Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 5/5.10

Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 5p. 329-370).

chapitre x.

Premières mesures prises par Rochambeau. — Il publie deux arrêtés consulaires, et fait reprendre le Fort-Liberté par le général Clauzel. — Il envoie le général Noailles chercher des chiens à Cuba. — Le général Desbureaux retourne en France. — Conduite de Pétion dans le Nord. — Attitude courageuse de Christophe envers Sans-Souci. — Pétion rejoint Dessalines à l’Artibonite. — Il est nommé général de brigade, ainsi que Gabart. — Faits d’armes de Capois, de Toussaint Brave, de Larose et d’autres chefs insurgés. — Cangé reconnu général de brigade par Lamour Dérance. — Crimes commis dans le Sud et tentatives infructueuses d’insurrection. — Pétion en marche dans l’Ouest. — Il prend le Mirebalais. — Combat de Pierroux, au Cul-de-Sac, où il est battu. — Il rencontre Lamour Dérance dans la plaine de Léogane. — Gérin y accourt auprès de Pétion et de Geffrard. — Siège de Léogane et combats. — Geffrard part pour le Sud avec la 13e — Pétion persuade Cangé et ses officiers en faveur de l’autorité supérieure de Dessalines. — Il retourne auprès du général en chef. — Sa conduite à l’Arcahaie envers Larose. — Il trace les fortifications de Marchand. — Position respective des Français et des indigènes insurgés, à la fin de décembre 1802.


Jusqu’ici, nous avons relaté bien des crimes commis depuis l’arrivée de l’expédition française à Saint-Domingue ; mais notre plume est-elle assez exercée, assez puissante, pour retracer ceux qui eurent encore lieu sous le règne de la barbarie, de la cruauté, de la férocité, qui s’inaugura par l’avènement de Rochambeau au gouvernement de cette colonie ?[1]

Dans les deux époques précédentes, nous avons flétri ceux que nous nous sommes cru en droit de reprocher aux fureurs injustes de Toussaint Louverture ; mais de quel terme nous servirons-nous pour vouer à l’exécration de la postérité les faits imputables à Rochambeau, sorti d’un pays civilisé dont les mœurs sont si douces, dont les instincts sont si généreux ? Impuissant à trouver le terme le plus convenable, nous nous efforcerons de les stigmatiser, pour imprimer à sa mémoire la honte qu’il encourut par la noirceur de son âme.

Et qu’on ne croie pas que le sentiment national nous égare dans la sévérité de notre langage ; car nous aurons à produire des actions abominables de cet homme, même au détriment de ses propres compatriotes. Sa conduite fut telle, qu’elle fit naître l’idée d’une conjuration parmi des généraux français dont le but était de l’arrêter et de le déporter en France[2].

Toutefois, rendons justice à ses talens militaires, à son activité, son courage, sa bravoure, son énergie. Dans les circonstances où il prit les rênes du gouvernement colonial, il fit preuve de toutes ces qualités pour répondre à ce qu’elles exigeaient de lui ; il continua de les montrer jusqu’à la fin, mais aussi il montra tous les vices qui les ternissaient.

Il se rendit au Cap le 17 novembre. Le 19, de nouvelles troupes y arrivèrent de France. Ces renforts, si impatiemment attendus par Leclerc, portèrent son successeur à réorganiser les demi-brigades mutilées dans les combats, ou décimées par la fièvre jaune qui perdait depuis peu de son intensité ; il les fondit les unes dans les autres. Il choisit pour commandant de sa garde d’honneur le colonel Neterwood qui avait été le premier aide de camp de Leclerc : c’était un Suédois au service de la France.[3] Le colonel Sabès, ancien aide de camp de Boudet, remplaça dans le commandement de la place du Cap, le général Claparède qui passa à celui des troupes destinées à agir hors de cette ville. Le général Watrin étant mort de la fièvre jaune, le 22 novembre, quinze jours après son arrivée au Port-au-Prince, le général Brunet quitta le Môle à la mi-décembre pour s’y rendre et le remplacer dans le commandement des départemens de l’Ouest et du Sud.

Rochambeau étendit sur tous les points l’organisation des compagnies franches créées au Cap par le préfet Daure : il se donna ainsi une force nouvelle composée de noirs et de mulâtres. Ceux-ci ne voyaient pas encore, parmi les brigands, une direction unique capable de leur inspirer le désir de se faire eux-mêmes brigands ; beaucoup d’entre eux le firent plus tard, quand ils virent des hommes tels que Pétion et Geffrard seconder Dessalines dont l’autorité était si redoutée, en souvenir de sa conduite sous T. Louverture.

Ces mesures de réorganisation portèrent Rochambeau à annoncer à l’armée que son devoir était de reconquérir les divers points qui avaient été abandonnés dans le Nord, l’Artibonite et l’Ouest, car le Sud était encore intact. Successivement et jusqu’en avril 1803, de nouvelles troupes arrivèrent de France et renforcèrent cette armée de 12 mille hommes depuis la mort de Leclerc, car la rupture de la paix d’Amiens, au mois de mai, ne permit plus à la France d’en envoyer.[4]

Des officiers de tous grades, des fonctionnaires publics, étaient déjà retournés en France avec la permission de Leclerc ; en conséquence de l’état des choses, Rochambeau décida que les militaires réellement invalides auraient seuls cette faculté.

Il fallait pourvoir à la subsistance de la garnison et des habitans du Cap : le droit établi de tout temps, et encore sous T. Louverture, sur les bêtes à cornes qu’on introduisait de la partie espagnole dans l’ancienne colonie française, avait été maintenu jusque-là ; Daure venait de le supprimer. Mais afin de faire de Monte-Christ, voisin du Cap, l’entrepôt de cet approvisionnement, le capitaine général plaça ce bourg et tout son territoire dans le département du Nord. Par les soins du général Pamphile de Lacroix, le Cap reçut beaucoup de ces bestiaux.

Comme nous l’avons déjà dit, l’état des finances était déplorable. Excepté le Sud, les autres départemens étant en insurrection, fort peu de denrées entraient dans leurs villes : de là peu d’exportations, et avec cela le pillage organisé dans les douanes. Des mesures administratives furent prises, dans le but principal de diminuer ces fraudes et la contrebande. Un nommé Deneyre, administrateur à Jérémie, fut sans doute moins adroit que d’autres : pris en flagrant délit, il fut arrêté par ordre de Rochambeau, mis en prison aux Caves et jugé. Non-seulement le capitaine-général ne put arrêter ce désordre financier mais il finit lui-même par s’y livrer tout à son aise, et pour favoriser ses concubines[5].

Leclerc n’avait permis l’exportation, par navires étrangers, que de certaines denrées, telles que sirop, mélasses, rhum, etc., comme dans l’ancien régime. Ces navires étaient forcés d’enlever le numéraire pour compléter leur retour, dans un moment où l’on en avait le plus grand besoin, et où l’insurrection entravait la production des choses exportables. Rochambeau fut amené à leur accorder les mêmes facultés qu’aux navires français qui exportaient tout ce qui était à leur convenance.


S’il prenait des mesures qui durent paraître vigoureuses aux yeux du gouvernement consulaire, ce gouvernement en prenait aussi en France, qui devaient réagir sur son esprit violent.

Aux officiers de l’armée coloniale déjà déportés, Leclerc avait joint le général Martial Besse, embarqué sur la Comète, et de nombreux noirs et mulâtres qui arrivèrent à Brest, presque en même temps que Richepanse y envoya Magloire Pélage, et beaucoup d’autres de la Guadeloupe. Il y avait encombrement dans ce port, de ces infortunés éloignés de leur pays respectifs ; et des lettres de Leclerc, de la fin d’août, en annonçaient encore 1500 à 2000, qu’il se proposait de déporter, tandis qu’on en attendait autant de la Guadeloupe.

Il est juste de dire que parmi ces déportés à Brest, se trouvaient des prêtres de Saint-Domingue et d’autres blancs qui avaient paru trop inféodés à T. Louverture, tels que Noblet, Figeac, Bernard, Barada, etc. : là se trouvaient aussi Bernard Borgella, Collet, Gaston Nogérée, Viart ; ils étaient tous en détention, comme les noirs et les mulâtres, Leclerc désigna Bernard Borgella comme « un vil adulateur de T. Louverture, et un traître à son pays. » Des colons du Port-au-Prince envoyèrent une adresse qui le peignait au contraire comme « un bon et excellent citoyen, qui avait sauvé les blancs par sa condescendance envers lui. »

Dans cet état de choses, le conseiller d’Etat Joseph Cafarelli, préfet maritime, appela l’attention du ministre de la marine sur tous les déportés, en les classant par catégories, selon les lettres d’envoi.

Le 19 vendémiaire, an XI (11 octobre), un arrêté consulaire prescrivit d’envoyer la plupart des noirs et mulâtres désignés comme brigands, aux bagnes des îles de Corse et d’Elbe, pour y être employés aux travaux publics. En 1803, il y fut créé des compagnies attachées au génie, où les officiers des deux couleurs, presque brigands, furent employés : ce fut surtout à Ajaccio et à Porto-Ferrajo[6].

Si ces rigueurs étaient provoquées, il faut le dire, par les généraux Leclerc et Richepanse, et par cette qualification de brigands, on doit rendre justice d’un autre côté aux sentimens d’humanité que montrèrent plusieurs fonctionnaires dans la métropole.

