La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 74-78).


XIII


Très affligé des nouvelles reçues, M. Filippo Filicchi écrivait de Livourne à Mme Seton :

« Quand vous nous avez quittés, aucun doute ne demeurait dans votre esprit. Quelle imprudence d’avoir soumis votre détermination à la censure de ceux qui ne pouvaient évidemment manquer de la combattre ni d’introduire le trouble et l’inquiétude dans votre conscience ! L’agitation et l’angoisse se sont emparées de votre esprit ; votre cœur est devenu pusillanime, vos résolutions se sont évanouies, votre raison s’est couverte de nuages, votre entendement s’est rempli d’obscurité. »

Et, après avoir répondu point par point aux difficultés soulevées par M. Hobart et les théologiens protestants, ramenant la question au point capital, il ajoutait :


« Retenez bien l’argument que voici, et cessez de fatiguer votre esprit par des controverses :

« Tous les chrétiens savent que Jésus-Christ a établi une Église, et qu’il sera avec elle jusqu’à la consommation des siècles. Saint Paul appelle cette Église la ferme colonne de la vérité.

« Il faut qu’il y ait une Église véritable, laquelle doit être aussi ancienne que le christianisme lui-même.

« Tous nos efforts doivent avoir pour objet de chercher quelle est l’Église véritable parmi les sociétés chrétiennes qui réclament ce privilège. Lorsque nous avons trouvé cette église, nous n’avons plus besoin d’une plus longue étude. Croyons ce qu’elle nous enseigne, puisque la vraie Église ne peut errer.

« Un tel privilège ne saurait être revendiqué par des institutions nouvelles. Que si, pour s’en prévaloir, elles veulent fonder leur droit sur la succession d’une autre Église, voici à quel argument elles ont à répondre : L’Église dont vous procédez était dans la vérité ou dans l’erreur. Si elle était dans la vérité, vous avez eu tort de changer sa doctrine ; si elle était dans l’erreur, vous-mêmes êtes dans l’erreur. Succession légitime et innovation, sont choses qui se contredisent. L’étude de la religion ne saurait être difficile. Il faut qu’elle soit à la portée de l’entendement de chacun. Les controverses ne produisent pas de bien.

« Ceux de votre clergé s’efforceront toujours de détourner votre attention des principes que je viens d’exposer, et chercheront à vous entraîner dans un labyrinthe de controverses. S’ils réussissent à porter la confusion dans votre esprit, ils auront gagné la bataille. Vous ne serez plus protestante ; mais du moins vous ne serez pas catholique. »

Cependant la lutte se continuait dans l’âme d’Élisabeth. Le 19 décembre 1804, elle écrivait à Mme Antonio Filicchi :


« Le croiriez-vous, Amabilia ? dans le désespoir de mon cœur, je suis allée dimanche dernier à l’église de Saint-Georges. Une église anglicane. L’angoisse qui me torturait était si pressante, que je me suis adressée droit à Dieu, et je lui ai dit : « Puisque je ne puis découvrir la voie qui vous plaît davantage, à vous, à qui seul je désire plaire, tout au monde m’est indifférent. Jusqu’à ce que vous m’ayez montré la voie dans laquelle vous voulez que je marche, je continuerai à me traîner dans le sentier où vous avez permis que je sois née ; et même j’irai de nouveau au sacrement où j’avais coutume de vous trouver autrefois. » — J’y allai en effet ; et ma bonne vieille Mary se trouva bien heureuse quand je lui demandai de veiller sur mes enfants à ma place jusqu’à mon retour. Mais si je quittai la maison protestante, j’y revins catholique, à ce que je crois, puisque j’y revins avec la résolution de ne plus retourner chez les protestants, m’étant sentie infiniment plus troublée que je n’aurais jamais imaginé pouvoir l’être. Je l’avais été à un tel point, qu’inclinant mon cœur devant l’évêque pour recevoir son absolution, qu’il donne publiquement, et à tous ceux qui sont présents dans l’église, je n’avais pas senti la moindre foi en ses prières. J’aurais préféré cent fois entendre la formule apostolique pour la rémission de mes péchés ; cette formule dont ils ne veulent plus, et même qu’ils repoussent, à ce que je vois, d’après les livres de M. Hobart.


