decoction des deux, et en taste et l’odore, et tu trouueras que la decoction de toute herbe qui est seiche est plus odorante et plus forte que celle de la verte ; parquoy tu iugeras que l’herbe seiche ne perd rien de sa vertu pour estre seichée.

Si nous voulons auoir l’huile ou autre eslement d’vne herbe par distillation, nous la faut faire seicher. Ie ne dis pas qu’il ne se puisse faire sans seicher. Or le voudrois demander aux Medecins, qui fait la plus grande faute en automne ou hyuer, le Medecin qui ordonne l’herbe verte ou l’Apoticaire qui luy en baille de seiche. Ie dis que le Medecin erre grandement d’ordonner l’herbe verte hors son temps : car l’herbe cueillie en son temps qui est Auril et May, quand la vertu est aux caules ou tiges, et feuilles, a plus de vertu seiche que n’a la recente quand la vertu est en la fleur ou semence, ou quand la vertu est retournée en la racine, qui est en automne ou en hyuer. Tu ne peux auoir la vertu des herbes aux feuilles si elle est en la racine. Aussi tu ne la peux auoir en la racine quand elle est aux feuilles, et au semblable tu ne la peux auoir en la fleur si elle est en la semence, aussi en la semence si elle est en la fleur.

Chascune chose a son temps, et doit estre cueillie et amassée en son temps si tu ne veux grandement errer ; parquoy ie dis que l’Apoticaire qui diligemment amasse et se fournit d’herbes, racines, fleurs et semences en leurs temps, et les fait seicher pour en seruir en l’ordonnance du Medecin seiches, fait beaucoup mieux que les bailler vertes, encores que le Medecin l’ordonne hors du temps des feuilles ; comme en automne ou en hyuer, encore que l’on les puisse trouuer : car nos Medecins en temps d’hyuer ou automne font chercher les herbes recentes, qui ont passé leur temps, et laissent les seiches qui ont esté prinses et amassées au temps de leur vertu, qu’il en vaut mieux vne poignée qu’vn plein sac de recentes de ce temps-là, et sont encores en cette ignorance.

Maistre Lisset est fort empesché sçauoir que c’est que turbith que nous usons auiourd’huy en la Pharmatie ; pour te dire que c’est, ce n’est le taptia que tu dis, qui se trouue en la Romaigne, c’est l’esula maior qui se trouue au Royaume de Naples, et en autres lieux, et nous est apportée des Venitiens et autres Nations, fort chere. Ie te monstreray d’esula maior aussi belle, charneuse et laticineuse comme celle qui nous est apportée des Neapolitains, qu’ils appellent turbith.

I’ay experimenté l’esula maior de ce pays, que i’ay trouuée plus laxatiue sans errosion que n’est celle qui nous est apportée pour turbith, et aussi belle, et si laticineuse : car la gomme que tu vois aux deux bouts n’est autre que le laict qui sort quand tu la coupe fresche, qui se seiche là, et par les fentes quand tu la fends fresche comme i’ay dit, et t’asseure qu’elle n’est point si maligne ny si venimeuse que celle qui est apportée pour turbith.

Ie me tairay de parler de l’election des drogues, aussi de leurs vertus : car ie n’ay deliberé respondre que contre les abus et ignorances des Medecins, tels que Maistre Lisset : car i’espere auec le temps escrire des medicamens, ensemble de la distillation plus amplement. Encores que Lisset dise que les Apoticaires ne sont aucunement grammariens, et ne sçauroyent estudier ; parquoy la medecine est en grand danger. Ie trouueray Apoticaires qui parleront aussi seurement de la medecine en François, que beaucoup de Medecins ne sçauroyent respondre en Latin. Il est plus facile estudier chascun en sa langue, que d’emprunter les langages des estranges pour estudier.