En parlant au ministre de la marine, de treize négresses et de quatre de leurs enfans, le préfet Joseph Cafarelli lui disait : « Ces gens sont sans vêtemens, sans ressources, et vraiment leur sort fait pitié. » De B. Borgella, il disait : « C’est un vieillard infirme, accablé de chagrins, dont l’âge et la situation excitent la pitié et l’intérêt. » On reconnaît ensuite qu’il se faisait un plaisir de transmettre au ministre, des mémoires adressés par ce vieillard, par Collet, Martial Besse, Magloire Pelage, dans lesquels ils exposaient leur conduite.

Le brave général Devaux, arrivé alors avec deux vaisseaux sur lesquels se trouvaient des noirs, attesta chaleureusement que ces hommes avaient été ramassés dans les rues et sur les quais du Cap, pour compléter les équipages de ces vaisseaux, qu’ils n’avaient commis aucun crime ; il réclama qu’ils fussent traités avec humanité : parmi eux étaient plusieurs, âgés de seize ans au plus.

Le ministre. Decrès lui-même, dans un rapport aux consuls, du 25 vendémiaire (15 octobre), leur disait : « que la plupart des déportés étaient sans vêtemens, sans ressources, qu’il était nécessaire de leur en donner vu l’approche de l’hiver. »

À Porto-Ferrajo, dans l’île d’Elbe, le commissaire général Briot, écrivait à ce ministre, le 10 thermidor, an XI (29 juillet 1803), un rapport en faveur d’Annecy, ex-député au Conseil des Anciens, qui était aux bagnes, les fers aux pieds. Ce noir, si recommandable, avait subi au Cap les persécutions de T. Louverture, et Leclerc l’avait déporté comme brigand ; il avait pour compagnon d’infortune, le chef d’escadron Desruisseaux, ancien commandant de place à la Croix-des-Bouquets. Briot les recommanda au ministre, et il ajouta « que tous les noirs détenus à Porto-Ferrajo faisaient preuve d’une patience, d’une douceur dignes d’intérêt.  »

L’historien éprouve une grande satisfaction, son cœur est soulagé, en relatant de tels faits : ils honorent leurs auteurs !

Mais retournons auprès de Rochambeau. Voyons ce qu’il faisait au Cap.

Un arrêté consulaire lui parvint à cette époque : il le fit publier avec pompe. Cet acte portait la date du 30 vendémiaire, an XI (22 octobre) ; en voici le dispositif :

Art. 1er. Tout grade, titre, appointement, qui n’a pas été donné ou reconnu par le gouvernement, est nul et ne peut motiver aucun règlement de compte.

2. La colonie de Saint-Domingue s’étant mise en rébellion contre la métropole, depuis le 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), lors de la retraite forcée du général Hédouville de cette colonie[7], aucun individu qui a été employé ne peut, depuis cette époque jusqu’au jour où il a été rétabli dans ses fonctions par le général Leclerc, compter ses grades, emplois ou services dans la colonie, soit pour traitement d’activité, soit pour retraite ou pension de retraite.

3. (Cet article concernait la Guadeloupe : cette île fut aussi considérée comme s’étant mise en rébellion contre la métropole, le 29 vendémiaire an X (21 octobre 1801), par le renvoi du capitaine-général Lacrosse).


4. Aucun individu breveté par le gouvernement, étant resté soit à Saint-Domingue, soit à la Guadeloupe, pendant les deux époques indiquées aux articles 2 et 3, ne peut prétendre à des décomptes pour services antérieurs aux époques fixées aux articles précédens, s’il n’est muni d’un certificat des généraux en chef, qui atteste sa fidélité à la métropole lors du débarquement de l’armée dans les deux colonies respectives.

Cet arrêté avait le singulier mérite d’avoir été rendu le jour anniversaire de la fuite, et du général Hédouville et du capitaine-général Lacrosse, dans les deux colonies. Il était en parfait accord avec celui par lequel Leclerc avait annulé tous les grades conférés par T. Louverture pendant sa lutte de trois mois ; mais, rendu par le gouvernement consulaire, il devait être encore plus étendu.

En considérant Saint-Domingue en rébellion depuis le congé donné à Hédouville, cet arrêté rendait victimes de ce fait, commis par T. Louverture, tous les militaires, tous les fonctionnaires civils employés dans la colonie, comme s’ils pouvaient et devaient en être responsables ; il avertissait d’ailleurs admirablement, qu’on ne devait avoir aucune foi dans les paroles et les promesses du gouvernement et de ses agens ; car, ce gouvernement avait maintenu T. Louverture en fonction, approuvé ses actes, secondé ses moyens d’action contre Rigaud, pendant leur guerre civile, et tout récemment encore il venait de louer T. Louverture, à propos de cette guerre, par la lettre à lui adressée. Et maintenant, il revenait sur tout ce passé, il donnait un effet rétroactif à sa mesure[8] !

Que cette mesure eût été dirigée contre les noirs et les mulâtres, cela eût paru tout naturel ; mais elle l’était aussi contre les blancs qui avaient servi sous T. Louverture depuis quatre ans, et qui, le voyant dans les bonnes grâces (apparentes) du gouvernement de la métropole, s’imaginaient qu’ils servaient aussi les vues de ce gouvernement. En cela, l’arrêté avait un caractère d’impartialité dont il faut lui tenir compte ; mais, il faut le dire, ce n’est pas la vraie politique qui l’avait dicté, c’est l’injustice. Et comme, au 22 octobre, le général Cafarelli venait de faire son rapport sur ses entretiens avec le malheureux prisonnier du fort de Joux, on peut juger, par cet acte que nous venons d’analyser, s’il était possible que son sort s’adoucît.

Un autre arrêté du même gouvernement avait précédé celui-là : daté du 6 septembre, il était tout favorable à la restauration des colons sur leurs biens. Un sursis de cinq années leur fut accordé, contre toutes poursuites en paiement des dettes énormes qu’ils avaient contractées envers le commerce national ; il fut fixé jusqu’au 1er vendémiaire an XVI (24 septembre 1807). Sage et conciliant dans ses motifs, il n’avait que le tort de compter sans les éventualités du temps. Rochambeau s’empressa de le publier aussi pour fortifier l’espoir des colons présens à Saint-Domingue, faire naître celui des absens et les attirer dans la colonie.

Éprouvant lui-même l’espoir d’y assurer la domination de la France, par l’arrivée des troupes au Cap deux jours après lui, le capitaine-général résolut d’ouvrir la campagne pour reprendre les points occupés par les indigènes sur le littoral.

Les généraux Clauzel et Lavalette partirent du Cap avec plusieurs bataillons d’infanterie et un d’artillerie sur un vaisseau, deux frégates et une corvette. Le 1er décembre, cette flotille pénétra dans la baie du Fort-Liberté. Toussaint Brave n’y avait qu’un bataillon de la 1re demi-brigade et des cultivateurs armés ; il fit toute la résistance possible, mais il dut céder aux forces supérieures qui l’attaquèrent, aidées de la canonnade des navires de guerre : en se retirant, les indigènes mirent le feu aux maisons jusque-là préservées de l’incendie.

On conçoit que Rochambeau dut s’empresser d’annoncer ce succès de son gouvernement. Sa proclamation à ce sujet parla avec emphase de la puissance de la France (ce qui était fondé) et de son intention de renforcer l’armée expéditionnaire par de nouveaux envois de troupes. Mais, un mois après, les bruits de rupture de la paix avec la Grande-Bretagne parvinrent au Cap ; ils refroidirent cet enthousiasme, — la guerre avec ce colosse maritime devant, sinon supprimer toute autre expédition, du moins entraver considérablement les bonnes dispositions du gouvernement à cet égard.

C’est immédiatement après la prise du Fort-Liberté que le capitaine-général résolut de faire remplir une mission à la Jamaïque et à la Havane, par le général Noailles (Louis-Marie de) : elle avait un double but. Rochambeau voulait d’abord se procurer de l’argent à quelque prix que ce fût. À la Jamaïque, Noailles devait négocier un énorme emprunt de plusieurs millions, au moyen de lettres de change sur la France : elles furent données en blanc par l’ordonnateur en chef et visées par le capitaine-général. Le négociateur contracta effectivement avec un négociant de cette île, lui délivra ces lettres de change comme si l’argent avait été reçu intégralement, tandis que les versemens ne devaient commencer qu’au mois de juillet 1803 ; la prime accordée s’élevait à 12 pour cent. Il est facile de concevoir qu’un ordonnateur aussi intègre que l’était Daure eut la main forcée par Rochambeau pour une telle affaire. Cet emprunt parut si étrange au Premier Consul, bon administrateur des deniers publics, qu’il ordonna de refuser le paiement de ces lettres de change[9].

Le second objet de la mission de Noailles était de se rendre à la Havane, pour y réclamer une somme de 400 mille piastres qui y était déposée, provenant d’un prêt fait peu auparavant par le Vice-Roi du Mexique au général Leclerc, qui lui avait envoyé à cet effet un fonctionnaire, lequel mourut à la Havane. Mais, en même temps, Noailles était chargé d’y acheter des chevaux pour la cavalerie, et des chiens destinés à faire la chasse aux indigènes en insurrection, qui tendaient de fréquentes embuscades aux Français.