« J’allai tremblante à la communion, à demi-morte de ma lutte intérieure. Lorsque j’entendis ces mots : Le corps et le sang du Christ ! oh ! Amabilia, il n’y a point de paroles pour dire le supplice où je fus ! Je me souvins que dans les éditions précédentes de mon livre de prières, du temps que j’étais enfant, on n’enseignait pas comme aujourd’hui, qu’on reçoit le sacrement spirituellement… Revenue chez moi, je ne pus supporter, pour la première fois de ma vie, les douces caresses de mes enfants chéris. »


Ces tortures d’esprit avaient usé les forces de Mme Seton ; elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, un squelette, disait-elle.

L’espérance l’avait abandonnée ; et, ne croyant pas possible d’arriver à la lumière, elle prit la triste résolution de cesser toute recherche, toute étude religieuse, et de ne plus s’attacher jusqu’à sa mort à aucune religion.

Quelques jours plus tard, Mme Seton se trouvait seule un soir, à son foyer.

C’était le 6 janvier. Chez les protestants, l’Épiphanie est une grande fête ; et, amèrement désolée, Élisabeth sondait le vide affreux que l’absence de tout culte avait fait dans sa vie.

Longtemps elle resta ainsi, se demandant ce qu’elle allait devenir, comment elle pourrait supporter l’existence.

Un volume de Bourdaloue se trouvait à portée de sa main. Par un retour presque machinal aux pieuses habitudes du passé, elle le prit et l’ouvrit précisément au sermon de l’Épiphanie, au passage admirable où l’orateur retrace l’épreuve qui fut imposée aux Mages, par la disparition de l’étoile.

Elle lut ces pages qui semblaient écrites pour elle ; et le conseil de s’adresser aux prêtres que Bourdaloue donne à ceux qui ont perdu la foi l’impressionna comme un ordre venu d’en haut. Sur l’heure, elle écrivit à l’abbé de Cheverus dont elle avait souvent entendu parler et qui était alors à Boston. « Si M. de Cheverus n’eût écouté que l’inspiration de son zèle, il serait parti à l’instant pour New-York, » dit l’historien de sa vie. N’osant risquer cette démarche, il invita Mme Seton à lui soumettre par écrit ses difficultés. Elle le fit : et les réponses du proscrit apôtre dissipèrent ses doutes.

L’Église catholique, « toujours attaquée, jamais vaincue, » lui apparut dans sa grandeur, dans sa majesté, avec ses caractères d’unité, d’autorité et d’infaillibilité. La conviction se fit dans son esprit, et le 15 février 1805, elle écrivait à Mme Antonio Filicchi :

… Ils me disent maintenant de prendre garde ; que je suis mère, et que je répondrai de mes enfants au jugement de Dieu. Je le sais : et de plus, j’ai été bien avertie par M. Hobart des conséquences que leur religion aura pour eux et pour moi, au point de vue des intérêts de ce monde. N’importe ce qu’il en sera, j’irai maintenant avec calme et fermeté à l’Église catholique ; car si la foi importe tant à notre salut, je veux chercher la vraie foi à la source d’où elle est sortie ; je la veux chercher parmi ceux qui l’ont revue de Dieu lui-même…

« Venez donc, mes petits enfants, suivez-moi. Nous irons ensemble au jugement. Nous présenterons à Notre-Seigneur ses propres paroles ; et s’il nous dit : « Insensés, vous n’avez pas compris ce que je vous ai dit ! » nous lui répondrons : « Seigneur, puisque vous avez dit que vous seriez toujours, et jusqu’à la fin des siècles, avec cette Église que vous avez cimentée de votre sang précieux ; si depuis vous l’aviez abandonnée, ce serait donc votre parole qui nous aurait égarés. »