Gallien a escrit en sa langue, et n’a pas emprunté le langage d’vne autre region pour faire ses liures ; aussi Hyppocrates, Auicenne, chascun a escrit et estudié en sa langue. Les Apoticaires de France peuuent estudier en François sans aller emprunter les langues Latines, ny celles des Alemans : car tout ce qui concerne la Pharmatie est traduit en François ; parquoy ils se peuuent faire sçauans, sans estre Latins, ni Grammariens, contre le dire de Maistre Lisset, et mieux que les Medecins : car leurs liures sont en Grec et Latin fort elegans, et la moitié des Medecins n’entendent Grec ny guerres Latin ; parquoy ils ne sçauent qu’ils estudient, et les pauures malades sont en grand danger sous leurs mains : car ils nous medecinent à la mode des Grecs et Arabes, et des drogues des Grecs et Arabes ; et nous ne sommes Grecs ny Arabes, et moins de leur complection, ny nez, ny nourris en leur climat qui est tout contraire au nostre : car leur pays et climat est plus chaud deux fois que le nostre, et leurs medicamens plus forts et plus egus, et plus veneneux que les nostres. Nonobstant, nos Medecins s’en seruent à mediquer nos corps, aussi nous mettent-ils en grand danger, qui est grand betise à ceux qui pourroyent bien trouuer des medicamens en France pour medeciner ceux de France, sans en aller chercher en ces pays maritimes qui sont du tout contraires à nous ; mais ils n’ont cognoissance ny intelligence aux medicamens non plus que bestes, et n’oseroyent entreprendre d’experimenter autre que ce qu’ils ont leu en leurs liures, et pour ce qu’ils vilipendent l’estat de Pharmatie, ie dis que iamais ne fut et ne sera bon Medecin, s’il n’a esté Apoticaire, et qu’il n’ait frequenté l’herbolage et les drogues pour connoistre la force, saueur, vertu et acrimonie, les auoir veu composer pour seurement en ordonner après, et ne faire comme celuy qui me demanda dernierement si l’auois du sirop d’absinthe Romain, et ie luy dis que ouy.

Il me dit qu’il auoit plus de vertu à conforter l’estomac que l’absinthe Pontic, et en va ordonner pour boire en l’eau bouillie, et à la cueillier, à vne ieune Damoiselle, sans regarder l’amertume qui est si grande, que quand la ieune Damoiselle en tasta, cuida creuer de vomir, et rua fiole, sirop et verre par terre. Et si le Medecin eust veu faire le sirop et en eust tasté, il se fut bien gardé d’en ordonner pour boire en eau, car il est trop plaisant : et s’il se fust trouué près de la Damoiselle quand elle gousta du sirop, elle luy eust ietté par la teste ; ainsi font-ils des autres choses, pour ce qu’ils ne virent iamais rien faire des compositions qu’ils ordonnent, et ne sçauent si elles sont aigres ou douces, vertes ou blanches.

Ie ne dis pas qu’il n’y ait des Apoticaires veaux et asnes, ne sachant rien de leur estat ; ie n’escris pas pour soustenir ceux-là, mais plutost les voudrois vilipender, et monstrer au doigt que de les soustenir : car c’est grande conscience à vn Apoticaire de se mesler de distribuer la medecine, et n’a la cognoissance des medicamens, et plus grande conscience au Medecin qui ordonne quand il a cognoissance que l’Apoticaire est vne beste.

Mais auiourd’huy les Medecins iront plutost ordonner chez vn Apoticaire ignorant que chez vn sçauant : car l’ignorant luy leuera le bonnet tant de fois qu’il parlera, fera grandes reuerences, donnera presens, trouuera tout bon, ne contredira en rien, et deust le Medecin tourner tout sens dessus dessous, ce que ne fera vn docte Apoticaire : car il ne peut endurer vne chose mal faite deuant les yeux, qu’il ne repugne ; aussi les Medecins ne cherchent pas ceux-là, et se garderont bien y aller s’ils peuuent, mais plutost les detracteront pour pousser en auant leurs semblables. Aussi vous trouuerez ces asnes d’Apoticaires plus riches que les sçauans, à cause de ce que i’ay dit, et qu’ils endurent tout, et mesme de leurs seruiteurs : car ils n’oseroyent rien commander à leurs seruiteurs, mais au contraire leurs seruiteurs leur commandent, et faut qu’ils endurent pour ce qu’ils ont peur d’estre appellez asnes par leurs seruiteurs.