Le fils d’un maréchal de France conçut l’idée de se mettre en rapport avec des éleveurs de chiens, par l’intermédiaire d’un noble descendant des Noailles ! Et ce Noailles oublia ainsi son origine, celle de son illustre famille, datant déjà de plus de trois cents ans ; il consentit à aller débattre avec de tels êtres le prix de ces animaux qu’il accompagna lui-même à Saint-Domingue, pour traquer des hommes qui défendaient leur liberté naturelle ! Quelle dégradation ! quelle ignominie !… Renouveler au 19e siècle le spectacle des cruautés commises dans le 16e par les conquérans espagnols, sur les infortunés aborigènes de l’île d’Haïti !…

Noailles toucha la somme déposée à la Havane ; mais il prouva qu’il avait dépensé près d’un million de francs, tant pour ses dépenses personnelles dans le cours de ce voyage, que pour l’achat de 106 chevaux et de quelques centaines de chiens[10]. Rochambeau lui avait recommandé de choisir ces chiens parmi ceux de la race la plus favorable pour faire la guerre aux nègres. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient été payés si cher : ils étaient destinés à rendre tant de services ! Cette honteuse affaire, ce marché inhumain prouve combien les hommes tiennent à leurs antécédens, à leurs anciennes opinions. On se rappelle la lettre de Rochambeau, que nous avons produite dans notre 3e livre (page 218 et 219), où il disait au ministre de la marine, en 1796 : Je ne crains pas de prédire, qu’après avoir donné la liberté aux noirs, on sera obligé de leur faire la guerre pour les rendre un jour à la culture. » Ce jour étant arrivé, se trouvant le chef de la colonie, il mettait à exécution ses idées antérieures. Dans cette même lettre, il accusait aussi ceux qu’il appelait les dilapidateurs, — « de vouloir dégoûter les officiers blancs venus d’Europe, afin de travailler plus sûrement le pays en finances ; » et maintenant, il faisait lui-même ce qu’il leur reprochait. Aussi, le général Desbureaux, qui se montra si humain, si honnête homme aux Cayes, dégoûté de ce qu’il voyait, demanda-t-il à partir pour la France : il agit comme le général Devaux, qui ne put supporter au Port-au-Prince ce qui se passait sous ses yeux. Aussi, a-t-on prétendu que l’intègre préfet Daure, ordonnateur en même temps, écrivit à son tour au ministre de la marine, pour lui prédire la perte de Saint-Domingue. Mais les colons pensèrent autrement que ces hommes honorables : aussitôt la prise du Fort-Liberté, ils écrivirent à ceux de Paris, pour les porter à obtenir du Premier Consul de maintenir Rochambeau. Voici un extrait de leur adresse, trouvée en 1804, dans les minutes du notaire Cyr-Prévost, au Port-au-Prince :

Messieurs et chers concitoyens,

Lorsque la France, comblant enfin nos vœux les plus chers, envoya à Saint-Domingue ses vaisseaux et ses soldats, pour reconquérir cette infortunée colonie, elle était loin de croire qu’il fût possible que le succès le plus éclatant ne couronnât pas cette entreprise. Vous aurez cependant appris dans quel excès de calamités et de désolation nous nous sommes encore vus successivement entraînés. Notre position a été telle, que nous avons pu craindre l’évacuation et un nouvel abandon de la part de la France.

C’est dans ces circonstances affreuses que la mort du capitaine-général Leclerc a mis les rênes du gouvernement de Saint-Domingue entre les mains du général Rochambeau.

Dès ce moment, la confiance renaît, les colons se regardent comme sauvés. Il semble que chacun d’eux vient de renouer un nouveau pacte dans son cœur avec la mère-patrie. Saint-Marc, place importante de l’Ouest, qui allait être évacuée, non-seulement se raffermit, mais même encore, sur les ordres subits du général Rochambeau, envoie des secours en hommes au Port-au-Prince, dont tous les environs étaient infestés de brigands. Le Sud éprouve les mêmes impulsions, et les plans des malveillans y sont déconcertés. Le général en chef ne tarde pas à se rendre au Cap ; à peine il y paraît… l’armée prend une attitude plus militaire, la garde nationale se multiplie et trouve de nouvelles forces. Le Fort-Dauphin est repris ; le nom seul de Rochambeau fait trembler les brigands ; partout ils abandonnent leurs postes, et ils laissent enfin respirer la partie du Nord. Alors la colonie entière a reconnu, dans le général Rochambeau, l’homme qui a défendu la Martinique contre les Anglais, l’homme qui fut embarqué par Sonthonax et ses adhérens, à cause de ses vues favorables au système indispensable à Saint-Domingue ; l’homme, enfin, qui, depuis son arrivée avec cette dernière expédition, n’a cessé d’émettre les opinions les plus saines et les plus conséquentes ; tous les colons s’écrient donc d’une voix unanime : « Rochambeau est le chef qu’il faut à Saint-Domingue, et que réclame la chose publique… » Un chef éloigné par ses principes et sa moralité, de ces vaines abstractions d’une fausse philosophie, inapplicables dans un pays dont le sol ne peut être fécondé que par des Africains, qu’une discipline sévère doit comprimer… Obtenez, Messieurs et chers concitoyens, du Premier Consul Bonaparte ce que nous désirons avec tant d’ardeur, et nous osons vous promettre que Saint-Domingue renaîtra de ses cendres, et versera encore, dans le sein de la métropole, des produits qui augmenteront son commerce, et seront pour elle une nouvelle source d’abondance et de prospérité.

Après avoir dit ce que fît ce nouveau chef de la colonie, de la mi-novembre à la fin de décembre, voyons ce que firent les indigènes en divers lieux :

Quand Pétion, Clervaux et Christophe abandonnèrent le Haut-du-Cap, le 8 novembre, leurs munitions étaient épuisées. En vain Pétion en avait fait demander à Sans-Souci qui possédait quelques milliers de poudre, et qui se tenait vers la Grande-Rivière sans prendre part à leur lutte autour du Cap. Pétion s’était vu contraint d’aller en personne au Fort-Liberté pour en demander à Toussaint Brave, qui l’accueillit et lui en donna un millier de livres. Ces difficultés incessantes et toujours à prévoir avec Sans-Souci, Petit-Noël et les autres chefs de Congos, le décidèrent à quitter le Nord pour se réunir à Dessalines. Néanmoins, afin de témoigner d’une manière toute particulière à Petit-Noël, sa satisfaction personnelle de ce qu’il avait cédé à ses avis, à D’Héricourt, il lui fit cadeau de l’obusier et des deux pièces de 4 qu’il avait pris au Haut-du-Cap dans la nuit du 13 octobre. Ce don lui concilia tous ces hommes que l’ignorance égarait.

Il dut encore user de son esprit conciliant pour arrêter la fureur de ces Congos. Au moment de se séparer de Clervaux et de Christophe, vers la Grande-Rivière, il vit arriver Sans-Souci avec ses nombreuses bandes. Cet homme voulut contraindre ces trois chefs et leurs troupes à le reconnaître pour général en chef. Faire un refus catégorique, c’eût été commencer le combat. Clervaux et Christophe n’étaient pas éloignés de cette résolution ; mais, plus sage et plus adroit qu’eux, Pétion feignit de se soumettre à l’autorité de Sans-Souci, en lui montrant une figure sereine, et ne paraissant pas s’émouvoir nullement de cette ridicule prétention : c’était le seul moyen d’empêcher ce qui eût été un malheur déplorable ; et par là, il sembla stipuler pour ses deux camarades. Dans l’excès de son orgueil et de sa vanité, Sans-Souci, jouant tout de bon le rôle qu’il s’était donné, proclama Pétion général de brigade, croyant le gagner mieux aux intérêts de son ambition, et avec lui tout le corps de la 13e Mais, en même temps, il déclara qu’il voulait la tête de Christophe qui, prétendait-il, était encore dévoué aux Français ; et il ordonna à ses bandes d’envelopper les 1re, 2e et 5e demi-brigades, très-affaiblies par la guerre et les désertions : ces corps étaient placés sous les ordres directs de Christophe, et c’était avec eux qu’il avait traqué Sans-Souci avant sa défection. Ce barbare voulait immoler tous ces soldats et leurs officiers, comme leur général.

Pétion intervint encore pour le calmer. Avec ce ton qui persuadait toujours, il lui fit sentir que si, de part et d’autre, les indigènes n’oubliaient pas leurs luttes antérieures pour se rapprocher les uns des autres et combattre les blancs, ce serait assurer le triomphe de ces derniers ; il se donna en exemple, en rappelant qu’il avait été du parti de Rigaud, qu’il avait combattu alors contre Christophe et Clervaux ; mais que maintenant il se réunissait à eux pour résister aux blancs et assurer la liberté de tous ses frères. Ces paroles sensées, prononcées bien entendu en créole pour être comprises par Sans-Souci, Africain comme la plupart des siens, réussirent à le calmer. On prétend qu’il dit ensuite à Pétion, dans son langage semi barbare : « Vous regretterez un jour de m’avoir empêché de tuer Christophe. »

Nous ne savons pas s’il faut ajouter foi à une telle prédiction, qui aurait été un remarquable pressentiment de la part de Sans-Souci ; mais, quoi qu’ait fait Christophe par la suite, ce ne pouvait être pour Pétion une cause de regrets. Lorsqu’un homme fait ce qui est actuellement juste, il n’en éprouve, il ne doit jamais en éprouver, puisqu’il a rempli son devoir : à chacun la responsabilité de ses actes devant l’histoire et la postérité.

Certes, Pétion n’ignorait pas les antécédens de Christophe, notamment au siège de Jacmel ; mais en 1802, il s’agissait d’un oubli général du passé de tous pour triompher de leurs puissans ennemis, et ce n’est pas un esprit aussi supérieur, un cœur aussi généreux, qui pouvait se rappeler les faits antérieurs pour agir contrairement au bien public. Même en 1815, quand il rappela à Christophe, dans sa lettre au général Prévôt, qu’il l’avait soustrait à la potence en réveillant sa méfiance contre les Français, on ne trouve pas un mot de regret ; il se borna à lui démontrer l’absurdité de sa fatuité et de ses ridicules prétentions royales.

