L’Édition populaire (p. 20-24).

LE CHASSEUR ROUGE


Le lendemain matin, Raymond Dauriac télégraphiait à un sien ami, Georges Savanne :

« Viens d’urgence Château de Sauré. Ai besoin de toi.

R. Dauriac. »

Georges Savanne était un gai compère, doublé d’un débrouillard. C’était un condisciple de Dauriac et son intime. Ils faisaient leurs études ensemble depuis plus de dix ans déjà.

Le soir même, Savanne arrivait au château de Sauré et était reçu par Dauriac qui le présenta à ses hôtes.

Avant de se présenter au château, Savanne était descendu dans un hôtel près de la Gare et avait retenu une chambre. Le repas terminé, on parla ; puis Dauriac reconduisit son ami. Chemin faisant, il le mit au courant de ce qui s’était passé.

— Bref, dit-il en terminant, je compte sur ton précieux concours pour éclaircir cette ténébreuse affaire.

— Trop aimable, mon cher, s’écria Savanne, mais je m’en serais bien passé. Toutes ces histoires macabres ne s’accordent pas du tout avec mon genre de beauté et ma façon de penser.

— Tu es débrouillard…

— Hélas !…

— Enfin, refuses-tu ?…

— Loin de moi l’idée de te faire un pareil affront.

— Alors.

— Alors, tope-là. J’accepte. Quand commençons-nous nos recherches ?

— Quand tu veux.

— Mais cette nuit même. Je suis tout rond en affaires et n’aime pas de perdre mon temps. Au surplus ton Chasseur Rouge est un type qui me plait, et je voudrais faire sa connaissance au plus tôt. Je te laisse ta sorcière : elle te convient et te va comme un gant.

— Merci.

— De rien.

— Nous commencerons donc ce soir. Quel plan adopterons-nous ?

— Il est bien simple. Nous allons nous cacher dans le parc et dès que le délicieux cri de la chouette aura retenti, nous ouvrirons l’œil ; et le bon ! Tu vas rentrer au château et tu en sortiras incognito, afin qu’aucun membre de la domesticité ne s’aperçoive de ton départ. C’est plus adroit. « Prudence et discrétion », telle doit être notre devise. À 11 heures du soir, je t’attendrai devant l’entrée du parc. À tantôt, mon vieux.

— À tantôt, Savanne.

À 11 heures exactement, les deux amis se retrouvèrent à l’entrée du parc. Se dissimulant derrière les taillis, ils allèrent se poster non loin du château et attendirent.

Les heures s’écoulèrent et l’aube les trouva transis de froid.

Le cri de la chouette n’avait pas retenti.

— Partie remise, conclut Savanne. Allons nous coucher. Nous recommencerons demain ; mais en attendant je vais prendre un grog et un repos bien mérités.

La journée fut calme. L’état de Judith Mauvin continuait de s’améliorer rapidement. Cette nuit, la jeune fille devait être veillée par M. Mauvin qui remplacerait la garde-malade, en attendant que Dauriac le remplaçât à son tour le lendemain.

Il fallait donc profiter de cette nuit là.

À 11 heures du soir, les deux amis se retrouvèrent comme la veille et se cachèrent dans des taillis à proximité du château.

Ils attendirent.

Minuit sonna au lointain.

— Nous allons encore attendre vainement, remarqua Dauriac.

— Patience !…

Une demi-heure s’écoula ainsi dans l’attente.

Soudain le cri de la chouette déchira le silence de la nuit.

Les deux amis frémirent, Dauriac d’émotion, Savanne de joie.

Qu’allait-il se passer ?…

Une seconde fois le cri de la chouette retentit.

Mais les deux hommes ne voyaient rien. Devant eux s’ouvraient plusieurs allées éclairées par la lune, mais elles restaient désertes.

— Serait-ce le cri d’une véritable chouette ? murmura Dauriac.

— Qui sait ? Mais… chut…

Le cri retentit une troisième fois si prés d’eux que Dauriac tourna la tête, croyant que l’oiseau nocturne était près de lui.

Au même moment, une ombre silencieuse passa à deux pas des jeunes gens : elle avançait lentement, dissimulée dans l’obscurité projetée par les arbres et les taillis, derrière lesquels les observateurs s’étaient dissimulés. Savanne avança prudemment la tête. Il devina plutôt qu’il ne vit la silhouette d’un homme de haute stature enveloppé dans un long manteau, le visage caché sous les bords d’un large chapeau de feutre. L’inconnu s’arrêta au coin d’une allée. Puis une autre ombre parut et vint à lui. Cette fois, c’était une silhouette féminine.

Les deux mystérieux personnages se parlèrent ainsi à voix basse pendant près de dix minutes. Puis, ils s’avancèrent dans l’allée, vers l’endroit où étaient dissimulés nos deux amis. Ceux-ci étaient tout yeux et tout oreilles. L’inconnu avait entr’ouvert son manteau qui laissait entrevoir un veston ou un justaucorps d’un rouge foncé. Le visage était plongé dans l’ombre ; mais on distinguait une barbe très noire et des yeux brillants.

— Le Chasseur Rouge ! murmura Savanne.

— Et la Sorcière, sans doute, ajouta Dauriac.

La femme portait un manteau sombre et sur la tête une espèce de mante qui cachait ses traits.

Les deux inconnus passèrent. Dauriac et Savanne saisirent quelques mots de leur conversation.

— Et il n’a rien dit ? demandait le Chasseur Rouge.

— Rien, répondait la femme.

— Il faudra agir.

— Oui, il faut qu’ils meurent tous deux.

— Nous aviserons. As-tu vu…

La suite des mots se perdit.

Les deux personnages étaient passés. Ils avaient pris une allée transversale du parc. Dauriac et Savanne rampèrent dans les taillis pour les suivre. Mais malgré toutes leurs recherches, ils ne parvinrent pas à les retrouver. Deux heures après ils se quittèrent.