Épitres
Traduction par Collectif dont C.-L.-F. Panckoucke.
Texte établi par Charles-Louis-Fleury PanckouckeC.L.F. Panckoucke (2p. 281-287).

ÉPITRE XVII. A SCÉVA.

Quoique tu saches assez, ô Scéva, te conseiller toi-même, et que tu n'ignores point l'art de vivre avec les grands, ne dédaigne point de m'entendre, et fais comme si un aveugle t'enseignait le chemin. Écoute donc un ami, qui peut-être lui-même aurait encore besoin de maître. Cependant examine si mes préceptes sont superflus, et ne sont pas tels que tu puisses utilement te les approprier.

Si tu es l'ami du repos, si tu aimes à prolonger les heures que tu livres au sommeil, si le bruit, si la poussière des chars rapides t'importunent, si la joie des tavernes tumultueuses te fatigue, je te l'ordonne, va chercher le repos à Ferentinum. Car tous les plaisirs ne sont pas le partage des seuls opulents ; crois-moi, il n'a pas mal vécu, celui qui a su cacher sa vie et sa mort. Cependant, si tu cèdes au désir d'augmenter le bonheur des tiens, et si tu veux toi-même ajouter aux délices de la vie, maigre convive, approche qui vit grassement.

Diogène dit à Aristippe : « Si tu savais manger des herbes, tu dédaignerais le commerce des rois. — Si tu savais vivre avec les rois, tu ne mangerais pas d'herbes, » lui répondit Aristippe. Choisis ; de ces deux sentiments lequel approuves-tu ? ou, comme le plus jeune, écoute-moi ; apprends ce qui me fait donner la préférence aux discours d'Aristippe. Sans doute il évitait ainsi la mordante ironie du Cynique : « Si je plaisante, c'est pour mon propre plaisir, et toi, tu grimaces pour le peuple. N'est-il pas plus convenable, plus honorable même, de monter un excellent coursier, et de s'asseoir à la table du prince ? Je suis courtisan, soit ; toi, tu vas, de porte en porte, mendier de vils aliments. Tu te vantes de n'être asservi à aucun besoin, et tu te soumets à celui qui te donne. » Tout convenait à Aristippe, le costume, le temps et les choses. S'il convoitait un plus heureux avenir, il savait jouir du présent avec une âme égale. Au contraire, le Cynique, qui, fier de sa patience, se revêt à peine de deux lambeaux de drap, ne changera point la route de sa vie, ou j'admirerais ce changement. L'un n'attendra pas pour sortir qu'on lui présente un manteau de pourpre: quel que soit l'habit qui le couvre, dans les lieux les plus fréquentés, il se montrera avec le même avantage, sous l'un et l'autre aspect. L'autre, au contraire, évitera avec plus de soin le riche manteau de Milet que le dogue menaçant ou le serpent hideux ; il se laissera mourir de froid, si on ne lui rend ses vieux lambeaux. Rends-les-lui donc, et qu'il garde son délire.

Triompher dans les combats, et traîner aux yeux de ses concitoyens des ennemis captifs, c'est atteindre une gloire divine, et s'élever au trône de Jupiter. Ainsi, n'est-ce donc pas se rendre digne des plus grands éloges que de plaire aux héros ? Mais on le sait: il n'est pas permis à tous les mortels d'arriver à Corinthe. Que celui qui ne croit point y parvenir demeure; d'accord : mais celui qui a triomphé a-t-il agi avec sagesse et courage ? Voici le fait: ce que nous cherchons est là, ou n'est nulle part. Celui-ci croit le fardeau au-dessus de son faible corps et de son âme débile ; celui-là, d'un bras puissant, le soulève et le transporte. Ou la vertu n'est qu'un vain nom, ou l'honneur et la récompense sont dus à l'homme qui marche et parvient à un noble but.

Il faut avec art taire la pauvreté devant le prince ; on obtient plus ainsi qu'à se plaindre sans cesse. Recevoir avec modestie, ou prendre effrontément, la différence est extrême; voilà le principe de tous biens, là en est la source. Crier sans cesse : « Ma sœur n'est point dotée, ma mère est pauvre, mon domaine n'est ni facile à vendre, ni assez productif pour me nourrir, » n'est-ce point crier : « Donnez-moi à manger. » Mais un autre, attiré par ces cris, vient fondre sur l'aumône. « Donnez-moi, donnez-moi, je lui rendrai la moitié de ce pain. » Si le corbeau savait se repaître et se taire, sa proie ne serait pas divisée et disputée par des concurrents envieux.

Celui qui accompagne un grand à Brindes ou aux délices de Surrentum, et qui murmure des entraves du chemin, se plaint de la froidure et de la pluie, ou feint que sa cassette a été enfoncée ou pillée ; celui-là imite les ruses des courtisanes qui pleurent une parure qu’elles n'ont point perdue, un collier qu'on ne leur a pas ravi. Ce stratagème rend incrédule à l'avenir sur leurs véritables pertes, et attire des railleries à leurs douleurs sincères. Un voyageur, trompé une fois pour toutes par les ruses du mendiant qui, dans les carrefours, feint de s'être rompu la jambe, ne va plus secourir le malheureux qui, pleurant et jurant par Osiris, s'écrie : « Je ne vous trompe point, cruels; venez me secourir, je chancelle. » — A d'autres, cherche qui ne te connaît point, » crie d'une voix rauque la populace du voisinage.