École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Chandelier


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. Gravure-27).

Le Chandelier.


LE CHANDELIER.





Le chandelier, ou fabricant de chandelles, mène un commerce fort étendu dans toutes les contrées du monde civilisé.

Une chandelle consiste dans une mèche de coton couverte de suif et allumée par son extrémité supérieure ; elle sert à éclairer en l’absence du soleil.

Les chandelles doivent être faites de parties égales de graisse de bœuf et de graisse de mouton ; elles sont de deux espèces, l’une moulée, et l’autre plongée ou à la baguette.

Le coton dont on se sert pour les chandelles plongées se tire de Smyrne en balles ; il croît sur les arbres, où il se trouve renfermé dans une gousse ; on le carde et on le file. Le coton pour les chandelles moulées vient de Turquie et des contrées adjacentes ; on lui fait faire la quarantaine avant qu’il arrive en France ou en Angleterre.

Le chandelier se sert de femmes pour dévider le coton en pelottes ; il tire un fil de chacune de ces pelottes, le coupe dans la longueur convenable, qui lui est indiquée par celle des chandelles.

L’ouvrier emploie un escabel et un couteau à mèche : on nomme cet appareil banc à couper les mèches ; il a deux madriers montans retenus par une traverse ; il y a sur ce banc une lame de rasoir et une tige de canne placées dans une situation perpendiculaire à une certaine distance l’une de l’autre, suivant la longueur du coton. Le coton se dirige autour de la broche ou canne vers le couteau, et est aussitôt séparé des pelottes par son tranchant.

L’opération qui suit celle-ci est celle d’effilocher le coton, ce qui se fait en unissant le fil et en enlevant tous les nœuds. On transporte ces mèches sur de longues baguettes appelées broches ; elles ont un peu plus de trois pieds de long.

La profession de chandelier s’exerce à Londres dans un sellier, dont nous avons la représentation par la vignette ci-contre, ainsi que de l’escalier qui y conduit.

Le suif se fond dans une large chaudière ; quand il est bien écumé et raffiné on le transvase dans un vaisseau appelé moule ou abîme, dans lequel on plonge les mèches. L’ouvrier tient entre ses doigts les broches sur lesquelles les mèches sont repliées, et les plonge dans le moule ; elles sont ensuite suspendues sur un châssis, où elles restent jusqu’à ce qu’elles soient refroidies et durcies ; pendant ce temps-là il en plonge d’autres. Lorsqu’elles sont suffisamment refroidies les unes et les autres on les plonge une seconde et une troisième fois, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elles aient la grosseur convenable.

Il faut remuer pendant cette opération le suif de temps à autre, et fournir le moule ou abîme d’une nouvelle quantité de suif que l’on tient à une chaleur convenable par le moyen du feu qu’on met dessous.

Tel était le procédé long et pénible universellement adopté pour faire des chandelles lorsque, il y a environ vingt ans, on inventa à Londres une nouvelle méthode représentée dans la vignette, et que l’on peut décrire ainsi :

Trois poulies sont disposées dans l’intérieur d’une solive ; sur ces poulies roulent des cordes d’une grosseur convenable ; elles sont fixées à un châssis sur lequel sont placées les broches. Il y a dans la balance des poids suffisans pour remonter les broches ; on augmente la valeur des poids à mesure que les chandelles deviennent plus grosses et plus pesantes. L’ouvrier, au moyen de cette invention très-simple et très-bien imaginée, n’a qu’à s’occuper de guider les chandelles, et n’a pas à supporter entre ses doigts la pesanteur des broches.

Au coin à gauche de la vignette sont les moules dans lesquels se fondent les chandelles moulées ; le support en est de bois, et les différens moules qu’il contient sont des cylindres d’étain creux du diamètre et de la longueur dont on a besoin pour les chandelles. À l’extrémité de ces moules est un rétrécissement en cône qui forme en dedans une doucine. Cette partie, qui n’est pas séparée de la tige, se nomme collet ; elle est percée à son sommet d’un trou assez grand pour que la mèche puisse y passer. Le coton est introduit dans le moule par un fil de fer qui le traverse, et doit passer le collet avec un peu de force ; l’autre bout de la mèche est attaché de manière à la tenir dans une situation perpendiculaire et au milieu de la chandelle ; on remplit alors les moules de suif chaud, et on les laisse refroidir avant d’en retirer les chandelles. Indépendamment de ces chandelles, il en est d’autres destinées à brûler pendant la nuit sans qu’on soit obligé de les moucher : la mèche en était faite autrefois de roseau fendu ; mais depuis quelque temps on se sert de petites mèches de coton qui sont moins sujettes à s’éteindre, et qui, à raison de la petitesse du lumignon, n’ont pas besoin d’être mouchées.

La profession de chandelier renferme celle de fondre le suif, ce qui se fait en coupant par petits morceaux le suif à mesure qu’on le retire du bœuf ou de la brebis, et en le faisant bouillir pendant quelque temps dans une grande chaudière. Quand on en a extrait la graisse par le feu, le résidu est soumis à l’action d’une forte presse en fer, et le marc qui reste quand le suif est exprimé se nomme pain de creton ; on en nourrit les chiens, et la plus grande partie des canards que l’on élève dans la vallée d’Aylesbury et qui fournissent les marchés de Londres est engraissée avec du pain de creton : on en donne aussi quelquefois aux bœufs et aux cochons ; mais il s’en faut de beaucoup que cette nourriture donne un bon goût à la chair de ces animaux.

Il s’importe tous les ans, en temps de paix, de grandes quantités de suif de la Russie en Angleterre. Ce suif est renfermé dans des barils semblables à celui que l’on voit dans le coin de la vignette ; on en fait du savon et des chandelles d’une qualité inférieure.

Le prix des chandelles était autrefois réglé à Londres par le maître et les gardiens de la communauté des chandeliers, qui se réunissaient à cet effet tous les mois à leur salle d’assemblée, le premier de chaque mois ; mais maintenant le prix de tous les articles qui concernent cette profession est fixé toutes les semaines aux marchés. Les mots chandelier et chandelle ont donné, dans toutes leurs acceptions, lieu à différentes expressions figurées et proverbiales.

On dit, en termes de l’Écriture, qu’il ne faut pas mettre la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire toute la maison ; être placé sur le chandelier signifie occuper une place éminente, principalement dans l’église ; on dit vulgairement et proverbialement, par allusion aux ailes d’un papillon qui se brûle à la chandelle, qu’un homme vient se brûler à la chandelle, pour dire qu’il se confie à ceux dont il devrait se défier, qu’il cherche un asile dans le lieu où il y a le plus de danger pour lui ; d’un homme qui se ménage entre deux partis opposés, qu’il donne une chandelle à Dieu et l’autre au diable ; de celui qui est échappé d’un grand péril, qu’il doit une belle chandelle à Dieu ; que la chandelle qui va devant vaut mieux que celle qui va derrière, pour dire que les aumônes qu’on fait durant sa vie valent mieux que les legs pieux que l’on fait après sa mort ; qu’un homme est ménager de bouts de chandelle, pour faire connaître qu’il est ménager en de petites choses, ne l’étant pas dans les plus importantes ; d’une chose qui coûte plus qu’elle ne vaut, que le jeu n’en vaut pas la chandelle ; d’un ménage où le mari et la femme font également de la dépense, qu’on y brûle la chandelle par les deux bouts ; enfin, que la chandelle brûle, pour dire que le temps se passe.

On dit aussi vulgairement découvrir la mèche, vendre la mèche, pour dire découvrir le secret d’un complot.