Élégies et Sonnets/D’un tel vouloir le serf point ne désire

II


D’vn tel vouloir le serf point ne désire
La liberté, ou son port le nauire,
Comme i’attens, helas, de iour en iour
De toy, Ami, le gracieus retour.
La, i’auois mis le but de ma douleur,
Qui fineroit, quand i’aurois ce bon heur
De te reuoir : mais de la longue atente,
Helas, en vain mon désir se lamente.
Cruel, Cruel, qui te faisoit promettre
Ton brief retour en ta premiere lettre ?
As tu si peu de memoire de moy,
Que de m’auoir si tot rompu la foy ?

Comme ose tu ainsi abuser celle
Qui de tout tems t’a esté si fidelle ?
Or que tu es aupres de ce riuage
Du Pau cornu, peut estre ton courage
S’est embrasé d’une nouuelle flame,
En me changeant pour prendre une autre Dame :
Ià en oubli inconstamment est mise
La loyauté, que tu m’auois promise.
S’il est ainsi, et que desia la foy
Et la bonté se retirent de toy :
Il ne me faut emerueiller si ores
Toute pitié tu as perdu encores.
Ô combien ha de pensee et de creinte,
Tout à par soy, l’ame d’Amour esteinte !
Ores ie croy, vù notre amour passee,
Qu’impossible est, que tu m’aies laissee :
Et de nouuel ta foy ie me fiance,
Et plus qu’humeine estime ta constance.
Tu es, peut estre, en chemin inconnu
Outre ton gré malade retenu.
Ie croy que non : car tant suis coutumiere
De faire aus Dieus pour ta santé priere,

Que plus cruels que tigres ils seroient,
Quand maladie ils te prochasseroient :
Bien que ta fole et volage inconstance
Meriteroit auoir quelque soufrance.
Telle est mo foy, qu’elle pourra sufire
À te garder d’auoir mal et martire.
Celui qui tient au haut Ciel son Empire
Ne me sauroit, ce me semble, desdire :
Mais quand mes pleurs et larmes entendroit
Pour toy prians, son ire il retiendroit.
I’ay de tout tems vescu en son seruice,
Sans me sentir coulpable d’autre vice
Que de t’auoir bien souuent en son lieu
D’amour forcé, adoré comme Dieu.
Desia deus fois depuis le promis terme
De ton retour, Phebe ses cornes ferme,
Sans que de bonne ou mauuaise fortune
De toy, Ami, i’aye nouuelle aucune.
Si toutefois, pour estre enamouré
En autre lieu, tu as tant demeuré,
Si s’ay ie bien que t’amie nouuelle
À peine aura le renom d’estre telle,

Soit en beauté, vertu, grace et faconde,
Comme plusieurs gens sauuans par le monde
M’ont fait à tort, ce croy ie, estre estimee.
Mais qui pourra garder la renommee ?
Non seulement en France suis flatee,
Et beaucoup plus, que ne veus, exaltee.
La terre aussi que Calpe et Pyrenee
Auec la mer tiennent enuironnee,
Du large Rhin les roulantes areines,
Le beau païs auquel or’ te promeines,
Ont entendu (tu me l’as fait à croire)
Que gens d’esprit me donnent quelque gloire.
Goute le bien que tant d’hommes desirent :
Demeure au but ou tant d’autres aspirent :
Et croy qu’ailleurs n’en auras une telle.
Ie ne dy pas qu’elle ne soit plus belle :
Mais que iamais femme ne t’aymera,
Ne plus que moy d’honneur te portera.
Maints grans Signeurs à mon amour pretendent,
Et à me plaire et seruir prets se rendent,
Ioutes et ieus, maintes belles deuises
En ma faueur sont par eux entreprises :

Et neanmoins tant peu ie m’en soucie,
Que seulement ne les en remercie :
Tu es tout seul, tout mon mal et mon bien :
Avec toy tout, et sans toy ie n’ay rien :
Et n’ayant rien qui plaise à ma pensee,
De tout plaisir me treuue delaissee,
Et pour plaisir, ennui saisir me vient.
Le regretter et plorer me conuient,
Et sur ce point entre en tel desconfort,
Que mile fois ie souhaite la mort.
Ainsi, Ami, ton absence lointeine
Depuis deus mois me tient en cette peine.
Ne viuant pas, mais mourant d’un Amour
Lequel m’occit dix mile fois le iour.
Reuien donq tot, si tu as quelque enuie
De me reuoir encor’ un coup en vie.
Et si la mort auant ton arriuee
Ha de mon corps l’aymante ame priuee.
Au moins un iour vien, habillé de deuil,
Enuironner le tour de mon cercueil.
Que plust à Dieu que lors fussent trouuez
Ces quatre vers en blanc marbre engrauez.

Par toy, Amy, tant vesqvi enflamee
Qv’en langvissant par fev svis consvmmee,
Qvi covve encor sovs ma cendre embrazee,
Si ne la rends de tes plevrs apaizee.