Épîtres (Voltaire)/Épître 1

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 213-214).
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ÉPÎTRE I.


À MONSEIGNEUR[1],
FILS UNIQUE DE LOUIS XIV.


(1706 ou 1707)


Noble sang du plus grand des rois,
Son amour et notre espérance,
Vous qui, sans régner sur la France,
Régnez sur le cœur des François[2],
Pourrez-vous souffrir que ma veine[3],
Par un effort ambitieux,
Ose vous donner une étrenne,
Vous qui n’en recevez que de la main des dieux ?
La nature en vous faisant naître[4]

Vous étrenna de ses plus doux attraits,
Et fit voir dans vos premiers traits
Que le fils de Louis était digne de l’être.
Tous les dieux à l’envi vous firent leurs présents :
Mars vous donna la force et le courage ;
Minerve, dès vos jeunes ans,
Ajouta la sagesse au feu bouillant de l’âge ;
L’immortel Apollon vous donna la beauté :
Mais un dieu plus puissant, que j’implore en mes peines,
Voulut aussi me donner mes étrennes,
En vous donnant la libéralité.



  1. Ces vers furent présentés à ce prince par un soldat des Invalides : l’auteur avait environ douze ans lorsqu’il les fit. (K.)
  2. On rimait alors pour les yeux : M. de Voltaire suivait en cela l’exemple des poëtes du siècle de Louis XIV ; mais il ne tarda pas à s’apercevoir que la rime était faite pour l’oreille : il entreprit le premier d’accorder l’orthographe avec la prononciation, et fit voir le ridicule d’écrire le peuple françois, comme saint François. Plusieurs écrivains ont senti la justesse de ses observations, et ont adopté son système. (K.)
  3. Variante :
    Souffrez-vous que ma vieille veine.
  4. Variante :
    On a dit qu’à votre naissance
    Mars vous donna la vaillance,
    Minerve la sagesse, Apollon la beauté
    Mais un dieu plus puissant, etc.