Épitres
Traduction par Collectif dont C.-L.-F. Panckoucke.
Texte établi par Charles-Louis-Fleury PanckouckeC.L.F. Panckoucke (2p. 253-257).

ÉPITRE X. A FUSCUS ARISTIUS.

Horace, ami des champs, à Fuscus, ami de la ville, salut. C'est sur ce point seul que nos goûts diffèrent; sur tout le reste nous sommes presque jumeaux. Ce que l'un veut, l'autre le veut aussi ; ce que l'un rejette est également rejeté par l'autre: semblables à deux frères étroitement unis par la conformité de leurs penchants, ou à ces deux vieux pigeons dont vous connaissez l'histoire. Comme l'un d'eux, vous aimez et gardez le nid ; moi, je préfère un ruisseau qui court dans un agréable vallon, la mousse qui couvre les rochers, l'ombre et la solitude des bois. Que voulez-vous ? je jouis de la vie et d'une souveraine indépendance, dès que j'ai quitté tout ce qui vous charme dans la ville, et ce que, par une sorte de concert, vous vantez à l'envi et élevez jusqu'aux nues. Tel que l'esclave d'un prêtre échappé de la maison de son maître, je suis dégoûté des gâteaux. C'est du pain qu'il me faut, et je le préfère à toutes les friandises assaisonnées de miel.

Si notre but, mon cher Fuscus, est de vivre de la manière la plus conforme à la nature; s'il faut, comme pour poser les fondements d'une maison, choisir d'abord un emplacement convenable, en est-il de plus favorable à ce dessein qu'une campagne heureusement située ? en est-il où les hivers soient plus doux, ou de frais zéphyrs tempèrent plus agréablement les ardeurs de la Canicule Page:Horace - Œuvres complètes - Satires, épîtres, art poétique, tome 2, 1832.djvu/254 et les fureurs du Lion irrité par les feux du soleil ? en est-il où les cruels soucis de l'envie troublent moins le repos et le sommeil ? Les fleurs des champs flattent-elles moins la vue et l'odorat que les marbres de vos monuments ? l'eau qui, dans vos rues, s'efforce de rompre les canaux de plomb où elle est emprisonnée, est-elle plus fraîche et plus pure que celle qui suit avec un doux murmure la pente naturelle d'un ruisseau ?

Mais quoi ! à Rome même, vous voulez que des forêts s'élèvent parmi vos colonnes de marbre; vous vantez la situation d'une maison d'où la vue embrasse au loin de vastes campagnes. Tel est l'empire de la nature: vous la chassez avec violence, elle revient, se glisse à travers les injustes dédains que vous lui opposez, et finit par en triompher. Le marchand ignorant qui, trompé par le faux éclat des laines teintes à Aquinum, les confond avec la pourpre de Tyr, ne commet pas une erreur plus fatale, plus contraire à ses vrais intérêts, que l'homme qui ne sait pas discerner le vrai d'avec le faux. Celui qu'enivrent les faveurs de la fortune se laissera abattre par le vent de l'adversité. Si vous vous attachez passionnément à un objet, la perte vous en sera très sensible. Fuyez l'éclat et les grandeurs : on peut, sous un humble toit. mener une vie plus heureuse que les rois et les favoris des rois.

Le cerf, abusant de sa supériorité, chassa, dit-on, le cheval de leurs communs pâturages. Vaincu après un long combat, le cheval implora le secours de l'homme et se soumit au frein. Bientôt vainqueur et triomphant, il chassa à son tour son ennemi; mais sa bouche ne put s'affranchir du mors, ni son dos du cavalier qui l'a subjugué. Ainsi l'homme qui, redoutant la pauvreté, sacrifie Page:Horace - Œuvres complètes - Satires, épîtres, art poétique, tome 2, 1832.djvu/256 sa liberté, plus précieuse que l'or, rampera sous un maître, et sera toujours esclave, pour n'avoir pas su borner ses désirs au simple nécessaire. Une fortune qui, trop grande ou trop petite, n'est pas proportionnée aux besoins de celui qui la possède, est comme une chaussure qui, trop étroite, blesse le pied de son maître, trop large, le fait trébucher. Contentez-vous de votre sort, mon cher Fuscus ; vous serez heureux et sage. Je vous conjure surtout de ne pas m'épargner vos réprimandes, si jamais vous surprenez en moi une avidité qui amasse sans cesse et au delà de mes besoins. L'or est notre tyran ou notre esclave: il faut que la raison, loin de s'en laisser dominer, le domine et en règle l'usage. Telles sont les pensées que je vous adresse, assis auprès du vieux temple de la déesse qui préside au repos et aux loisirs des habitants de la campagne. Là, rien ne manque à mon bonheur, si ce n'est la présence d'un ami tel que vous.