École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Paveur


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. Gravure-116).

Le Paveur.


LE PAVEUR.





La profession de paveur est connue de tout homme qui a passé quelque temps dans une grande ville. Les outils employés pour ce travail sont en très-petit nombre ; ils consistent dans une pioche pour creuser la terre à une profondeur susceptible de recevoir le pavé ; une grosse massue de bois appelée demoiselle, ferrée à son extrémité inférieure, et semblable à celle que l’homme représenté dans la vignette tient dans sa main ; un balai de bouleau avec lequel il fait entrer le sable dans les joints qui existent entre les pierres.

L’utilité de cette profession sera facile à sentir si l’on considère qu’avant l’usage de paver Holborn, qui était une des rues principales de Londres, était tellement sale et remplie de boue qu’on était exposé à toutes sortes de dangers et de hasards, et que les voitures du roi y couraient autant de risques que celles de ses propres sujets. Les autres rues passent aussi pour avoir été fort malpropres, pleines d’ornières et de trous, et aussi incommodes pour les gens de pied que pour les gens à cheval. C’est à raison de ces inconvéniens que Henri V consacra deux navires du port de vingt tonneaux chacun à apporter des pierres pour paver les rues. Il paraît que c’est depuis cette époque que Londres a été pavé, par degrés et à mesure que ses différens quartiers devinrent plus peuplés. Smithfield n’a été pavé qu’en 1614.

Paris a été pavé à une époque bien antérieure. Philippe-Auguste, étant un jour à l’une des croisées de son palais, observa que la boue dont les passans étaient éclaboussés par les voitures jetait une odeur fétide ; il résolut en conséquence de remédier à ce désagrément en faisant paver les rues de la capitale ; il en donna l’ordre dans l’année 1184, et à cette occasion la ville, qui à raison de sa malpropreté portait le nom de Lutetia, de Lutum, mot latin qui signifie boue, bourbe, fange, limon, prit celui de Paris. Les pierres dont on se sert pour paver les chaussées des rues de Londres viennent principalement d’Écosse ou des îles de Jersey et de Guernesey : la première de ces îles fournit du grès d’une couleur rougeâtre ; les pierres que l’on tire de la seconde sont prises sur les côtes de la mer, et sont peut-être l’espèce la plus dure qui existe.

À Venise le pavé est de briques ; en France de grès ; à Amsterdam la chaussée est de silex, et les trottoirs de briques.

Si l’on en croit Isidore, les Carthaginois ont été les premiers qui aient pavé leurs villes ; ensuite, à leur imitation, Appius Claudius Cæcus fit paver la ville de Rome cent quatre-vingt-huit ans après l’exclusion des Tarquins ; c’est ce qu’on nommait la voie Appienne.

Les Romains avaient deux manières différentes de paver ; ils avaient des chemins pavés de pierres ; d’autres étaient cimentés de sable et de terre-glaise. Ces pavés formaient trois rangs ; celui du milieu servait aux gens de pied ; il formait le dos d’âne et était un peu plus élevé que les deux autres ; les pavés en étaient taillés à pans incertains : les autres rangs étaient couverts de sable mêlé avec de la terre, sur lesquels les chevaux marchaient. Les Romains avaient des chemins bordés par intervalles de grosses bornes dressées à une hauteur commode pour monter à cheval, parce que les anciens n’avaient pas d’étriers, ce que l’on aurait peine à croire si tous leurs ouvrages n’en offraient la preuve.

Il existe en Irlande une espèce de merveille appelée le pavé des géans ; c’est un assemblage de colonnes prismatiques ; il forme un triangle équilatéral.

Les outils nécessaires aux paveurs de grand échantillon sont une pelle, une pince, plusieurs marteaux, entre autres un marteau à refendre, un autre à fouiller la terre, un niveau, et la demoiselle dont nous avons parlé ; ce dernier instrument, au lieu d’avoir deux anses ou deux bras comme en France, a une espèce de bras de levier au tiers de sa hauteur, à compter du haut, et une espèce de poignée à son sommet : nous laissons à la mécanique à juger si cette construction est la plus favorable aux efforts du paveur ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle l’oblige moins à plier le corps.

La profession, les outils et les matériaux du paveur ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes : on dit figurément et proverbialement d’un homme qui mange extrêmement chaud qu’il a le gosier pavé ; on dit encore qu’un homme est sur le pavé pour faire entendre qu’il ne sait pas où se loger ; on dit figurément tenir le haut du pavé pour dire tenir le premier rang, être le plus considéré en quelque endroit ; il tient le haut du pavé en ce pays-là. Tâter le pavé, au figuré, signifie agir avec circonspection ; proverbialement et figurément, pour dire qu’il y a une grande abondance d’une certaine sorte de choses dans une grande ville, ou une grande multitude d’une certaine sorte de gens, on dit que les rues en sont pavées.