À genoux/Pendant le bal

Alphonse Lemerre (p. 111-112).

X

PENDANT LE BAL


 
Quand le bal sinueux promène ses beaux couples,
Hommes aux bras puissants et femmes aux reins souples,
À travers le frisson des lustres et l’ardeur
Des valses étalant partout leur impudeur ;
Quand j’écoute, portant en moi ma plaie immense,
L’écho de quelque vieille et plaintive romance,
De quelque chant aimé jadis, dont les accords
Comme des flots de mer bercent tous ces beaux corps ;
Quand je vois, à l’écart, les longues confidences
Que les vierges se font dans l’ombre après les danses,

 
Les derniers tête-à-tête et les derniers adieux,
Je penche sur mes mains mon front silencieux ;
Je m’isole au milieu de toute cette joie ;
Mon âme sous un mal indicible se ploie,
Comme aux premiers frissons d’avril les roseaux verts ;
Je songe que la femme est un être pervers,
Que ce sont des amours rapides que les nôtres,
Qu’il est bon d’être seul pour pleurer quand les autres
S’assemblent pour sourire et pour être joyeux ;
Et je reviens avec des larmes dans les yeux.