Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours sur l’Édit en faveur des protestants


DISCOURS

SUR

L’ÉDIT EN FAVEUR DES NON CATHOLIQUES,


Pièce qui a remporté le prix au jugement de l’académie Française,
en 1789[1].



Que chacun dans sa loi cherche en paix la lumière,
Mais la loi de l’État est toujours la première.
Voltaire.


Lorsque du haut du trône une voix paternelle
Console ces Français qu’a proscrits un faux zèle,
Au rang de citoyen leur donne un droit nouveau,
Protège leur hymen, leur tombe, et leur berceau ;
Moi, né d’aïeux errants, qui, dans le dernier âge,
Du fanatisme aveugle ont éprouvé la rage,
Puis-je ne pas chanter cet Édit immortel
Qui venge la Raison, sans offenser l’Autel ?
Hélas ! quand nous vivons sous des lois plus humaines,
Faut-il redire encor les meurtres des Cévennes ?

Ces prisons, ces bûchers, ces pieux échafauds,
Le Dieu de paix servi par la main des bourreaux,
Le prêtre encourageant le soldat sanguinaire,
Les enfants pour jamais arrachés à leur mère,
Des femmes, des vieillards immolés sans remord,
Et contraints de choisir le mensonge ou la mort ;
Enfin l’Édit fatal que dicta l’Ignorance,
Cent mille citoyens rejetés par la France,
Et jusqu”au fond du Nord emportant avec eux,
Des arts nés pour fleurir sur un sol plus heureux ?
Leur foule croît sans cesse, et de larmes baignée
Implore des vengeurs dans l’Europe indignée.
Leurs cris sont entendus : la fortune a changé.
De jours, et de revers, et d’ennuis surchargé.
Louis vaincu, Louis, que le malheur éclaire,
Triste, et privé d’enfants dans sa cour solitaire
De son front glorieux voit pâlir la splendeur.
Déjà vingt nations qu’offensait sa grandeur,
Des Français exilés soudoyant l’industrie,
Ont conquis les trésors qu’a perdus ma patrie.
Voyez à nos erreurs l’Angleterre applaudir.
Voyez-y le commerce habile à s’agrandir,
Et dès lors s’accroissant de nos pertes fécondes,
Régner avec orgueil sur les mers des deux mondes.

 Mais c’est trop retracer ces revers éclatants,
Aux ministres du Ciel reprochés si longtemps.
Sainte Religion, toi qu’honore un vrai sage,
Je ne viens point noircir ta vénérable image.
Non, je n’impute point, en de coupables vers.

À la fille d’un Dieu les crimes des Enfers,
Et qui n’a pas béni ta bonté maternelle,
Lorsque tu viens, cherchant la douleur qui t’appelle,
Appliquer à des maux qu’évitaient tous les yeux,
Ce dictame immortel qui fleurit dans les Cieux ?
Je respecte l’Autel, en détestant la rage
Du superstitieux qui l’invoque et l’outrage.
Cependant, ô scandale ! ils furent célébrés
Ces excès, aujourd’hui par l’Église abhorrés.
Autour de cette tombe où Le Tellier repose,
Que vois-je ? Tout est prêt pour son apothéose,
Un orateur parait ; sur son front respecté
De la Religion se peint la majesté.
Des héros dont sa voix enorgueillit la cendre,
Les mânes ranimés se lèvent pour l’entendre ;
Il parle : à ses accents l’âme des spectateurs
S’agrandit, et du Ciel habite les hauteurs.
Il a l’œil et les traits des prophètes antiques ;
C’est Bossuet, c’est lui qui des vils fanatiques
Encourage, applaudit le zèle criminel ;
C’est lui qui, dans la chaire, au nom de l’Éternel,
Ouvre au persécuteur la demeure suprême,
Et place au sein d’un Dieu l’ennemi de Dieu même !
N’accusons pas pourtant ce sublime orateur
De tromper les humains, de mentir à son cœur.
Trop souvent le grand homme, ainsi que le vulgaire,
Porta des préjugés le joug héréditaire.
On le sait trop, hélas ! les plus fameux esprits,
Quand la France pleurait ses citoyens proscrits,
Célébraient cet exil, honte de notre histoire.

Et cette grande erreur du Siècle de la gloire.
Quel amour, quels respects doivent suivre le nom
De cet homme de paix, du sage Fénelon,
Qui parut, en ces jours de scandale et de guerre,
L’ange consolateur descendu sur la terre !
Lui seul, en désarmant le soldat inhumain,
Il subjugua les cœurs l’Évangile à la main.
Ô des mœurs et des arts attendrissant modèle !
Son goût fut aussi pur que son âme était belle.
Son génie et son cœur prouveront à jamais
Le Dieu dont sa vertu retraça tous les traits ;
Et dans un seul mortel à la fois on révère
L’exemple des Chrétiens et le rival d’Homère.
On imita trop peu ses préceptes divins.