Nous aimons d’ailleurs à voir Pétion intervenir si loyalement pour désarmer la haine de Sans-Souci ; car c’est à l’incendie du Cap ordonné par Christophe qu’il faut attribuer le salut des officiers que portait la frégate la Vertu : sans cet événement, ils eussent tous péri à Madagascar. Les paroles prononcées par Pétion à la vue de ce saisissant spectacle, prouvent qu’il reconnaissait l’immense service que leur rendait Christophe. À une autre époque, d’autres faits seront produits de la part de ces deux hommes, qui prouveront que l’accomplissement d’un devoir actuel est toujours une chose profitable au bien public.

Cependant, Christophe qui était aussi courageux qu’énergique et qui savait se faire respecter, se sentant supérieur à Sans-Souci, et par son rang et par son intelligence, violent d’ailleurs, ne put supporter davantage l’arrogance de cet Africain : brandissant son sabre, il s’avança sur lui en l’interpellant de déclarer s’il ne le reconnaissait pas comme général, au-dessus de lui. Christophe avait un port majestueux, une belle stature ; c’était l’un des plus beaux officiers de l’armée coloniale ; à ces avantages physiques, il réunissait des manières aisées et ce ton du commandement qui a toujours distingué les officiers du Nord. Par cette sortie vigoureuse, il interdit Sans-Souci : subjugué par l’ascendant d’un homme civilisé et d’un ancien supérieur, l’Africain lui dit : « Général, que voulez-vous faire ? — Tu m’appelles général, tu me reconnais donc pour ton chef, car tu ne l’es pas toi même. » Sans-Souci n’osa pas répliquer, malgré la présence de ses bandes ; car il craignit, non sans raison, que Pétion, Clervaux et leurs troupes soutiendraient l’autorité dans la personne de Christophe : le barbare fut vaincu.

En ce moment, le colonel J.-P. Daut engagea Pétion à quitter une fois le Nord pour se rendre dans l’Ouest, leur lieu natal. « Laissons, lui dit-il, les gens du Nord s’arranger entre eux ; allons dans notre pays pour y combattre les blancs. » Il ordonna aussitôt à la 10e de défiler. Passant par la Ravine-à-Couleuvre, il se rendit auprès de Dessalines qui l’accueillit et dont il reconnut l’autorité supérieure.

Quant à Pétion, qui n’avait pas cet esprit de localité, il ne voulut pas partir sans avoir préalablement obtenu de Sans-Souci, la promesse formelle de ne plus chercher querelle au général Christophe, en lui représentant d’ailleurs tout le mal qui résulterait de ces divisions dangereuses. Il lui inspira tant d’estime et de confiance, que Sans-Souci lui fit de vives instances pour rester encore dans le Nord ; mais Pétion lui déclara qu’il fallait de toute nécessité qu’il joignît le général Dessalines.

Ne fut-ce pas un triomphe bien honorable pour cet homme, si célèbre dans nos fastes, d’avoir su commander le respect, l’estime et la confiance de tous ces anciens ennemis contre lesquels il avait lutté sous les ordres de Rigaud ? Par son ascendant, il domina, il entraîna Clervaux et Christophe, deux généraux de T. Louverture, en les convainquant de la nécessité de reconnaître l’autorité suprême de Dessalines ; il persuada Petit-Noël, il agit non moins efficacement sur l’esprit de Sans-Souci et de tous leurs officiers secondaires, parmi lesquels était Yayou, qui devait un jour subir lui-même l’influence de ce caractère supérieur. Bientôt on le verra encore dans l’Ouest, entraîner les convictions et inspirer Geffrard pour aller les réunir dans le Sud.

Après s’être séparé en paix de ses compagnons d’armes et des Congos, Pétion se rendit avec la 13e à la Petite-Rivière, où il trouva Dessalines : on était dans les derniers jours de novembre. Dessalines, on le comprend, lui fît l’accueil le plus cordial : ils se racontèrent mutuellement les événemens qui avaient eu lieu depuis leur dernière entrevue ; et Pétion ne négligea pas de lui exposer le péril qui existait dans les prétentions des premiers insurgés du Nord. J.-P. Daut lui avait déjà dit ce qui s’était passé en sa présence.

Reconnaissant en Dessalines, le général en chef des indigènes armés pour assurer la liberté de tous, Pétion fut promu par lui au grade de général de brigade, dû bien légitimement aux services qu’il venait de rendre. L’acte de Sans-Souci n’influa en rien sur cette promotion ; elle était la conséquence de ces services et de leur entente depuis l’entrevue de Plaisance.

Dès-lors, la fusion s’opéra entre les deux anciens partis politiques qui avaient ensanglanté Saint-Domingue, mais qui allaient désormais féconder ce sol d’un sang plus judicieusement versé. L’exemple tracé par Pétion dans le Nord et l’Artibonite, et bientôt après dans l’Ouest, ne pouvait qu’être imité dans le Sud, puisque Geffrard, Jean-Louis François, Coco Herne, Papalier, Francisque et tant d’autres officiers, et toute cette fameuse 13e demi-brigade, composée des débris des troupes de ce département, étaient présens à la Petite-Rivière.

Récompensant aussi les services de Gabart, cet autre brave qui mérita le surnom de Vaillant, Dessalines le promut au grade de général de brigade, le même jour que Pétion y fut élevé.

Pendant que ces choses se passaient dans le Nord et l’Àrtibonite, Capois réorganisait la 9e demi-brigade au Port-de-Paix. Chef reconnu de tous les insurgés de cette péninsule, il fit faire une tentative contre la ville du Môle, dont on ne put s’emparer. L’insuccès des insurgés porta le général Brunet à envoyer l’adjudant-général Grandseigne contre le bourg de Bombarde, afin de dégager les blancs de cette paroisse. Cet officier réussit, et il les achemina sur le Môle : assailli ensuite par une foule de cultivateurs, il fut contraint à y retourner lui-même avec ses troupes, dans le plus grand désordre.

De son côté, après avoir été chassé du Fort-Liberté, Toussaint Brave s’était placé dans la baie de Mancenille ; de-là, il lançait des barges armées contre les caboteurs qui apportaient du Cap des approvisionnemens à la garnison du Fort-Liberté. Rochambeau envoya une frégate avec des troupes, qui chassèrent les indigènes de ce point, et brûlèrent leurs barges. Revenu dans la plaine qui avoisine cette ville, Toussaint Brave fut encore attaqué par la garnison ; après un combat où il montra toute son intrépidité, il fut forcé d’abandonner la plaine et de se retirer vers les montagnes.

À l’Arcahaie, Larose faisait preuve d’une énergie remarquable. Persistant dans sa résolution de méconnaître l’autorité de Dessalines, il organisa ses troupes et fit des promotions, comme s’il était un général. C’était du reste une nécessité, car on ne fait pas la guerre convenablement avec des bandes indisciplinées. Le canton de Boucassin était encore occupé par les Français, sous les ordres d’un brave officier, nommé Poix, qui s’y était retiré quand Larose s’empara de l’Arcahaie. Celui-ci entreprit de l’en déloger : il y réussit, mais après avoir essuyé une vive résistance. Toutes ses mesures avaient été prises pour couper la retraite de Poix sur le Port-au-Prince : Poix se vit contraint de passer par les montagnes pour se rendre au bourg du Mirebalais, commandé par le vieux noir Paul Lafrance, qui avait sous ses ordres le chef d’escadron David-Troy, commandant de la gendarmerie.

De l’Artibonite, Dessalines envoyait des émissaires qui travaillaient l’esprit des soldats de Larose ; les relations établies entre cette plaine et l’Arcahaie facilitaient ces manœuvres. Jean-Charles Courjolles, l’un des lieutenans de Larose, les secondait ; craignant de tomber victime de son zèle, il s’enfuit et se retira auprès du général en chef. Son exemple fut suivi par un officier de quelque influence, nommé Robert : ce fut assez pour déterminer des défections parmi les anciens soldats de l’armée coloniale, qui, ainsi qu’eux, devaient naturellement préférer le commandement supérieur de Dessalines à celui de Lamour Dérance, ce nègre marron qu’ils avaient toujours traqué sous ses ordres, du temps de T. Louverture.

Larose, égaré par l’orgueil et la rancune, ne put reconnaître sa fausse position. Afin de se donner un nouveau relief par les armes aux yeux de ses troupes, il les dirigea contre la plaine du Cul-de-Sac, d’abord en attaquant un poste français établi sur l’habitation Robert, située dans le canton des Varreux ; il l’enleva. Mais aussitôt, il en fut chassé par le chef de brigade Gilbert Néraud, qui commandait la Croix-des-Bouquets. Revenant à la charge, Larose s’empara encore du poste établi sur l’habitation Sibert, destinée à une célébrité malheureuse : attaqué de nouveau par Néraud et Saint-James, il fut refoulé avec de grandes pertes dans la paroisse de l’Arcahaie. Ces revers firent tomber son prestige : d’autres de ses lieutenans, Auguste et Jean-Toussaint Labarre, allèrent se soumettre à Dessalines, et des soldats les suivirent. En vain Larose faisait bonne contenance contre la fortune du général en chef ; son pouvoir d’opinion chancelait : peu après, Pétion vint y mettre un terme.

Les insurgés des autres quartiers de l’Ouest agissaient également dans les mois de novembre et de décembre.

