Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de L’Honorable Philippe-Auguste Choquette, membre du Sénat du Canada

Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de L’Honorable Philippe-Auguste Choquette, membre du Sénat du Canada
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Témoignage de L’Honorable Philippe-Auguste Choquette, membre du Sénat du Canada[1]


L’Hon. P. A. Choquette.

L’Honorable P. A. CHOQUETTE, de la cité de Québec, Membre du Sénat du Canada, étant dûment assermenté sur les Saints Évangiles, dépose ainsi qu’il suit :


INTERROGÉ par le Coroner : —


Q. Vous avez eu connaissance, M. Choquette, samedi soir, le trente mars, du commencement d’une émeute qui a eu lieu presque en face de votre résidence, je crois,… en face du Drill Shed?


R. Oui, Monsieur.


Q. Avez vous eu connaissance qu’à un moment donné, l’Acte d’Émeute a été lu ?


R. Oui, Monsieur.


Q. Vous avez craint pour vos concitoyens, pour la foule qu’il y avait là ?


R. Oui, beaucoup.


Q. Vous avez craint qu’on tire dessus ?


R. Beaucoup.


Q. Avez vous fait une tentative pour empêcher la chose d’être mise à exécution ?


R. Oui.


Q. Quel a été le résultat ?


R. Bien, vers neuf heures, je crois, j’étais chez moi, j’entendis du bruit, des cris, et quelqu’un est arrivé chez moi,… un de mes fils, en disant… que la foule montait de la rue St. Jean. Il y avait beaucoup de soldats en face du Drill Shed et qu’il y avait de la cavalerie en avant. J’ignorais absolûment ce qui en était. Je suis sorti ; et, en effet, sur la rue Conroy, tout à fait au coin de la Grande-Allée, les soldats se trouvaient devant une foule assez considérable de jeunes gens,… même il y avait des femmes et des enfants,… je n’ai connu personne dans la foule très-tumultueuse. Ils montaient et ils criaient excités et je n’ai vû aucune personne armée. J’ai suivi la foule pour voir ce qui en était. Et, en arrivant, j’ai vû un Officier que je n’ai pas connu,… on m’a dit que c’était le Colonel Girouard,… à la tête d’un peloton d’une quarantaine de soldats, il dit : « Je vais lire le Riot Act. » En effet, il a lu le Riot Act, en français, et de suite après, avec ses soldats, il a été de l’autre côté de la rue Conroy quand il est arrivé une quarantaine d’autres soldats commandés encore par un Officier. La foule débordait de tous côtés, dans la rue d’Artigny, Conroy, ces rues-là, enfin, St. Augustin,… alors, cet officier-là, que je connais pas non plus, a commandé à ses soldats : « Fix Bayonets ». — En effet, ils ont fait le mouvement, et d’autres commandements qu’ils ont exécutés, cela m’a surpris un peu, et là, il a adressé à ses troupes ou au public, un langage absolûment inconvenant, disant à ses hommes ou aux gens qu’il y avait à l’entour : « Now, you God dam sons of bitches, you are going to do your duty.  » Immédiatement, quelqu’un qui était contre moi, un homme assez âgé, lui a crié en anglais : « Why do you insult the public or the soldiers like that ? » Je lui ai mis la main sur l’épaule et je lui ai dit : « Ne dites rien, je vais aller voir. » J’étais convaincu qu’il était pour tirer dans la foule. J’ai été à lui, et je l’ai pris par le bras et j’ai dit : « Now, my friend, you are not going to do that. I am a Police Magistrate, come with me and we will talk to the crowd. » Il a été très-gentil, il dit : « I will go with you.…  »


Q. Était-ce Girouard ?


R. Non, Girouard était rendu dans la Côte avec un peloton d’hommes. Je n’ai connu ni l’Officier, ni les soldats. Les soldats se sont très-bien conduits, ils n’ont pas dit un mot, et l’autre groupe de soldats n’a pas dit un mot non plus. Alors, il a dit à ses hommes : « Suivez-nous. » Les hommes sont partis en arrière, avec le fusil en mains et la baïonnette et ils nous ont suivis. Je le tenais par le bras. Je dis à la foule : « Écoutez, mes amis, c’est inutile de rester ici, à crier, vous allez vous faire tuer. » Quelqu’un a dit : « Ils ne tireront pas. » Je dis : « Je vous dis qu’ils vont tirer et que vous avez tort de rester ici, et vous faites mieux de vous en aller. » La-dessus, un Anglais est arrivé en disant en anglais : « Sommes-nous en Prusse qu’on ne peut pas sortir dans les rues ? » J’ai dit : « Mon ami, ce n’est pas la question, vous devez vous en aller. » Il y avait des gens qui suivaient,… je ne connaissais personne. Je n’avais pas peur mais, enfin, j’avais peur qu’il y ait du brouhaha. Personne ne disait rien. Ça criait un petit peu. Heureusement qu’il y avait une couple de jeunes gens qui me connaissaient. Ils sont venus en avant et ils ont dit : « C’est M. Choquette, c’est un de nos amis, il est contre la conscription, on va l’écouter. » — ajoutant : « On est pas armé ce soir, mais on reviendra, allons-nous-en. » Tout de même, on poussait la foule qui s’en allait. Comme je me retournais, pour passer la foule, j’ai vû des soldats passant à course de cheval sur le trottoir, comme des cow-boys qui passent au travers un troupeau d’animaux. Cela a remonté la foule. Les gens étaient très-excités. J’ai dit à l’Officier qui était avec moi : « Why don’t you tell them to stop. Be quiet, the crowd is going away. » Alors, les soldats à cheval ont passé par le rue St. Amable, dans la foule, où nous étions après parler aux gens. Quelqu’un a crié : « Venez- vous-en donc, vous allez vous faire faire mal. » « J’ai dit : « Nous allons réussir, ne crains pas. » Alors nous avons parlementé pendant vingt cinq minutes ou une demi heure. Je passais parmi les gens et je leur disais : Allez-vous en donc. J’ai rencontré même un employé public, un anglais — ce n’est pas nécessaire de le nommer ici — avec sa femme. Je lui ai dit : Mon ami donnez donc l’exemple, allez-vous en donc chez vous. Au bout d’un quart d’heure ou vingt minutes tout le monde était dispersé et la troupe de cavalerie a cessé de passer. Les soldats sont partis et ils sont descendus du côté du Parlement.


