Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 023

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 26-27).

FABLE XXIII.

LES GRENOUILLES ET LES POISSONS.


 
En se jouant sur l’eau, carpes et longs brochets,
Tout près de leur canal, découvrent des marais,
Vulgairement appellés grenouillères.
Le peuple moite et coassant
Qui prenoit l’air en ce moment,
Voyant les potentats des fleuves, des rivières,
Saisi de peur, cria, sauta,
Tout en courant se culbuta,

Pour rentrer plutôt dans son gîte.
La plus vieille grenouille, en trottant, se lassoit,
Et parmi les joncs s’enlaçoit.
Voyant son embarras, un brochet lui disoit :
D’où vient donc regagner si vite,
Vos ennuyeux, vos misérables trous ?
Pourquoi ne pas vivre avec nous ?
Nos ondes sont toujours si brillantes, si claires !
Ah ! nos mœurs ont changé, nous traitons maintenant
Comme égaux, comme tendres frères,
Tout ce qui vit dans l’humide élément ;
Vous n’auriez, parmi nous, que des amis sincères.
La grenouille reprit : Si quelque barbillon
Me tenoit un pareil langage,
Ou bien le modeste goujon,
Je dirois à mes sœurs : quittons ce marécage
Et courons habiter avec lui sans façon ;
Mais le grand fondateur de l’empire aquatique
Grava chez nous cette sage leçon :
Pour la prospérité de votre république,
Fuyez toujours le gros poisson.