Au pied du morne de la Coupe, sur l’habitation Frère, deux nouveaux chefs de bandes, Germain Frère et Caradeux, établirent un camp où vinrent se réfugier des cultivateurs de la plaine du Cul-de-Sac. Ils reliaient leurs opérations à celles d’Adam, dans le morne l’Hôpital. S’étant postés à la source Turgeau, qui fournit l’eau aux fontaines du Port-au-Prince, ils en détournèrent le cours : ce qui nécessita une sortie contre eux par la garnison et la garde nationale de cette ville ; ils en furent chassés, et les Français y établirent à leur tour un poste pour assurer à la ville ce besoin de première nécessité.

Du côté de Léogane, Sanglaou, Beauséjour, Pierre Louis et Mathieu Fourmi se réunissaient de manière à resserrer les Français dans l’enceinte de cette ville. Cangé, ancien chef de bataillon dans les troupes du Sud, quitta les montagnes du Grand-Goave et vint se placer dans la plaine de Léogane, sur l’habitation Sarrebousse, dans le but de donner une direction à ces chefs de bandes qui obéissaient comme lui à Lamour Dérance. En sa qualité de militaire, il reconnut qu’il fallait organiser des troupes et les discipliner pour faire la guerre : ce à quoi ne songeaient pas les autres chefs de bandes qui, du reste, étaient placés sous l’influence des idées étroites de Lamour Dérance ; celui-ci espérait lui-même plus d’efficacité dans les fétiches dont se servaient ses sorciers africains.

Pendant une absence momentanée de Beauséjour, premier chef des insurgés de la plaine de Léogane, Cangé donna un grand repas où il prodigua le bœuf, le mouton, le porc rôtis, les vivres du pays, et surtout le tafia ; tous les insurgés y furent conviés, et les danses créoles et africaines vinrent ajouter aux plaisirs de la table.

Cangé avait son plan : il laissa son monde s’amuser et s’enivrer ; alors il fit sonner le lambi pour réunir autour de lui ces bandes déjà préparées à tout accepter de sa part. Se faisant orateur, il les harangua et leur dit : Que sans organisation militaire, sans tactique, elles feraient difficilement la guerre aux blancs. L’exemple des Français servait de terme de comparaison, et d’ailleurs, les insurgés étaient enchantés de leur hôte : ils applaudirent à ses judicieuses observations. Cangé nomma immédiatement Sanglaou et Mathieu Fourmi, colonels de deux demi-brigades qu’il forma, en leur laissant le choix des officiers : ce qui était aussi adroit que juste, car ces deux chefs de bandes devaient avoir leurs créatures à satisfaire. Il forma aussi un corps de cavalerie dont il confia le commandement à Pierre Louis. Des acclamations bruyantes couvrirent ces choix qui étaient agréables.

Mais ce n’était pas le seul but de Cangé : ce mulâtre avait espéré de la part de ses joyeux convives un acte de convenance, et ils ne le comprenaient pas. Le lambi se fit entendre de nouveau, on se réunit autour de l’organisateur : « Mais, dit-il, j’ai formé des régimens, j’ai nommé des colonels, que suis-je donc moi-même ? — Vous êtes général, répondit une voix dans la foule. — Eh bien ! criez donc : Vive le général Cangé ! » Et les insurgés de crier selon ses désirs.

Chacun était satisfait, depuis le général jusqu’au dernier soldat ; mais Beauséjour avait été oublié : les absens ont tort. Dans son dépit, il prit la résolution de ne plus se mêler de rien et se confina dans les mornes. Peu de jours après cette scène militaire où Cangé joua si bien son rôle, Lamour Dérance vint dans la plaine de Léogane : il le confirma dans le grade qu’il s’était fait donner par les insurgés. Il paraît cependant que ce général en chef n’avait pas été bien satisfait de cette promotion faite en dehors de ses attributions ; mais Cangé était trop fin pour ne passe faire pardonner cette licence : il se rendit nécessaire et devint le conseiller de Lamour Dérange[11]. En retournant du côté de Jacmel d’où il était venu, il ordonna à Cangé d’attaquer Léogane. Lamour Dérance voulait enlever Jacmel : le 10 décembre, il y donna un assaut, mais ses bandes, que dirigeaient Magloire Ambroise, Lacroix et Macaque, furent repoussées, malgré le courage qu’elles montrèrent dans cette affaire.

Cangé contraignit les Français à se renfermer dans la place de Léogane qu’il bloqua. Mais, au lieu de poursuivre cette entreprise, il laissa une partie de ses gens autour de cette place et se porta avec l’autre jusqu’au Pont-de-Miragoane, après avoir guerroyé dans les mornes du Petit-Goave contre Delpech, commandant de cette ville, qui voulait l’empêcher de passer. Il paraît qu’il avait le dessein d’insurger le département du Sud, où des crimes avaient été commis tout récemment ; mais, par sa faute, il fut battu au Pont par un détachement de troupes françaises et un autre de compagnies franches, composé de mulâtres et de noirs que commandait Pérou, noir ancien libre. Ces derniers étaient disposés à faire défection pour se joindre à lui : ils lui envoyèrent l’un d’eux qu’il fît sacrifier dans un moment d’ivresse ; ils se vengèrent en aidant les Français à l’assaillir. Cangé s’enfuit et ne s’arrêta que dans la plaine de Léogane.


Lorsque Rochambeau n’était que commandant en chef de l’Ouest et du Sud, ce dernier département souffrait déjà des crimes de Darbois et de Berger. Laplume, aux Cayes, — Néret, à Aquin, isolés du contact des hommes supérieurs qui agissaient dans l’Artibonite, subissant d’ailleurs la pression des colons et des officiers français, ne pouvaient que satisfaire à leurs vues de destruction des indigènes[12]. Peu avant que Cangé vînt au Pont-de-Miragoane, Laplume avait ordonné l’arrestation, au Petit-Trou des Baradères, de Lemoine, commandant de ce bourg, de Bardet, qui y commandait la gendarmerie, de Gérin et d’autres hommes de couleur, sous le prétexte qu’ils conspiraient. Lemoine, Bardet et les autres furent noyés à l’Anse-à-Veau : Gérin ne dut qu’à la protection de Segrettier qui s’y trouvait, d’avoir échappé à la mort ; il se sauva et se cacha dans les mornes.

Telle fut la récompense accordée à Bardet qui, au fort Bizoton, s’était rangé avec son bataillon de la 13e du côté des troupes du général Boudet. Ainsi il en eût été de Clervaux au Cap, ainsi il en fut de toute la 6e. On conçoit que l’avènement de Rochambeau au gouvernement colonial dut ranimer le zèle de ses sicaires dans le Sud, qu’il ne dut pas manquer d’y envoyer de nouveaux ordres sanguinaires, puisqu’au Cap même il fit noyer Maurepas, Bodin et les officiers et soldats de la 9e. Berger, commandant de la place des Cayes, avait rempli la prison de noirs et de mulâtres qu’on noyait successivement ou qu’on pendait.

Ces atrocités portèrent une cinquantaine d’indigènes, commandés par un noir nommé Joseph Darmagnac, à se révolter aux Cayes mêmes : ils s’emparèrent du quartier de l’îlet où ils se retranchèrent. Cet effort ne pouvait réussir : ils furent tous faits prisonniers et périrent. Ce fut un motif pour Berger, si cruel, de supposer que la majeure partie des indigènes de la ville étaient de connivence avec ceux que le désespoir seul avait armés : les noyades, la potence vidèrent la prison, et des arrestations eurent lieu sur ceux qui ne s’y trouvaient pas : c’est alors que périt le brave Vendôme qui fut pendu.

Braquehais, natif des Cayes, s’y était rendu après la soumission de Christophe : il fut noyé dans ces circonstances. Mais les lettres énergiques qu’il écrivit pour ce général perpétueront sa mémoire, car les tyrans ne sauraient anéantir la pensée qui exprime des sentimens honorables. Les tyrans persécutent, proscrivent, immolent leurs victimes ; mais l’esprit, les idées de ces martyrs leur survivent ![13]

À Saint-Louis, vingt-deux officiers noirs et mulâtres, parmi lesquels était Lefranc, cet ancien colonel sous Rigaud, avaient été embarques sur la frégate la Clorinde mouillée dans la rade : ce navire était commandé par un digne Français nommé Lebozec. Berger y envoya un de ses infâmes exécuteurs, Kerpoisson, lieutenant de port aux Cayes, avec ordre « de prendre les dix-neuf prisonniers qui doivent se trouver sur la frégate et de les noyer. » Lebozec ne voyant pas portés les noms de ceux qu’il était tenu de livrer d’après cet ordre, oppose cette fin de non-recevoir à Kerpoisson : « J’ai reçu 22 prisonniers et non pas 19 ; lesquels demandez-vous ? — « Tous, répond le bourreau, et surtout Lefranc. — Je ne suis pas un bourreau ; je ne me joue pas de la vie de mes semblables. Allez prendre de nouveaux ordres qui m’indiquent les personnes qu’on demande, et je vous les remettrai. Quant à Lefranc, il est ici par les ordres du général Laplume, et je ne le remettrai qu’à son ordre. »[14]

Kerpoisson s’empressa de retourner aux Cayes pour faire son rapport : un nouvel ordre lui fut donné pour prendre les 22 prisonniers, y compris Lefranc ; Laplume céda à ce que voulait Berger. Cette fois, Lebozec ne pouvait refuser, et ces hommes furent tous noyés.

