Élégies/Élégie dix-septième

Le Deuil des primevères : 1898-1900Mercure de France (p. 83-85).

ÉLÉGIE DIX-SEPTIÈME


À Madame Eugène Rouart.


Il a plu. La terre fraîche est contente. Tout luit.
Une goutte d’eau pèse et pend à chaque rose,
mais il va faire chaud, et, cet après-midi,
le soleil bourdonnant fendra la terre rousse.
Le ciel brumeux se troue de bleus comme de l’eau
d’où des raies en travers tombent sur le coteau.
La taupe lisse, aux ongles forts, a rebouché
ses gîtes racineux qui pèlent la pelouse.

La limace argentée a traversé la route,
la fougère trempée est lourdement penchée,
et les ronces ont plu au cou des jeunes filles…

Car elles sont parties, les jeunes filles, vers
ce qu’il y a de mouillé, de tremblant et de vert.
L’une avait son crochet, l’autre la bouche vive,
l’autre avait un vieux livre et l’autre des cerises,
l’autre avait oublié de faire sa prière.

— Lucie, regarde donc toutes ces taupinières ?
— Oh ! Que cette limace est laide. Écrase-la.
— Oh ! Horreur ! Je te dis que non… Je ne veux pas.
— Écoute, le coucou chante ?

Elles sont allées
jusqu’au haut du chemin qui entre dans la lande,
Leurs robes s’écartaient et puis se rapprochaient.
Les silences de leurs voix claires s’entendaient.
Une pie rayait longuement le ciel. Un geai
jacassait poursuivant un geai sur un noir chêne.

Ainsi qu’un éventail les robes s’écartèrent
encore, en ondulant, au soleil du sommet.
Elles ont disparu. Je m’en suis attristé.
Et, me sentant vieilli, j’ai pris dans le fossé,
je ne sais pas pourquoi, une tige de menthe.