Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 038

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 43).

FABLE XXXVIII.

LA FEMME ET LE MIROIR.


Une femme étoit très jolie,
Mais elle avoit une manie
Qui déplaisoit, fatiguoit tous les yeux.
Les siens ne cessoient pas de chercher une glace :
Soit pour mieux ajuster ses pompons, ses cheveux,
Soit pour examiner son maintien et sa grace,
Ou bien en minaudant se regarder parler ;
Enfin on la voyoit toujours se contempler.
On cesse d’admirer qui s’admire soi-même :
Et puis cet amour propre extrême
Blesse la vanité d’autrui ;
Narcisse en se mirant n’aimoit, dit-on, que lui.
Il méprisa les belles du bocage :
Et penché constament vers le cristal de l’eau
Qui lui présentoit son image
Il fit sécher d’amour la pauvre nymphe Écho.
Ah ! notre Narcisse femelle
N’eut pas le sort de son charmant modèle :
Et trop tard se souvint des leçons, des avis,
De ses parens et de ses vrais amis.
Une cruelle maladie
En peu de jours lui ravit ses attraits,
Mais elle ne perdit jamais,
Quoiqu’elle fût très enlaidie,
Son maudit penchant à se voir,
Et le trop fidèle miroir
Devint alors le tourment de sa vie.