La tentative infructueuse de Cangé au Pont-de-Miragoane avait porté Laplume et Néret à renforcer la garnison de ce bourg pour s’opposer à une nouvelle irruption des insurgés de l’Ouest dans le Sud. Un homme de couleur, du nom de Bellegarde Baudoin, commandant de la garde nationale du canton de Belle-Rivière, dans cette paroisse, reçut l’ordre de s’y transporter avec ses gens. Mais il les porta à se révolter et s’entendit à cet effet avec Gilbon, chef des insurgés de Baynet : réunissant leurs troupes, ils vinrent à Miragoane, s’en emparèrent, prirent des munitions et se retirèrent sans faire aucun ma là qui que ce soit. C’était une belle action dans un temps si fertile en cruautés, et d’autant plus méritoire, que Pierre Viallet, commandant de ce bourg, se montrait cruel envers ses frères noirs et mulâtres. Néret, apprenant ce fait, employa tous ses soins pour gagner Bellegarde Baudoin à la cause française ; celui-ci fut assez faible pour s’y laisser prendre, il alla le joindre. Après son départ, les insurgés choisirent un noir pour les commander ; il se nommait Léveillé : la plupart d’entre eux étaient des mulâtres propriétaires à la Belle-Rivière.

Néret vint les attaquer et fut battu : il accusa Bellegarde, qui était avec lui, d’être d’intelligence avec ses anciens compagnons, et il voulut le faire arrêter. Nouveau transfuge, Bellegarde prit la fuite et revint se faire pardonner la faute qu’il avait commise. Léveillé se porta à la montagne du Rochelois où il recruta les cultivateurs pour se renforcer et s’établit près du Pont-de-Miragoane. Retournant de nouveau au Rochelois, il combattit contre le chef de bataillon Ferbos, de l’ancienne garnison de Jérémie, que Néret avait détaché d’Aquin contre les insurgés : vaincu et blessé, Ferbos se retira à Aquin. On eut l’indignité de l’accuser d’avoir ménagé les insurgés, et, tout blessé qu’il était, il fut noyé à Aquin. Néret laissa consommer cet horrible crime, s’il ne l’ordonna pas lui-même. Ainsi mourut ce brave officier qui fit la guerre contre Rigaud avec ce même Néret, dans l’armée de T. Louverture ; qui, à l’arrivée des Français, avait contribué, à Jérémie, à préserver les blancs de cette ville de tout excès ! Désiré, noir qui l’avait aidé en cela, était déjà assassiné à Saint-Marc avec le bataillon de la 12e.

Le succès de Léveillé lui rallia Gérin qui, après sa fuite de l’Anse-à-Veau, avait gagné des noirs et des mulâtres de ce quartier à la cause de l’insurrection. Ancien chef de bataillon, intrépide et sachant faire la guerre, il était une acquisition utile pour Léveillé et ses bandes. Mais alors, il n’était pas possible de pénétrer de nouveau dans le Sud : ils se réfugièrent dans les montagnes entre le Petit-Goave et le Fond-des-Nègres.


Le Mirebalais, placé sous les ordres de Paul Lafrance, que soutenait David-Troy, servait aux Français à entretenir les communications entre le Port-au-Prince et l’ancienne colonie espagnole. Las Caobas était occupé par un officier européen nommé Luthier. Jusqu’alors, aucune insurrection n’avait eu lieu dans ces quartiers ; mais Dessalines avait fait garder la Petite-Montagne, par un noir du nom de Guillaume Fontaine. Paul Lafrance essaya de l’en déloger, fut battu complètement, et perdit la vie dans la déroute : sa tête fut tranchée et envoyée à Dessalines, à la Petite-Rivière. David-Troy prit alors le commandement du Mirebalais. Ancien officier sous Rigaud, il n’avait pas émigré avec ses compagnons ; il avait été témoin de toutes les horreurs commises après la guerre civile du Sud, et se trouvait au Port-au-Prince à l’arrivée du général Boudet : conservant une profonde rancune contre T. Louverture et Dessalines, il servait les Français avec zèle. Il était employé au Mirabelais, parce qu’il naquit dans ce quartier et qu’il pouvait exercer de l’influence sur les indigènes ; il les retint en effet sous l’obéissance de la métropole, car la population des anciens libres avait beaucoup souffert des crimes commis à l’occasion de la guerre civile.

Toutefois, Pétion pouvait conserver l’espoir de l’entraîner par son exemple, celui de Geffrard, de Jean-Louis François et de toute la 13e, à se rallier sous l’autorité de Dessalines. En quittant le Nord pour se réunir au général en chef, Pétion avait certainement l’intention de venir dans l’Ouest user de toute son influence sur les anciens officiers de l’armée coloniale, sur la population indigène dont il était connu par ses antécédens : dans sa pensée, Geffrard était l’homme qui devait rallier le Sud à Dessalines, car le général en chef n’y était connu que par des excès. C’eût été ne rien faire pour la cause indigène, que de se borner à rester dans l’Artibonite, lorsque, d’une part, les Congos du Nord refusaient obéissance à Dessalines, et que, de l’autre, Lamour Dérance s’érigeait aussi en général en chef, et était obéi par tous les chefs de bandes de l’Ouest. C’était à Dessalines à briser les résistances du Nord, où son influence personnelle pouvait mieux s’exercer, comme ancien officier de cette partie, et à Pétion et Geffrard à briser celles de l’Ouest et du Sud.

D’accord entre eux sur tous ces points, l’opération essentielle que leur indiquaient les circonstances, consistait à ce que Pétion pénétrât dans l’Ouest pour ouvrir la route du Sud à Geffrard. Si Dessalines lui-même y venait, il se serait trouvé immédiatement en face de Lamour Dérance. Pétion avait l’avantage sur lui d’être connu de cet Africain, comme un ancien officier de Rigaud, dont la déportation l’avait porté à reprendre les armes contrôles Français ; sa présence ne pouvait donc offusquer cet homme qui avait grandi.

En conséquence de cet état de choses, Pétion partit de la Petite-Rivière en décembre, ayant sous ses ordres la 13e, commandée par Geffrard, la 10e, commandée par Jean-Philippe Daut, et un bataillon de la 7e, commandé par Marinier. Les militaires de la 10e et leur colonel étaient tous des hommes du Mirebalais, où il fallait d’abord agir. Ce bourg était fortifié depuis l’occupation anglaise : deux forts le dominaient. En arrivant dans son voisinage, Pétion envoya le capitaine Francisque auprès de David-Troy, pour lui proposer de se réunir à lui, sous l’autorité de Dessalines. Aucun parlementaire ne pouvait être plus agréable à David-Troy, que Francisque ; mais à sa répugnance personnelle se joignait celle des indigènes, et l’opposition des Français qui étaient là : cette mission échoua. David-Troy répondit à Francisque, qu’il ne pouvait pas se soumettre à Dessalines, qui avait exécuté avec tant de zèle les ordres barbares de T. Louverture, à l’occasion de la guerre civile du Sud. Il ne comprenait pas la position de son pays ni l’avenir de sa race ; car, que faisaient les Français depuis leur arrivée ? Quel espoir pouvait-on avoir en eux ? Ensuite, il y avait injustice à tout reprocher à Dessalines, lorsqu’il était prouvé qu’il avait épargné bien des hommes qui fussent tombés victimes. Ces reproches démontraient une faible portée politique en David-Troy, et qu’il se laissait dominer par une aveugle rancune.

Au retour de Francisque, Pétion disposa l’attaque. Geffrard eut l’ordre d’enlever le fort David avec la 13e, Jean-Philippe Daut celui de la Crête avec la 10e, tandis que Pétion était à la réserve, formée de la 7e. Après une vive résistance, les deux forts furent pris, et le bourg lui-même resta au pouvoir de Pétion. David-Troy rallia sa troupe et se retira à Las Caobas.

Dirigeant sa marche par le canton des Grands-Bois, Pétion descendit au Cul-de-Sac, sur l’habitation Thomazeau, située dans le canton de la Grande-Plaine : son but n’était pas de perdre son temps à attaquer les nombreux postes français qui couvraient cette plaine. Il était parvenu du côté opposé, sur l’habitation Lamardelle ; mais un détachement ennemi y étant venu en reconnaissance, il alla occuper l’habitation Pierroux dont la position était plus défendable. L’alarme avait sonné à la Croix-des-Bouquets et au Port-au-Prince ; il était à craindre que Pétion ne parvînt à soulever les cultivateurs du Cul-de-Sac, jusque-là soumis aux Français : infanterie, cavalerie, artillerie légère, furent déployées contre lui ; environ mille hommes de cette première arme, plus de quatre cents cavaliers et quatre pièces de canon. Dans le premier choc, les indigènes repoussèrent l’ennemi ; mais n’ayant plus de munitions, écrasés par la mitraille, ils furent défaits et mis en déroute. Pétion ne put rallier sa troupe qu’au pied des mornes.

On peut comprendre facilement cette pénurie de munitions chez les indigènes : où en auraient-ils pris en suffisante quantité pour en être toujours pourvus ? Et comment faire la guerre avantageusement sans poudre ? Si les Français se montraient braves sur tous les champs de bataille, c’est une qualité qu’on ne saurait jamais dénier à cette nation belliqueuse ; mais ils avaient encore sur les indigènes ce grand avantage d’être toujours bien pourvus de tout, d’être disciplinés et d’avoir une tactique supérieure : de là, leurs succès. Pamphile de Lacroix qui a eu des troupes coloniales sous ses ordres, leur a assez rendu justice pour qu’on ne doute pas de leur courage à la guerre ; et d’ailleurs la Ravine-à-Couleuvre, la Crête-à-Pierrot, les Trois-Pavillons, le Haut-du-Capet le Cap même, l’attestent suffisamment.

