Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 126

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 140-141).

FABLE CXXVI.

LES DEUX ORGUEILLEUX ET LE VIEILLARD.


 
Un homme vain étaloit avec faste
Ses vertus, ses talens, surtout sa probité,
Enfin de son mérite il étoit enchanté.
Un autre homme avec lui formoit un vrai contraste :
C’étoit un franc Tartufe au visage serein,
Au regard faux, au ton benin ;
À nombrer ses défauts, se déprimant sans cesse,
Se flattant qu’on n’en croiroit rien,
Il mettoit toute son adresse.
Un bon vieillard écoutant leurs propos,
En souriant, leur adressa ces mots :
Par des chemins divers la vanité vous mène ;

Croyez-moi donc, ne passez plus le temps
À vouloir tous les deux en imposer aux gens ;
Vous êtes devinés, vous perdez votre peine.
Écoutez : depuis deux mille ans
Du plus grand philosophe[1] on nous cite un passage
Qui défend de parler de soi.
Pour tous ses sectateurs c’étoit devenu loi ;
Et voici la raison de ce fameux adage :
Du bien qu’on dit de soi chacun retranchera,
Mais au mal qu’on en dit chacun ajoutera,

  1. Confucius, législateur des Chinois.