Et voila pourquoy la medecine est mal faite par ces veaux : car si vn seruiteur fait mal vne composition, le maistre ne l’ose reprendre ; car il ne sait pas. Voila qui fait les seruiteurs arrogans, à cause qu’on endure d’eux, qui ne sont que veaux, et les maistres veaux en sont cause. Il seroit bon que l’estat fust iuré, et que nul n’exerçast la Pharmatie qu’il ne fust examiné, vieux et ieunes : car il y a de grands asnes d’Apoticaires en France, et aussi y en a-t-il de sçauans.

Mais pour chasser cette vermine qui fait tant de maux, et qui deshonore l’estat, seroit bien fait de leur faire faire vn examen, pour sçauoir s’ils sont capables auant que se mesler d’administrer la medecine. Mais qui les poursuiura ? Les Medecins ? Non : car ils ont si grand peur que l’on ne les contraigne d’eux corriger les premiers, et se graduer, qu’ils se garderont bien rien entreprendre contre les Apoticaires, ce qui seroit bien raisonnable ; car il y a tant de gens qui viuent de cet estat, et n’en sçauent rien, que c’est chose horrible. Aussi seroit-il bien raisonnable que les Medecins fussent passez Docteurs auant que les laisser practiquer, et leur faire faire approbation de leur estude : car le premier qui vient est Medecin passé. I’ay veu dans Lyon venir plusieurs qui se disoyent Medecins, qui en leur vie n’auoyent ordonné recepte.

Ie te monstreray par les receptes qui sont escrites de leurs mains, qu’il n’y a si petit Apoticaire (fust-il apprentif) qui ne iuge qu’ils n’en auoyent iamais ordonné autant, et si auoyent grand bruit, et gaignoyent force argent, en abusant le pauure peuple ; et voila qui est la cause des grands abus qui se font, et mesmes les Chirurgiens qui se meslent de la Pharmatie et Medecine, qui est chose impossible : car le Chirurgien a tant à estudier en son estat, qu’il ne faut point qu’il en cherche d’autre : auant qu’il fut sçauant Medecin, et sçauant Chirurgien et Apoticaire, il luy faudroit trois aages, encores n’en pourroit-il venir à bout et luy suffiroit bien sçauoir mediocrement la chirurgie.

Ie voudrois trouuer vn Chirurgien qui osast asseurer guerir vue maladie, et en donner raison, ie l’estimerois bien. Ils diront bien qu’ils la gueriront, si autre accident n’y vient ; mais de preuoir l’accident, pas rien. Quand tout est dit c’est comme des Medecins, ils sçauent bien faire la mine, rien autre, pouruu qu’ils soyent bien braues, de l’argent gaigné aux pauures gens, en les abusant, c’est tout vn, aussi tout est à l’aventure.

I’ay veu vn Chirurgien asseurer guerir vne petite playe à la cheuille du pied, dans quatre iours, n’en faisant grand conte, et le patient mourut en six iours, et la cause de mort fut la douleur de l’vlcere qui causa la fieure continue, et le veau ne luy sçeut iamais leuer la douleur, et s’il estoit fort braue et bien velouté, et tant d’autres que i’ay veu faire deuant mes yeux. Parquoy il suffiroit bien au Medecin faire sa Medecine, au Chirurgien, la Chirurgie, encores en seroyent-ils bien empeschez, sans comprendre sur les autres estats, et seroit bien assez que chascun sçeust donner raison de ce qu’il fait ; mais leurs raisons sont tant minces, que les imperits aujourd’hui leur font grand honte.