Boisrond Tonnerre raconte ainsi les procédés de Dessalines manquant de cartouches pour ses troupes : « C’était dans ces momens que son génie lui faisait trouver des ressources et de l’encouragement dans le sein de la pénurie même. Il parcourait les rangs, choisissait les anciens militaires dont la témérité lui était connue, donnait deux cartouches à chacun en les exhortant d’aller vider la giberne d’un blanc. C’est ainsi que l’homme fait pour commander, sait tirer parti de la gêne et faire un point d’honneur d’un acte de nécessite. »

Parmi les troupes françaises qui chassèrent Pétion du Cul-de-Sac, se trouvaient des indigènes du Port-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets : ils ne furent pas les moins brillans dans cette affaire. L’un d’eux, dans la déroute de la 13e, prit l’un des drapeaux de ce corps : ils étaient encore tricolores comme ceux des Français ; seulement on en avait arraché le coq gaulois qui les décorait. Ce drapeau porté en triomphe au Port-au-Prince, fit penser que les indigènes sous les ordres de Dessalines, n’avaient nulle idée d’indépendance, de nationalité distincte ; on publia cette opinion : bientôt on verra ce qu’elle produisit.

Pétion s’étant rendu au camp Frère, y trouva Germain et Caradeux, qui l’accueillirent avec sa troupe. Il se dirigea ensuite dans la plaine de Léogane, par la colline de la Rivière-Froide et le Morne-à-Bateau.

Comme le Mirebalais n’avait pas été gardé, David-Troy y revint et s’établit de nouveau dans ce quartier. Le général Brunet, déjà rendu au Port-au-Prince, envoya le général Fressinet avec une forte colonne contre les insurgés des environs de cette ville : ils furent chassés du camp Frère et des autres positions où ils se trouvaient, mais qui ne furent pas occupées par les Français. Cependant, le bourg de la Croix-des-Bouquets étant bien fortifié, quelques postes suffisaient dans les points importais pour garder la plaine du Cul-de-Sac ; des blockhaus, fortement construits, en assuraient la défense.

Peu après le retour de Cangé à Sarrebousse, de son expédition vers le Pont-de-Miragoane, plusieurs des mulâtres et des noirs qui servaient les Français à Léogane sous le commandant de la place Laucoste, étaient venus le joindre : c’étaient Marion, ancien capitaine de la légion de l’Ouest, Mimi Baude, Heurtelou, les deux Brisson et Colin. Lamour Dérance y étant venu, promut Marion au grade d’adjudant-général, et Mimi Baude à celui de colonel ; il reconnaissait en eux, comme en Cangé, d’anciens officiers sous Bauvais et Rigaud[15]. Le 14 décembre, Lamour Dérance fît attaquer Léogane : les indigènes ne purent prendre la place, mais ils s’emparèrent du poste Bineau et du fort Ça-Ira, qui leur fut livré par Banglo, capitaine noir qui le commandait. Ce résultat tint la ville entièrement cernée.

En arrivant dans la plaine, Pétion se rendit sur l’habitation Darbonne où Lamour Dérance tenait son quartier général. Ce chef lui fit bon accueil ainsi qu’à ses officiers et à leurs troupes : c’étaient encore d’anciens partisans de Rigaud en faveur duquel il avait constamment résisté à T. Louverture[16]. Pétion s’attacha à se faire bien venir dans l’esprit de Lamour Dérance, pour ne pas être contrarié dans son projet de faire passer Geffrard dans le Sud. On a prétendu qu’il essaya de le porter à reconnaître l’autorité de Dessalines ; mais nous doutons qu’un homme expérimenté comme l’était Pétion, eût compromis son œuvre par une telle démarche. Il n’ignorait pas que sous T. Louverture, Dessalines étant commandant en chef du département de l’Ouest, il avait eu plus d’une fois l’occasion de faire traquer Lamour Dérance dans les montagnes du Port-au-Prince ou dans celles de Jacmel[17] : lui proposer, dans la plaine de Léogane, alors qu’il était tout-puissant, de reconnaître un supérieur en son ancien ennemi, c’eût été, de la part de Pétion, plus qu’une imprudence ; car il aurait pu périr. Il est probable qu’il lui aura parlé, comme à Sans-Souci, de la nécessité de ne pas se heurter les uns et les autres dans une guerre entreprise pour résister aux Français. Pétion avait mieux à faire, et c’est ce qu’il fit : il prépara Cangé, Marion, Mimi Baude, etc., ses anciens compagnons d’armes du Sud, à ne reconnaître que Dessalines pour général en chef des indigènes, dès que les circonstances leur permettraient de secouer le joug de l’autorité qu’exerçait Lamour Dérance. L’exemple qu’il avait tracé, la présence de Geffrard, de Jean-Louis François et de toute la 13e qui allaient opérer dans ce sens sur tous les esprits du Sud, ne pouvaient que les entraîner. Personnellement, Cangé avait un autre motif qui devait influer sur lui : après la guerre civile du Sud, « il avait dû son salut à Dessalines qui l’avait reçu comme simple grenadier dans son régiment (la 4e demi-brigade).[18] »

En ce moment, Gérin, qui avait été sauvé aussi par Dessalines, ayant appris dans les hauteurs du Petit-Goave où il se trouvait avec Léveillé, que Pétion, Geffrard et les autres militaires du Sud étaient dans la plaine de Léogane, vint les y rencontrer. Comme eux, il se pénétra de la nécessité d’une franche soumission aux ordres du général en chef qu’ils avaient reconnu : l’accession d’un tel officier ne pouvait qu’être d’un grand poids aux yeux des indigènes du Sud. Dessalines recueillait donc le prix des actes d’humanité qu’il avait exercés envers les vaincus ! Pourquoi faut-il que nous ayons à constater plus tard, qu’il oublia les services de tous ces hommes qui lui prêtèrent un concours dévoué, dans l’œuvre nationale qu’il entreprit en 1802 avec tant de gloire !…

En bloquant les Français dans la ville de Léogane, Cangé avait établi plusieurs postes retranchés autour de cette ville, sur les habitations Cassagne, Dampuce et Petit. Ce dernier poste étant le principal, Pétion utilisa ses connaissances comme ingénieur en le fortifiant ; il fit occuper le fort Ça-Ira par Geffrard avec la 13e, car il était à prévoir que la prise de ce fort, tandis que Léogane était cerné, déterminerait les Français à envoyer des troupes à son secours : ce qui eut lieu en effet. Avant leur arrivée, une goélette canonna le fort à boulet et mitraille : Geffrard reçut une blessure au bras, et le commandement passa à Gérin.

Bientôt arrivèrent dans la rade de Léogane une frégate, un brig, et trois goélettes portant des troupes qui débarquèrent. Cette flotille était sous les ordres du capitaine de vaisseau Jurien (de la Gravière)[19] : elle canonna le fort Ça-Ira, tandis que les troupes l’attaquaient et que la garnison de Léogane faisait une sortie. Les indigènes furent chassés du fort ; mais Pétion accourut à leur secours avec des troupes de Cangé, rallia la 13e, et réussit à refouler une partie des Français dans la ville de Léogane : les autres périrent ou gagnèrent les navires qui se retirèrent au Port-au-Prince. Dans cette affaire, Jean-Louis François, Coco Berne, Gérin, Sanglaou et Isidor, montrèrent une grande bravoure.

Geffrard, rétabli de sa blessure, se mit enroule pour le Sud avec Gérin et la 13e, en passant dans les mornes du Petit-Goave où ils rallièrent Léveillé et ses bandes. Geffrard avait reçu de Dessalines un paquet qu’il ne devait décacheter que lorsqu’il aurait enlevé l’un des bourgs du littoral du Sud : c’était son brevet de général de brigade qu’il devait ainsi gagner à la pointe de son épée.

Immédiatement après son départ, Pétion se mit aussi en route pour retourner auprès de Dessalines. Pendant son court séjour dans la plaine de Léogane, il avait embauché tous les officiers supérieurs qui obéissaient à Lamour Dérance. En revoyant Germain Frère et Caradeux à la Coupe, il opéra la même conversion dans leur esprit. Magloire Ambroise et Lacroix, du côté de Jacmel, ne pouvaient qu’imiter Cangé lorsque le moment serait arrivé de se prononcer.

Il ne restait plus que le farouche Larose à convaincre de la nécessité d’une soumission parfaite à Dessalines ; mais ce n’était pas chose facile. À peine arrivé à l’Arcahaie, Pétion essaya un moyen pour connaître ses dispositions : il lui dit qu’il avait reçu l’ordre du général en chef d’occuper ce bourg. Mais Larose, qui l’avait accueilli avec beaucoup d’égards, se révolta contre cet ordre, en reprochant à Dessalines toutes les exécutions à mort faites après la guerre civile du Sud, d’avoir concouru à la déportation de T. Louverture et livré Charles Bélair à Leclerc. Vainement Pétion voulut-il le ramener à des sentimens plus modérés ; il fit battre la générale, mit sa troupe sous les armes pour chasser Pétion de l’Arcahaie. Ce dernier prit le parti d’en sortir avec les troupes qui l’accompagnaient ; mais ses paroles avaient frappé tous les hommes soumis à Larose.

Rendu à la Petite-Rivière, il fit son rapport à Dessalines qui se promit de punir Larose d’une manière exemplaire, après qu’il se serait assuré la soumission des Congos du Nord. Sa confiance en Pétion ne fut que plus grande, en apprenant que Cangé et les autres chefs de bandes avaient écouté ses conseils : désormais il pouvait espérer de réussir complètement à se faire agréer comme général en chef, puisque Geffrard allait dans les mêmes vues dans le Sud.

