Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 108

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 120-123).

FABLE CVIII.

LES DANGERS DE LA CURIOSITÉ.


Certain écolier de quinze ans
Furtivement quitte son pédagogue,
Pour aller consulter de fameux charlatans
Qui s’étoient décorés du grand nom d’astrologue.
Notre étourdi veut connoître son sort,
S’il sera riche, heureux, et le temps de sa mort.
L’un de ces faux docteurs, après nombreux mensonges
Lui dit, mais de ce ton qu’avoit jadis Calcas :
Mon cher enfant, ce ne sont point des songes,
Écoutez… je prédis… ne vous effrayez pas :
Vous êtes né sous planète ennemie,
Hélas ! ainsi que bien des gens.
Six lustres tout au plus composent votre vie ;
Tachez de profiter de ce précieux temps ;
La sagesse chez vous seroit pure manie.
Le jeune homme paya, cet âge est généreux,
Paya très-cher ce conseil dangereux.
Content, il revient à son gîte
Au plus vite ;
Garde le cas secret, ne se vante de rien ;
Mais dans son cœur se promet bien
De briser et férule et chaîne :
Il ne veut plus alors souffrir aucune gêne ;
Il se moque de tout, des livres, des pédans,
Et de chagrin fait mourir ses parens.
De sa fortune il est le maître à peine
Qu’il se livre à tous les excès.

Les femmes et le jeu, le vin, dettes, procès,
Ont bientôt épuisé sa bourse.
D’aucun plaisir ne pouvant s’amuser,
Trop orgueilleux pour s’abaisser
À chercher honnête ressource,
Il gagne et passe ses trente ans
Malgré la belle prophétie ;
Et le voilà dans son printems
N’ayant d’autre bien que la vie,
Şi c’en est un quand la folie
A dégradé nos sentimens.
Qui le croiroit ? L’expérience
N’avoit point affoibli sa sotte confiance.
Un jour qu’il promenoit son dévorant ennui,
Il voit au coin d’une masure
Des diseurs de bonne aventure.
Sa curiosité l’emporte malgré lui ;
Il veut encor savoir quand l’inflexible Parque
A décidé qu’il passeroit la barque.
Bohémienne s’approche ; il présente sa main :
Quelle ligne de vie ! on n’en voit pas la fin,
Lui dit cet vieille sorcière
À l’œil hagard, à la voix de Mégère ;
Toujours pauvre vous resterez,
Mais plus de cent ans vous vivrez ;
Je vous l’assure en conscience.
Notre homme alors perd patience :
Cette prédiction rappelle ses douleurs ;
Il ne voit devant lui qu’un siècle de malheurs
Et de misère et de souffrance ;
Et dans son galetas, revenu vers le soir,
Agité, tourmenté par sa fausse croyance,
Il meurt enfin de désespoir.

Gardons-nous d’imiter de ce fou l’impudence ;
C’est un bienfait du ciel de voiler l’avenir :
Plus de maux que de biens on doit y découvrir ;
Sur ce point seulement chérissons l’ignorance.