I’ay veu dans Lyon vn Courdonnier et vn cousturier qui n’auoyent iamais estudié en medecine, ny en chirurgie, se mesler de practiquer et guerir les maladies que les Medecins et Chirurgiens auoyent desesperez et abandonnez. N’est-ce pas vne grande honte à eux ; et ils entreprennent l’vn sur l’autre, et de tout ne sçauent rien, et ne sont certains de rien ; parquoy il seroit bien meilleur laisser toutes autres faciendes pour estudier en la medecine et chirurgie, à fin de confondre tous ces imperits, guerir les maladies et satisfaire si bien que les cousturiers et courdonniers n’emportassent l’honneur qu’ils doivent auoir, et ne se fascher si vn plus sçauant et experimenté que eux y entreprenne ; qui est grand honte, sans s’amuser à blasmer l’vn l’autre par escrit, qui est vne grande moquerie entre les sçauans et doctes. Ie pense bien que Lisset n’a reçeu grand honneur d’auoir ainsi vilipendé et iniurié les Apoticaires.

Quant à moy, la response que ie lui en fais, c’est pour ce qu’il blasme sans raison et ne dit verité : car ce qu’il dit des sophistications, n’est possible le faire, et donne faux à entendre au peuple ignare, cuidant mettre à neant l’art d’Apoticaire, ce qu’il ne sçauroit faire, mais plutost l’honorer et se deshonorer soy-mesme entre les sauans, qui cognoissent bien que ce qu’il a escrit est par enuie et haine qu’il a contre les Apoticaires.

I’ay protesté ne blasmer les doctes et sçauans, ny aussi ie ne veux laisser blasmer l’estat, et ceux de l’estat où Dieu m’a appellé. Ie n’ay point escrit par enuie que i’aye contre Lisset : car ie ne le cogneus iamais ; mais plutost ie douterois que ce soit quelque Medecin qui a changé son nom pour nous blasmer, en chargeant ceux d’Aniou et Poitou, craignant auoir la response de ceux de Lyon.

Si est-ce que i’ay cogneu des Apoticaires de Tours, Aniou et Poitou, qui estoyent sçauans, et m’esbays comme ils ont enduré ces iniures, sans luy respondre. Il ne faut pas qu’il s’excusent d’auoir faute de matière, car il y a tant d’abus en la medecine que les Medecins ont fait et font tous les iours, que qui voudroit chercher en trouueroit pour amplir vne rame de papier.

Quant à moy, ie m’en tais pour le present. Il est temps que ie face fin à ma response, te laissant à penser (Amy Lecteur) si les Medecins ont grand raison de blasmer les Apoticaires après qu’ils les ont introduits et enseignez à faire les choses de quoy ils les accusent d’abuser, et c’est eux qui abusent, comme ie t’ay monstré cy dessus, et sont ignorans des abus qu’ils font, et en vsent encores auiourd’huy.

Ie n’ay voulu escrire tout ce que i’en sçay, à cause de la moquerie du peuple ; mais i’ay escrit les plus euidens qu’ils ordonnent tous les iours. Ie n’ay escrit certains abus de medecine qui ne consistent en la Pharmatie, esperant auec le temps le tout mettre en lumiere et euidence. Te suppliant, Amy Lecteur, nous auoir pour excusez, si nous n’auons dit chose digne de toy, te promettant auant long-temps auec l’ayde de Dieu, chose meilleure : et à Dieu.

fin.
  1. Un argument aussi mal fondé et si évidemment contraire à l’experience, ne peut appartenir à un homme comme Palissy.
  2. On ne peut s’empêcher de remarquer ici que l’auteur se montre partisan de la doctrine de Galien sur les éléments et les humeurs qui leur correspondent ; et, plus loin, de celle de Pythagore sur le macrocosme et le microcosme. Or ces doctrines, si elles n’étaient pas totalement ignorées de Palissy, qui n’avait pas lu les anciens, ne devaient au moins trouver nul crédit auprès d’un homme qui se faisait honneur de n’admettre aucune opinion sur la foi des maîtres, et sans l’avoir vérifiée par lui-même.