À genoux/Invitation à la Mort

Alphonse Lemerre (p. 206-211).

V

LES ÉLÉVATIONS


La voici ! Marche, ô roi des royaumes rêvés,
Sous les drapeaux des arcs, sur les fleurs des pavés.
Frère des Dieux, salut ! Nous sommes arrivés.

Catulle Mendès.



I

L’INVITATION À LA MORT


 
C’est fini, j’ai dit adieu. Je m’en vais.

Ce monde lubrique et vil est mauvais ;
Ce monde toujours empli de ténèbres
Ne m’a point donné ce que je rêvais.

Prends-moi donc, suprême Ange aux yeux funèbres !
Et remporte-moi dans les cieux promis
Où refleuriront mes rêves célèbres.


Loin, loin ! loin de tous mes plus chers amis,
Dans un ciel, comme un bois, plein de lauroses
Et de vieux palmiers toujours endormis.

Nous habiterons deux chambres bien closes,
Dans ce grand bois plein de parfums troublants ;
Et nos lits seront couronnés de roses ;

Lits d’ambre et d’ivoire où, dans les draps blancs,
Pâle, par les soirs éternels, ô brune,
Je caresserai tes bras et tes flancs.

La nuit, sous les chauds rayons de la lune,
Nous évoquerons nos vieux jours et les
Souvenirs de notre antique infortune.

Nous évoquerons les deuils envolés,
Qui furent si durs ! mais dont la mémoire
Sera chère à nos deux cœurs consolés.

Et longtemps, longtemps ! dans la forêt noire
Qu’illuminera l’azur de tes yeux,
Nous promènerons nos désirs de gloire.


Les Anges prendront des airs tout joyeux,
Quand ils nous verront marcher dans les astres.
Tu rajeuniras même les grands cieux.

Mais toujours, toujours, sous les bleus pilastres,
Nous évoquerons en nos cœurs si doux
Les vieilles douleurs et les vieux désastres ;

Pour que nous soyons de la haine absous,
De la haine dont le cœur vil s’enivre ;
Pour que nous n’ayions pas d’orgueil en nous ;

Pour que nous chantions le ciel qui délivre
De tant de tristesse et d’accablement,
Et savourions mieux la douceur de vivre

Éternellement, éternellement !