La position des habitations Marchand et Laville, au pied de la chaîne des montagnes des Cahos, présentant des monticules faciles à défendre, le général en chef ordonna à Pétion d’en tracer les fortifications qui furent commencées dès-lors. Si Pétion y mit les règles du génie militaire qu’il possédait, Dessalines leur donna des noms qui portaient l’empreinte de son génie particulier : il y eut les forts Décidé, Culbuté, la Fin du Monde, Résolu, la Source et Innocent, ce dernier nom étant celui de l’un de ses fils naturels.


Examinons ici la position respective des Français et des Indigènes, au moment où finissait l’année 1802.

Toute l’ancienne partie espagnole était au pouvoir des Français.

Dans le Nord, ils possédaient le Cap, le Môle, le Fort-Liberté et la Tortue.

Tout l’intérieur de ce département appartenait aux Indigènes.

Sans-Souci donnait ses ordres depuis le Borgne jusqu’aux campagnes du Fort-Liberté. Petit-Noël Prieur était son premier lieutenant ; les autres chefs débandes étaient : Jacques Tellier, Labrunit, Cagnet, Yayou, Macaya, Mavougou, Va-Malheureux et Caca-Poule (quel nom bizarre !). Toussaint Brave et Charles Bauduy, anciens militaires, étaient contraints d’obéir à ces Congos, malgré leurs sympathies pour Dessalines.

Clervaux, ayant réorganisé la 6e coloniale en partie, faisait tête à l’orage autant que possible, en s’efforçant de faire des prosélytes au véritable général en chef. Il en était de même de Christophe qui, plus haï que son collègue, se voyait réduit à l’inaction avec quelques troupes fidèles des 1re, 2e et 5e demi-brigades, sur l’habitation Milot, située au pied de la montagne du Bonnet-à-l’Évêque, pour éviter les embûches de ses ennemis personnels.

Enfin, dans la péninsule du Nord, depuis le Petit-Saint-Louis jusqu’aux portes du Môle, Capois était obéi par les insurgés de cette partie ; mais il était disposé, comme ancien militaire, à reconnaître et à faire admettre par ses inférieurs l’autorité de Dessalines dès qu’il y paraîtrait.

Le général en chef lui-même dominait dans l’Artibonite, possédant la ville des Gonaïves, ayant sous ses ordres immédiats les généraux de brigade Pélion, Gabart et Vernet, et le noyau de la fameuse armée indigène.

Dans ce département, les Français ne possédaient que la ville de Saint-Marc.

Dans l’Ouest proprement dit, Lamour Dérance était encore obéi : — par Larose, à l’Arcahaie ; — par Adam, Métellus, Germain Frère et Caradeux, dans les hauteurs du Port-au-Prince ; — par Magloire Ambroise, Lacroix, Macaque et Lemaire, dans celles de Jacmel ; — par Cangé et tous les officiers supérieurs qu’il avait nommés, dans la plaine de Léogane. Mais on a vu que la présence de Pétion et ses bons offices avaient secrètement sapé le pouvoir colossal de l’homme du Bahoruco, qui prétendait, ainsi que Sans-Souci, contester la suprématie de l’homme inévitable, nécessaire, des Indigènes.

Dans ce département de l’Ouest, les Français étaient en possession du bourg du Mirebalais, de celui de la Croix-des-Bouquets avec la plaine qui l’environne, de celui du Grand-Goave, et des villes du Port-au-Prince, de Jacmel, de Léogane et du Petit-Goave.

Tout le département du Sud leur était soumis, moins quelques chefs de bandes retirés dans les bois et sans influence.

  1. « Les sauvages sont barbares quand ils ne laissent la vie a aucun de leurs prisonniers ; — cruels, quand ils leur font endurer des tourmens horribles ; « — féroces, quand ils dansent autour de leurs bûchers. » Dict. des synonymes, par M. Guizot.

    Rochambeau agit comme les sauvages : on verra ce qu’il fit à Saint-Domingue, dans la plénitude de sa puissance.

  2. Dans mon entretien avec le digne maréchal Clauzel, à Maisons-Lafitte, il me parla de cette conjuration dont il était le chef, et le général Thouvenot le complice.
  3. Le chef de brigade Abbé, qui avait commandé celle de Leclerc, venait de partir pour France, envoyé en mission par Daure.
  4. Pamphile de Lacroix a donné un état général des troupes venues sous Leclerc, s’élevant à 35,131 hommes. Nous avons vu un autre état portant ce chiffre à 47,286 en tout, sous les deux gouvernemens.
  5. Madame Valabrègue, Madame et Mademoiselle Lartigue, et d’autres encore, passaient pour telles.
  6. C’est pour s’être trouvés dans ces deux îles que plusieurs d’entre eux purent ensuite s’évader sur des navires américains et se rendre à Haïti : de ce nombre furent Dupuche, Quayé Larivière, Chancy, Brunache, Borno Déléard, Papilleau, Bellegarde, Dupont, etc.

    Dupuche fut signalé comme « ayant des moyens, grand ami de Pétion, qui est le chef et l’âme de la dernière insurrection ; mais, c’est un scélérat.  » — Dupont, « grand partisan de la liberté des noirs. » — Quayé Larivière, « a des moyens, mais il est dangereux. »

    Tous ces hommes s’honoraient d’être citoyens français ; mais ils avaient pris la liberté au sérieux.

  7. On se rappelle que le rapport du général Cafarelli, sur ses entretiens avec T. Louverture, est du 24 septembre, et qu’il a dit avoir lu l’original de la convention prise entre ce dernier et Maitland, à la Pointe-Bourgeoise, peu avant l’expulsion d’Hédouville. C’est donc à raison de ces toits qu’il était en rébellion.
  8. Dès le 24 mai 1801, Forfait, ministre de la marine et des colonies, écrivit de sa propre main, au bas du rapport fait sur une demande que présenta Pétion, alors à Paris, pour obtenir la confirmation de son grade d’adjudant-général, conféré par Sonthonax en 1797 : « L’intention du Premier Consul est de ne confirmer aucun de ces grades.  » L’arrêté du 22 octobre 1802 était donc conçu depuis longtemps ! Il n’est pas étonnant alors que Chaudry ait conçu lui-même l’idée d’envoyer Pétion à Madagascar.
  9. Voyez le mémorial de Sainte-Hélène, au 21 septembre 1816. L’empereur Napoléon a victorieusement démontré les raisons qu’eut le Premier Consul pour agir ainsi. Il s’agissait de 60 millions de francs.
  10. « Dans sa rage insensée, il fit venir de Cuba, à grands frais, une multitude de dogues ; ils furent amenés par un Français, nommé Noailles, d’une illustre famille… — Manifeste de H. Christophe, en 1814.

    Noailles, devenu négociant, envoya au Cap une cargaison de cette marchandise en février 1803, et apporta le reste au Port-au-Prince, dans le mois de mai. C’est le 6 février qu’il signa, à la Havane, le marché qu’il conclut avec les éleveurs de ces chiens : la somme dépensé s’éleva à 927, 000 francs.

  11. Boisrond Tonnerre dit de Cangé : « Il est peu d’hommes qui se fussent tirés aussi heureusement d’une position aussi critique que l’était la sienne ; et il lui a fallu la politique la plus adroite pour ne donner aucune prise sur lui de la part d’un homme aussi soupçonneux que Lamour Dérance. »
  12. Quoique Boisrond Tonnerre les ait accusés d’avoir trop suivi les inspirations de Rochambeau, il a atténué ces accusations en disant : « On sut, dans plusieurs occasions, faire de Laplume et de Néret les assassins de leurs compatriotes. »
  13. Braquehais était aide de camp de Martial Besse en 1797.
  14. Mémoires de Boisrond Tonnerre.
  15. C’est ici l’occasion, pour nous, d’exprimer un sincère regret d’avoir omis de citer les noms de Cangé, Marion, Mimi Baude, Lamartinière, Ate Nau, Brice Noailles, Labée, Ducroc, D. Martin, Langlade, Zenon, Desvallons, parmi les mulâtres qui servaient sous Bauvais et Rigaud, et dont la page 131 de notre 4e volume fait mention. Ils méritaient de figurer à côté des autres ; et parmi les noirs : Taco, Badiau, Gilard, Ulysse, Barre Pérac, Coco Pouillac, Dharan.
  16. Ces faits et la promotion de Marion et de Mimi Baude nous portent à croire qu’il y a eu erreur ou passion de la part de Boisrond Tonnerre, quand il dit de Cangé : « Il parvint par une feinte condescendance aux ordres de Lamour Dérance, à préserver les hommes de couleur comme lui et les noirs créoles, de l’extermination des Africains. » Lamour, ainsi que les autres chefs africains, ne prétendait céder sa priorité, dans la prise d’armes contre les Français, ni aux mulâtres ni aux noirs créoles ; mais nous ne pensons pas qu’il voulait les exterminer, à moins qu’ils ne voulussent méconnaître son autorité ; ce qu’a fait Dessalines lui-même envers ceux qui lui résistèrent : c’est-à-dire le Africains, car les autres lui obéirent.
  17. Voyez tome 4, p. 336 et 337 de cet ouvrage.
  18. Mémoires de Boisrond Tonnerre.
  19. Le même qui vint à Haïti, en 1825, avec le baron de Mackau, en qualité d’amiral. Il fut l’un des officiers de marine qui se montrèrent modérés pendant l’occupation française.