Librairie de L. Hachette et Cie (p. 113-117).

XL

LA PÉCHERESSE.



Nous allons voir maintenant la grande bonté de Jésus-Christ pour les pécheurs repentants.

Un Pharisien pria un jour Jésus de venir manger chez lui avec ses disciples, et Notre-Seigneur, étant entré dans cette maison, se mit à table.

Pendant le repas, une femme connue dans la ville pour sa conduite dissipée et pour son amour du plaisir et de la toilette, ayant su que Jésus était à table chez ce Pharisien, y apporta un vase d’albâtre plein de parfums.

Petit-Louis. Qui était cette femme ?

Grand’mère. C’était Marie-Madeleine, sœur de Marthe et de Lazare, les amis de Jésus ; elle avait quitté sa sœur et son frère, qui s’affligeaient de la vie coupable et folle qu’elle menait ; elle était jeune, riche et belle, et elle vivait dans son château de Magdala, où elle passait son temps en festins, en danses, en plaisirs de tout genre ; elle avait déjà vu et entendu Jésus, et le repentir commençait à entrer dans son cœur. Elle apporta ce vase plein de parfums précieux, qu’elle avait achetés sans doute pour elle-même, pour parfumer ses riches vêtements et ses cheveux qui étaient magnifiques ; se sentant touchée de repentir, elle se tenait derrière Jésus, à ses pieds ; elle les baisait, les arrosait de ses larmes, les essuyait avec ses cheveux qui étaient très-longs et très-épais, et les couvrait de parfums.

Henriette. Mais comment pouvait-elle atteindre les pieds de Jésus, puisqu’il était à table.

Valentine. Ce n’est pas difficile ; en se mettant à quatre pattes et en se coulant sous la table.

Grand’mère, souriant. Non, c’eût été inconvenant et très-incommode. Chez les Juifs, on ne s’asseyait pas sur des chaises ou sur les bancs pour les repas ; on mettait le long des tables des lits au lieu de chaises, de sorte qu’on était couché pour manger, la tête et les bras du côté de la table, et les pieds au bout du lit.

Jeanne. Comment ! les pieds pendaient hors du lit ?

Grand’mère. Non, puisque les lits étaient placés autour de la table comme on place les rayons autour du soleil. Alors il était très-facile à Marie-Madeleine de baiser et de parfumer les pieds de Notre-Seigneur.

Il la laissa faire et parut ne s’apercevoir de rien.

Le Pharisien qui avait invité Jésus à dîner se dit en lui-même : Si cet homme était un prophète, il saurait sans doute qui est cette femme qui le touche, et qu’elle n’est qu’une pécheresse.

Alors Jésus, prenant la parole, lui dit :

« Simon, j’ai à te parler. »

Louis. Comment ! le Pharisien c’était Simon-Pierre ?

Grand’mère. Non, puisque Simon-Pierre était un pêcheur, et

La pécheresse.
La pécheresse.


qu’il avait déjà tout quitté pour suivre Notre-Seigneur. C’était un autre Simon.

« Parlez, Maître, répondit Simon.

— Un créancier, lui dit Jésus, avait deux débiteurs. »

Valentine. Qu’est-ce que c’est, un créancier et un débiteur ?

Grand’mère. Un créancier est un homme auquel on doit de l’argent ; et un débiteur est celui qui doit de l’argent ou des objets qu’on lui a prêtés.

« Un de ces débiteurs devait cinq cents deniers, et l’autre quarante. »

Jacques. Combien cela fait-il, cinq cents deniers ?

Grand’mère. Un denier d’argent valait environ quatre-vingts centimes ; alors, cinq cents deniers valaient environ quatre cents francs de notre argent, et quarante deniers étaient comme trente-deux francs.

Jésus dit que les deux débiteurs n’avaient pas de quoi payer leur dette ; le créancier la leur remit à tous deux ; c’est-à-dire leur en fit présent et n’en exigea plus le payement.

« Dis-moi, dit Notre-Seigneur à Simon, lequel des deux débiteurs avait plus de reconnaissance et d’amour pour le créancier. »

Simon répondit : « Je crois que c’est celui à qui il a remis davantage. »

Jésus lui dit : « Sagement jugé. » Et se retournant vers cette pécheresse, il dit à Simon : « Tu vois cette femme ? je suis entré dans ta maison, tu ne m’as pas donné d’eau pour me laver les pieds ; elle, me les a arrosés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a cessé de me baiser les pieds. Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête ; elle, a répandu des parfums précieux sur mes pieds. C’est pourquoi je te le déclare, beaucoup de péchés lui sont remis (c’est-à-dire pardonnés), parce qu’elle a beaucoup aimé. Mais celui auquel on a moins remis aime moins. »

Alors, se tournant avec bonté vers la pauvre Madeleine dont le visage était baigné de larmes, il lui dit :

« Madeleine, tes péchés te sont remis. »

Et ceux qui étaient à table avec lui dirent en eux-mêmes :

« Quel est donc celui qui remet les péchés ? » Mais Jésus dit à Madeleine : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix. »

Valentine. Les Juifs ont dû être encore plus mécontents ; ils étaient si méchants.

Camille. Quelle différence entre Notre-Seigneur et les Juifs ! Notre-Seigneur est si bon ! Il pardonne toujours. Et quand il reprend, c’est si doucement !

Henri. Pas toujours. Quand il s’est fâché contre les marchands qui vendaient dans le Temple, il les a joliment chassés à coups de corde.

Henriette. C’est vrai, ça ; j’en ai été étonnée.

Grand’mère. C’est que tu n’as pas réfléchi que Notre-Seigneur se fâchait non pas pour une injure faite à lui-même, mais faite au bon Dieu, son Père, et qu’il a voulu nous faire voir que nous pouvons et que nous devons chasser et même maltraiter les ennemis de Dieu, notre Père.

Jacques. Ainsi un homme qui serait méchant, je pourrais le battre, l’injurier, ce ne serait pas mal ?

Grand’mère. Si tu le fais par colère contre l’homme, c’est mal ; si tu le fais pour le corriger, pour son bien, pour l’empêcher de faire du mal à d’autres, par amour de Dieu et par charité pour l’âme de cet homme, cela peut être une bonne action.

Jésus continua à parcourir les villes et les villages, annonçant l’heureuse nouvelle du salut. Il était suivi comme d’habitude par les douze Apôtres et par des personnes qu’il avait délivrées de leurs infirmités ou dont il avait chassé les démons, comme Marie-Madeleine de laquelle sept démons avaient été chassés.

Henriette. Sept démons ! comment ça se peut-il ? Il me semble qu’un seul était déjà assez terrible.

Grand’mère. Certainement qu’un seul suffisait pour la tourmenter et pour la punir, mais Madeleine s’était tellement laissée aller au plaisir qu’elle était possédée par le démon de l’orgueil, de la dissipation, de la gourmandise, de la colère, de l’envie, de l’égoïsme et de la sensualité.

Henriette. Mais comment ne les voyait-on pas en elle ? Et comment ne les a-t-on pas vus sortir ?

Grand’mère. Parce que les démons ne sont pas visibles aux yeux ; ils sont des esprits ; et on ne peut les voir, pas plus que nous ne voyons notre âme, qui existe pourtant, puisqu’elle nous fait penser, aimer et vivre.