Épitres
Traduction par Collectif dont C.-L.-F. Panckoucke.
Texte établi par Charles-Louis-Fleury PanckouckeC.L.F. Panckoucke (2p. 303-305).

ÉPITRE XX. A SON LIVRE.

Il me semble, mon livre, que tu regardes souvent du côté de Vertumne et de Janus. Est-ce que tu voudrais être exposé en vente dans la boutique des Sosies, poli et relié par leurs mains ? Tu t'indignes, je le vois, de rester sous la clef : l'obscurité, si chère à la modestie, n'est pas ton fait. Honteux d'avoir un petit nombre de lecteurs, il te faut le grand jour de la publicité. Sont-ce là les sentiments dans lesquels je t'avais élevé ? Eh bien, va donc où tu brûles d'aller ! mais souviens-toi que, une fois dehors, il n'y aura plus à revenir. Malheureux, diras-tu à la première boutade que tu essuieras, qu'ai-je fait ? quels vœux ai-je formés ? Tu sais aussi combien le lecteur se gênera peu pour te remettre dans tes plis, quand l'ennui le prendra.

Voici donc, si le dépit que tu me causes ne m'aveugle pas, voici de point en point ce qui t'adviendra. Fêté à Rome, tant que tu conserveras l'attrait de la jeunesse, une fois que tu auras passé dans toutes les mains, et qu'on aura sali tes pages, tu deviendras, dans un coin, la pâture des vers, ou bien tu passeras à Utique, si mieux on n’aime t'expédier pour Lérida, servant d'enveloppe à des marchandises. Qui rira bien alors ? Ce sera celui dont tu n'auras pas voulu suivre les conseils. Il fera comme ce rustre qui, ayant affaire à un âne qui ne voulait point obéir, le poussa de colère dans le précipice. Pourquoi s'obstiner, en effet, à sauver qui veut périr ? J'oubliais : tu as encore une chance, c'est que les vieux maîtres d'école des faubourgs s'arrangent de toi pour montrer à lire aux marmots.

Au demeurant, quand le soleil, plus supportable, permettra à un petit cercle d'auditeurs de te prêter l'oreille, apprends-leur que, né d'un père affranchi et sans biens, j'ai pris un essor que mon humble nid ne semblait pas comporter. Ainsi, ce que tu me feras perdre du côté de la naissance, je le gagnerai en mérite personnel. Ajoute que j'ai su plaire à ce que Rome compte de plus illustre en guerriers et en magistrats ; que je suis de petite taille, que mes cheveux ont grisonné avant le temps, que j’aime le soleil, que je suis prompt à m'emporter, et non moins prompt à m'apaiser ; et si, par hasard, quelqu'un s'informe de mon âge. réponds que je comptais quarante-quatre hivers l'année où Lollius eut Lépidus pour collègue dans le consulat.