 Aujourd’hui, sur les pas des plus grands écrivains
S’approche la Raison, qui, chassent l’ignorance,
D’un meilleur avenir apporte l’espérance.
Ils ne s’abusaient pas, ces sages révérés
Qui disaient : « Le bonheur s’avance par degrés. »
Peut-on de leurs accents méconnaître l’empire ?
Eux seuls du fanatisme ont éteint le délire.
De l’humaine raison qui rampait, faible encor,
Combien leur noble audace encouragea l’essor !
Leur voix toute-puissante, en dépit de la haine,
Régit l’Opinion, cette invisible reine,
Plus forte, sans soldats, que le glaive et les lois,
Qui soumet tout enfin, et règne sur les rois.
Ce sublime Voltaire, oracle de la France,
N’a donc point vainement prêché la tolérance !

C’en est fait, il triomphe. Accourez dans ces lieux,
Où nos pères jadis ont aimé vos aïeux.
Disciples de Calvin, familles fugitives
Qu’une loi tyrannique éloigna de nos rives.
Sous la garde des Lois et sous l’ombre des Lis,
Vos filles sans effroi s’uniront à nos fils.
Vous naîtrez citoyens, et vos cendres vengées,
Par le Trône et l’Autel dormiront protégées.
Espérez plus encore ; à vos yeux satisfaits,
Le temps, n’en doutez point, promet d’autres bienfaits
On guérit lentement des malheurs trop rapides.

 Mais, quand on adoucit les ordres homicides,
Qui de ce grand Louis dépeuplaient les États,
Pardonnez à son ombre, et ne l’outragez pas.
Son Siècle l’a trompé : qu’on le plaigne et l’honore.
Dans ce Palais des Arts où son nom règne encore,
Quelle jalouse main éteindrait aujourd’hui
L’encens toujours nouveau qu’on y brûle pour lui ?
Des Muses, soixante ans, il reçut les caresses,
Et l’éclat de leur gloire a couvert ses faiblesses.
Tout l’excuse en effet : quand ce roi trop flatté
Vit la Mort près de lui guider la Vérité,
Quand il se reprocha les cris de ses victimes,
Des prêtres, condamnant ses remords légitimes,
S’efforçaient d’endurcir, au nom d’un Dieu vengeur,
La tendre humanité qui parlait à son cœur.
Ah ! s’il avait vécu dans des jours de lumière,
S’il pouvait tout à coup, ranimant sa poussière,
De sa présence auguste étonner les humains.

Et revoir ce Versaille embelli par ses mains !
Quel moment ! quel réveil ! Les voilà ces lieux même
Où les Arts, décorant son pompeux diadème,
Habitaient dans sa cour, et fiers de son appui,
Venaient avec honneur s’abaisser devant lui.
Un autre éclat succède à leur gloire passée.
L’auguste Liberté, si longtemps repoussée,
Prudente sans faiblesse, et ferme sans orgueil,
Du palais de nos rois ose franchir le seuil.
Elle élève son front sous les mêmes portiques,
Où Louvois a dicté ses ordres despotiques.
Je vois les courtisans fléchir à son aspect,
Accablés de terreur, et non pas de respect.
Puisse-t-elle, en brisant les fers de l’esclavage,
Donner à ma patrie un bonheur sans orage !
Qu’au lieu d’édits sanglants, elle porte en sa main
Ces paisibles écrits, espoir du genre humain ;
Qu’elle abjure le glaive et garde la balance,
Des peuples et des rois fixe enfin la puissance,
Gouverne sans désordre, et, sage en ses projets,
Affermisse le trône en vengeant les sujets !
Aimons la Liberté : mais soyons dignes d’elle.
Déjà sa main nous rend ce ministre fidèle
Que les complots des cours ont trois fois exilé,
Et que le vœu public à trois fois rappelé.
L’opinion, bravant une ligue perfide,
Le couvre tout entier de sa puissante égide,
De ces fameux bannis qu’a défendus ma voix,
Son nom, mieux que nos vers, doit protéger les droits

La haine en ce moment n’ose plus le combattre ;
Et ce nouveau Sully d’un nouvel Henri Quatre,
Subjuguant comme lui ses rivaux abattus,
Né dans le même culte, a les mêmes vertus.

  1. Fontanes, en concourant pour ce prix, n’avait dit son secret à personne : aucun académicien n’était dans sa confidence. Il avait adressé à l’Académie son ouvrage sans nom : on le couronna par acclamation. La Harpe se douta que les vers étaient de lui ; et il lui envoya Mme La Harpe. Elle lui dit l’épigraphe du discours couronné, et Fontanes se reconnut. La Harpe le nomme à l’Académie le jeudi suivant. Dans la séance publique, la lecture du Discours eut grand succès, comme on peut le voir dans Grimm.