Q. Ils n’ont pas tiré ?


R. Non. Je dois dire à la louange des soldats que pas un n’a dit un mot à part l’expression que j’ai rapportée qui m’a légèrement blessé et que j’ai trouvé déplacée. — À part çà les soldats n’ont pas dit un mot. Lee officiers étaient très gentils. Ils ont été avec moi et ils ont fait le plus possible, mais les troupes nous suivaient l’épée dans les reins. Au bout d’une demi heure, la rue Conroy, la rue St. Amable, la rue St. Augustin, tout était absolument paisible.


Q. Combien pouvait-il y avoir de personnes dans la foule au meilleur de votre connaissance à peu près ?


R. Dans tout et partout il devait y avoir pas loin de Sept à huit cents personnes au moins. Enfin toutes les rues étaient pleines, et il en venait encore par en arrière, qui entouraient les soldats. Pas un homme n’a dit un mot, personne n’a rien lancé excepté dans la rue St. Amable — un jeune homme s’est baissé pour ramasser un morceau de glace pour envoyer à leur Cavalerie qui passait. Je lui ai dit : Ne faites pas ça et il ne l’a pas envoyé. De sorte que il n’y a pas eu une vitre de brisée même.

INTERROGÉ par le Major Barclay.


Q. Après les évènements de jeudi et de vendredi M. le Sénateur pourquoi avez-vous pensé que cette foule était bien paisible le samedi soir ?


R. Paisible…… bien je veux dire qu’ils sont arrivés un peu en criant.


Q. Auriez-vous jamais cru que les gens de Québec auraient saccagé deux bureaux de Journaux et l’Auditorium


R. J’ai été bien surpris et bien peiné de la chose.


Q. Auriez-vous jamais cru qu’ils auraient attaqué le Poste No 3 pour malmener des agents de police fédéraux ?


R. Non pas du tout. J’ai vu ça dans les journaux le lendemain matin mais ça s’explique facilement, ces petites exaltations là, de la manière dont les choses étaient faites.


Q. Samedi, on aurait pu s’attendre à n’importe quoi de cette foule là ?


R. Ça c’est différent. Je rapporte ce qui c’est passé. — je n’ai eu connaissance de rien.


Q. D’après les évènements des deux jours précédents, c’était tout à fait naturel de croire n’est-ce-pas que s’il y avait une foule comme ça il y aurait une répétition d’une même scène ?


R. C’est une question d’opinion.


Q. Il n’y a pas de mal à prendre ses précautions ?


R. D’une manière raisonnable, ça c’est sûr, mais je crois que le police aurait amplement suffi.


Q. Elle aurait manqué les jours avant et elle aurait suffi ces jours là ?


R.…


M. Monaghan. — Combien de personnes sont venues devant comme magistrats de police pour port d’armes illégale ?


R. Aucun ! Je n’étais pas ici, j’étais absent.


Q. Pourquoi avez-vous préféré laisser ça là à votre collègue ?


R. Comme la question pouvait se présenter devant le Sénat, je préférais n’avoir rien à faire avec ça, et vu que le Juge Langelier était en parfaite santé et qu’il était ici — lorsqu’il est ici, généralement je ne siège pas à moins qu’il me le demande.


Q. Était-ce parce que vous aviez un peu de sympathie avec les émeutiers ?


R. Je n’ai pas de sympathie avec les émeutiers mais j’ai beaucoup de sympathie avec le population de Québec. Je connais assez le peuple de Québec pour dire que lorsqu’il est bien traité il rend deux fois le traitement qui lui est accordé. La meilleure preuve c’est que samedi soir, du moment qu’on a convaincu ces gens là qu’il valait mieux se tenir tranquille et que les soldats se sont bien conduits, comme je l’ai dit tout à l’heure à leur louange, sans aucune provocation l’exception de ces paroles déplacées que le militaire a dit je crois à ces soldats plutôt qu’au public, tout s’est passé paisiblement et nous n’avons rien eu à regretter et je suis porté à croire que si la même chose avait eu lieu ailleurs nous aurions eu le même résultat.

INTERROGÉ par Mtre. Lavergne.


Q. Avez-vous vu des gens frappés par des chevaux ?


R. Un cheval a failli me jeter à terre moi-même. Un homme est tombé dans la rue St. Amable pendant que les chevaux passaient mais je ne suis pas capable de dire si c’est le cheval qui l’a frappé.


Je sais que l’homme a tombé, et quelqu’un est allé à son secours. Il n’a pas été blessé.

INTERROGÉ par le Major Barclay.


Q. Est-il à votre connaissance qu’il y a plusieurs chevaux qui ont été coupés avec des couteaux et qu’il y en a eu deux de morts ?


R. Pas ce soir là. Je n’ai vu personne se plaindre qu’il y avait eu des chevaux de blessés…


Q. Est-ce qu’il n’y a pas eu des chevaux qui ont été coupés au ventre avec des couteaux ?


R. Je ne l’ai pas entendu dire.


Et le témoin ne dit rien de plus.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.